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Libération
Récit

2014 : un bon cru pour le jus

Aidé par une météo idéale et une base nucléaire-hydraulique stable, le système électrique français tire un bilan positif de l’année écoulée.
(Infographie Idé)
publié le 29 janvier 2015 à 17h46

Année chaude, année de bon jus. C'est l'adage du système électrique français, bien assis sur son socle nucléaire et hydraulique. Qu'est-ce qu'un bon jus ? Une électricité où l'offre s'adapte aisément à la demande, n'est pas chère et rejette très peu de CO2, ce gaz à effet de serre dont on veut limiter les émissions afin d'éviter de bousculer le climat planétaire. Un adage vérifié au plus haut point en 2014, année record de chaleur en moyenne annuelle en France métropolitaine comme au niveau mondial, d'après les statistiques révélées cette semaine par Réseau de transport d'électricité. RTE, c'est la filiale d'EDF chargée des lignes à haute tension mais aussi de l'équilibre entre l'offre et la demande de jus. Un équilibre à trouver chaque seconde et dans la durée. Et sans lequel tout le réseau électrique défaille.

De la douceur quasi permanente en hiver et un été frais où les climatiseurs sont restés à l'arrêt : l'année 2014 a offert une météo de rêve au système électrique hexagonal, le plus «thermosensible» d'Europe, souligne Dominique Maillard, le patron de RTE. Or, dès qu'il fait froid en hiver, chaque degré en moins appelle 2 400 mégawatts (MW) de plus, en raison de l'usage massif du chauffage électrique - présent dans un gros tiers des résidences, contre plus de 40% au gaz. C'est ainsi que le 8 février 2012 à 19 heures, la consommation a atteint un pic historique de 102 100 MW. Contre un petit 82 540 MW au maximum de l'année 2014, le 9 décembre.

Mais c’est toute l’année que les dispatcheurs d’EDF, situés à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), ont pu se friser les moustaches. Aucune alerte, même dans les péninsules électriques de Bretagne et de la Côte d’Azur, où la production ne couvre que très peu la consommation. Le résultat de cette météo clémente, c’est une consommation d’électricité de 456,3 térawatt-heure (TWh), la plus basse depuis 2002, en baisse de 6% sur 2013. Et très loin du record, 513,1 TWh, de 2012.

Après correction des variations dues à la météo, RTE observe une stabilisation de la consommation depuis quatre ans, alors qu’elle avait crû jusqu’en 2010, à l’exception du creux provoqué par la crise en 2009. Faut-il y voir l’effet des politiques d’économies d’électricité ? Un peu, certainement. Mais il faut surtout noter que la consommation des sites industriels - sidérurgie, automobile - ne s’est toujours pas remise de la chute de 2009.

Championne d’Europe de l’export

Côté production, la baisse n’est en revanche que de 1,8%. L’écart avec la chute de la consommation est donc allé à l’exportation. Avec un solde des échanges positif de 65,1 TWh, et zéro jour affichant un solde importateur en 2014, la France confirme son statut de championne d’Europe des exportations d’électricité.

Un résultat dû à une production abondante et compétitive, mais aussi à la demande. Les producteurs suisses jouent habilement de leur position d’intermédiaires géographiques, vers l’Italie, l’Autriche ou l’Allemagne, et temporels, avec des barrages qui fonctionnent en stations de pompage la nuit pour remonter l’eau turbinée le jour, et revendre plus chère l’électricité qu’ils achètent. La Belgique fait face à l’arrêt prolongé de plusieurs réacteurs nucléaires, à Doel et Tihange, après la découverte de microfissures dans les cuves. La Grande-Bretagne et l’Italie achètent pratiquement en permanence au maximum des capacités d’interconnexion. L’Espagne exporte vers la France uniquement lorsque ses éoliennes marchent à fond, et importe le reste du temps.

En revanche, l’Allemagne affiche un solde exportateur vers la France, sauf de mai à août. Notamment en raison d’un prix de gros poussé à la baisse par les subventions aux éoliennes et aux panneaux photovoltaïques, acquittées par les consommateurs domestiques et les petites entreprises, alors que les grandes entreprises en sont exonérées.

