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Libération

ISS, plus douce serait la chute

Lancer un engin en orbite, d’accord, mais comment faire revenir un vaisseau, et plus particulièrement la Station spatiale internationale, sur Terre et en toute sécurité ? Les agences multiplient les expériences.
Le vaisseau cargo Albert-Einstein, largué par l'ISS, a fini sa course dans l'océan Pacifique le 2 novembre 2013. (Photo ESA. NASA)
publié le 12 février 2015 à 18h36

En février, le spatial s’occupe des retours. Mercredi, c’est la petite fusée Vega qui s’est envolée de l’astroport de Kourou, en Guyane, pour le test d’un engin capable de revenir sur Terre : traverser l’atmosphère avec un vol piloté et se poser à la surface de l’océan Pacifique. Succès total pour l’opération. En revanche, quelques heures plus tard, la société SpaceX n’a pu récupérer le premier étage de sa fusée Falcon 9, sur une plateforme en mer, en raison du mauvais temps. Le 22 février, ce sera au tour du dernier des cinq «vaisseaux cargos» automatiques de l’Agence spatiale européenne (ESA) à avoir ravitaillé la Station spatiale internationale (ISS), le Georges-Lemaître, de faire une rentrée spéciale. Objectif : préparer une chute beaucoup plus impressionnante, celle de l’ISS.

C’est bien beau d’envoyer des engins dans l’espace avec de puissantes fusées mais, souvent, ils reviennent. Certains resteront très loin de la Terre, sur des orbites très élevées - comme l’orbite géostationnaire à 36 000 km - ou à des postes d’observation privilégiés du Soleil ou du cosmos, à plus d’un million de kilomètres de notre planète. Quant à ceux partis vers Mars, Jupiter ou la comète Tchouri, ils ont validé un aller simple vers les étoiles.

Ce n’est pas le cas des vaisseaux qui emportent des hommes vers la Station spatiale internationale. Ou de ceux qui reviendront après un voyage vers la Lune, un astéroïde ou Mars. La Nasa et les Russes maîtrisent cette technologie risquée. Revenir sur Terre à 27 000 km/h en provenance de la station internationale, ils savent le faire. Et pensent qu’ils sauront aussi à 40 000 km/h pour le cas d’un retour de Mars. Le principe : utiliser l’atmosphère comme frein principal, par frottements violents sur l’engin, avant de sortir les parachutes pour la phase finale. Un «splash» dans l’eau ou un roulement sur une piste.

Les Européens, eux, ne l’ont jamais fait dans un programme opérationnel. Tout juste un essai, en 1998, avec une petite capsule utilisant le troisième vol de qualification d’Ariane 5. D’où leur satisfaction d’avoir validé, avec la fusée Véga et l’IXV (Intermediate Experimental Vehicle, un engin de 5 mètres de long pesant 2 tonnes, dont la forme évoque vaguement un avion massif sans ailes) quelques-unes des technologies-clés. Le comportement aérodynamique, la protection thermique contre l’échauffement qui atteint 1 600°C (un nouveau composite en fibre de carbone avec une matrice en carbure de silicium) et le système de guidage et de navigation avec des petites gouvernes à l’arrière de l’engin. Le tout au cours d’une mission de cent minutes. Vega a lâché l’IXV à 340 km d’altitude, ce dernier a suivi la trajectoire choisie et s’est posé dans le Pacifique comme prévu. Nul doute que les ingénieurs de Thales Alenia Space (1) vont apprendre beaucoup avec cette expérience à 150 millions d’euros entièrement publics. Reste une question brutale : pour quoi faire ?

Ce programme de développement technologique n’a en effet de sens que s’il débouche sur des vaisseaux opérationnels pour redescendre sur Terre des astronautes ou du fret. Mais quel besoin d’une nef européenne ? L’Europe n’a aucun programme d’infrastructure orbitale autonome, mais participe à la station internationale. Les Russes disposent des Soyouz pour les astronautes. Les Américains terminent la mise au point de deux capsules : Orion pour la Nasa et Dragon pour la société SpaceX, du charismatique Elon Musk, dont la version automatique pour le fret peut ramener 3 tonnes depuis la Station spatiale internationale. Un engin européen semble donc peu utile. Mais l’ESA évoque aussi des développements technologiques pour un lanceur réutilisable, un projet de long terme.

