De l’Inde à la Mongolie, deux «têtes chercheuses», Grégory Delaplace et Tiziana Leucci (ci-dessous) soulignent l’immensité des champs de l’ethnologie en donnant des mini-conférences ce week-end au quai-Branly.
Vous êtes spécialiste du monde mongol, quel est votre rapport à ce pays ?
Mon premier voyage en Mongolie date de 1998. J’ai passé plusieurs années avec des pasteurs nomades, dans la région montagneuse du nord-ouest du pays. J’ai travaillé aussi à la ville, à Oulan-Bator, la capitale, pour voir comment les habitants embrassent la modernité postcommuniste. Le point de départ de mon étude vient d’une réforme des rituels funéraires, commanditée par le gouvernement dans les années 50. Les Mongols avaient l’habitude de déposer les cadavres sur le sol pour qu’ils soient dévorés par les animaux et qu’ils disparaissent totalement. Alors que la réforme, d’inspiration soviétique, a contraint à créer des lieux de mémoire en enterrant tous les défunts dans des cimetières. De fil en aiguille, je me suis intéressé à toutes les manières dont les morts interviennent dans la vie quotidienne des vivants.
Que signifie le nomadisme des Mongols ?
Il est difficile d’en donner une définition unique, même si des philosophes comme Gilles Deleuze et Félix Guattari ont proposé une théorie séduisante de l’espace nomade. Celui-ci se définirait selon eux par une texture lisse, que l’on ne peut qu’appréhender dans sa totalité; on ne peut l’habiter de façon parcellaire. Les nomades mongols utilisent leurs chevaux non seulement pour se déplacer à travers ces espaces lisses, mais aussi comme des capteurs de l’invisible - âmes, esprits, fantômes.
Leur chair sensible réagit de façon graduelle à la présence de ce que nous ne pouvons pas voir et qui apparaît inopinément. L’interaction avec l’invisible est alors comparée à la sensation d’un choc électrique, elle peut rendre fou et amener à mourir.
Comment transposer votre travail à nos sociétés?
L’enjeu, c’est de montrer qu’il ne s’agit pas seulement d’une histoire de folklore local. Je parle de la manière, en tant qu’humain, d’entretenir des relations avec des choses qui nous échappent, parce qu’elles sont hors de notre portée. Les différents collectifs que forment les morts, les vivants ou les animaux prennent des formes très différentes à travers les cultures : il est difficile de les transposer directement mais, à partir de certains systèmes, on peut essayer de comprendre le nôtre.
Ce week-end va-t-il modifier le regard porté sur l’ethnologie ?
Je l’espère ! L’anthropologue mène une réflexion sur l’homme à travers des études de cas localisées. Il ne s’agit pas de compiler un tas d’exemples juste pour le plaisir de collectionner. J’essaie, au contraire, de poser des questions qui concernent l’humanité en général.