Les renouvelables en croissance rapide

Le système électrique hexagonal a de nouveau manifesté sa «préadaptation» à l'ère du changement climatique. Son socle nucléaire a plutôt bien fonctionné, offrant une disponibilité élevée et une production de 415,9 TWh, 77% du total. Suivent les barrages, qui affichent leur deuxième meilleur résultat depuis 2001 après une année 2013 exceptionnelle en «hydraulicité», précise Dominique Maillard. Ces deux énergies représentent un socle de près de 90% du total produit, ce qui souligne la capacité de l'hydraulique à suivre les évolutions rapides de la demande au fil d'une journée.

S’y ajoutent les productions de parcs éoliens et photovoltaïques, en croissance rapide. L’Hexagone compte 9 120 MW d’éoliennes, contre moins de 400 MW il y a dix ans. Elles ont produit 7,2% de l’électricité. Quant au parc photovoltaïque, il compte désormais 5 292 MW. Et a contribué pour 4,1% de la production. Le tout pour un coût croissant, puisque la subvention provenant des factures acquittées par les consommateurs monte à près de 3 milliards en 2014, et pourrait doubler d’ici à 2020 avec les nouveaux projets. Si ces deux moyens de production ne sont plus marginaux, ils demeurent par nature intermittents et non programmables, dépendants des vents et de l’intensité solaire. D’où de grands écarts, entre nuit et jour pour le solaire, mais d’heure en heure pour les éoliennes. Celles-ci peuvent ainsi afficher 7 238 MW le 27 décembre à 4 heures. Et ne produire que 42 MW le 3 octobre à 12 h 30, un record à l’envers.

Le système électrique serait donc en grande difficulté s’il ne pouvait compter sur d’autres moyens, programmables, pour compenser les sautes d’humeur du vent et des nuages. C’est le rôle des centrales à charbon, gaz et fioul. Elles ont très peu servi l’an dernier, pour 27 TWh. En chute drastique pour le charbon, avec -58% sur 2013, qui a vu l’arrêt définitif de deux centrales. Moindre pour le gaz, avec -28%. Tandis que le fioul est resté d’usage marginal - moins de 1%.

La production électrique hexagonale affiche ainsi des émissions de CO2 très faibles : 19 millions de tonnes, en baisse de 41% sur 2013. Difficile de faire mieux, avec une électricité décarbonée à près de 94% ! Mais ce qui vaut pour 2014 vaudra-t-il dans le futur ?

Les nouveaux défis

En septembre, RTE alertait devant le risque d'une insuffisance de production face à un pic de consommation durant les hivers 2015-2016 et surtout 2016-2017 en cas de vague de froid. Une alerte suivie d'effets, puisque la ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal, vient de publier des textes précisant l'instauration de «mécanismes de capacités» destinés à parer le danger. Le gouvernement va mettre en place, sous la houlette technique de RTE, des registres où les fournisseurs d'électricité devront apporter la preuve qu'ils possèdent assez de moyens de production pour faire face à la demande de leurs clients, même en cas de vague de froid. Cette certification obligera les opérateurs à garantir une production suffisante, ou un effacement volontaire de certains clients durant la pointe de consommation. Pour calculer la «valeur» des différents moyens de production, explique Hervé Mignon, directeur de la prospective à RTE, il est tenu compte de leur disponibilité réelle : zéro pour un panneau solaire à 19 heures, mais aussi pour une centrale en arrêt pour maintenance.

A plus long terme, le défi du système sera de gérer les injonctions contradictoires de la loi de transition énergétique. Elle vise à éviter les émissions de CO2, or elle prévoit plus de solaire et d'éolien, ce qui suppose des centrales à gaz, charbon ou fioul pour compenser leur intermittence. La décision de construire 7 millions de bornes pour recharger les batteries de voitures électriques d'ici à 2030 suggère que ces dernières seront très nombreuses. Comment les alimenter sans garantir une production de base, donc nucléaire dans le système actuel, suffisante ?