Bidons et poutrelles

Les retours ne sont pas toujours aussi maîtrisés et pilotés. Depuis le début de l’ère spatiale, des satellites, morceaux de fusées et autres stations retombent vers la Terre sans vraiment de pilote - automatique - à bord. L’ISS ne peut ainsi rester sur son orbite, à environ 400 km d’altitude, sans de réguliers allumages de moteurs pour compenser la petite - mais permanente - perte d’altitude due aux frottements avec l’air résiduel. Sa durée de vie au-delà de 2020 soulève de vives discussions entre partenaires - la Nasa, l’ESA et l’agence spatiale fédérale russe Roscosmos. Mais personne n’imagine faire cet effort technique et financier ad vitam æternam. Donc, un jour, cet assemblage de bidons et de poutrelles, grand comme un terrain de football et d’une masse totale de 400 tonnes, retombera sur Terre. Bien plus que les 124 tonnes de la station spatiale Mir lors de sa retombée dans l’atmosphère le 23 mars 2001.

Le suicide du Georges-Lemaître

L’objectif est de piloter cette rentrée en déclenchant la chute finale par une sorte de remorqueur - peut-être un successeur du Georges-Lemaître - afin de s’assurer qu’elle finisse dans les eaux désertes du Pacifique. Mais la Nasa aimerait en savoir plus sur la manière dont les plus gros éléments de la station vont se comporter, ceux qui risquent de finir leur course sans avoir été totalement consumés par les frottements de l’atmosphère à grande vitesse.

D’où l’opération du 22 février. D’habitude, les cargos automatiques de l’Agence spatiale européenne, remplis des poubelles des astronautes, suivent une trajectoire favorisant une destruction totale dans l’atmosphère. Les ingénieurs les font piquer du nez lors du contact avec les couches denses de l’atmosphère pour obtenir un effet de frottements et de chaleur maximal. Là, le Georges-Lemaître sera orienté de manière à effectuer une rentrée plus douce, plus «à plat», afin de mieux simuler ce qui va se passer lorsque la station spatiale plongera vers la Terre.

La semaine dernière, l'astronaute italienne Samantha Cristoforetti, à bord de l'ISS depuis le 23 novembre 2014, a installé une caméra infrarouge dans le cargo Georges-Lemaître. Elle va enregistrer de l'intérieur la destruction de celui-ci et notamment les températures. La caméra ne survivra pas au suicide du Georges-Lemaître. Toutefois, elle aura envoyé ses observations à un enregistreur encoconné dans une sphère ultrarésistante de céramique capable de supporter jusqu'à 1 500°C. Puis, lorsque cette sphère sera en chute libre, parmi les débris du cargo, elle transmettra ses données via les satellites de la constellation Iridium.

Mercredi, une singulière opération de retour devait être tentée. Celle du premier étage de la fusée Falcon 9 de SpaceX, qui a lancé un satellite d’observation du Soleil. La fusée fait trembler les industriels européens, fabricants d’Ariane, tant elle casse les prix avec l’aide du Pentagone et de la Nasa. Mais, non content de fabriquer moins cher, SpaceX veut récupérer le premier étage de la fusée et le réutiliser.

L’opération est délicate. Après sa séparation, 165 secondes après le décollage et à une altitude de 130 km, il doit faire un retour piloté et ralenti par ses rétrofusées, et se poser sur une plateforme dans l’Atlantique. Un premier essai avait vu la fusée se crasher à l’arrivée. Le second a été annulé en raison du mauvais temps en mer, la fusée a donc fini sa course au fond de l’océan. Après récupération, il faudra en outre que les travaux de remise en service opérationnel de l’engin ne soient pas plus coûteux qu’un neuf. C’est ce qui avait plombé la navette américaine.

(1) Le chef de file du consortium industriel et de recherche, à forte participation italienne, qui comporte Dassault ou l’Onera en France.