Au doigt, Buzz Aldrin porte une bague désuète en forme d'étoile filant vers la Lune. Habituellement, il arbore aussi des pierres qu'il peut se vanter d'avoir lui-même rapportées de la «Mer de la tranquillité» où il se posa le 21 juillet 1969.
Les yeux bleus et le cheveu blanc, le corps conservé par les exercices quotidiens, le vieil astronaute de 85 ans en a encore sous le pied. Il teste des skates volants (l'hoverboard, c'est le futur), passe sa vie dans des avions, voyage de conférence en conférence pour, espère-t-il, faire rêver les peuples. Il fut l'homme-sandwich de la conquête spatiale américaine au temps de la guerre froide.
Quarante-cinq ans plus tard, il fait de même pour de multiples causes commerciales, illustrant jusqu’à la caricature à quel point une reconversion est complexe quand on a atteint les sommets. Au moment où on lui parle au téléphone, il est au Brésil, envoyé spécial des montres Omega et se prépare à partir quelques jours à Dubaï.
Ces dernières années, l'ex space hero a participé à d'innombrables campagnes publicitaires, de Louis Vuitton à Apple. Très connecté, il a un compte Twitter bien fourni (852 000 personnes suivent @TheRealBuzz), orchestre son autopromo en rappant avec Snoop Dogg («I'm the spaceman, I'm the rocketman» dit le morceau), en dansant pour l'émission Dancing With the Stars, en cuisinant dans la version américaine de Top Chef, ou en répondant aux questions des internautes sur le réseau Reddit.
Edwin «Buzz» Aldrin fut le deuxième homme à marcher sur la Lune. Poulidor ad vitam. Aux côtés de Neil Armstrong, il passa un peu plus de deux heures sur le satellite. Le commandant Armstrong a toujours refusé de se répandre sur son expérience. Trop de pression, trop de sollicitations. Il s'est protégé dès son retour en raréfiant ses entretiens avec les médias. Pas de service après-vente quitte à frustrer la planète. Michael Collins, le troisième homme resté en orbite, n'était pas en mesure de faire le job puisqu'il n'avait pas foulé la surface sacrée. Aldrin a pris le relais. Ça arrangeait tout le monde, la Nasa en premier lieu.
Républicain et patriote
Loin de l'historique alunissage, seul rescapé du voyage, le vieux Captain America poursuit une quête et ne parle que de cela. Elle est lunaire et martienne. Il veut en être l'ambassadeur. Retourner sur la Lune serait, à l'entendre, une simple étape pour arriver sur Mars. Beaucoup d'experts disent que le XXIe siècle ne verra pas la chose arriver, mais Buzz Aldrin s'en moque : «J'essaye d'inspirer un plan à long terme pour que les Etats-Unis et la Nasa ne soient plus en compétition avec les autres nations concernant l'installation d'une station sur la Lune. Sa construction pourrait être menée par l'Europe, la Chine et les Etats-Unis.»
A Washington, devant le Sénat en février, il a répété ce qu'il martèle ici: «La meilleure façon de prouver le leadership des Etats-Unis serait que nous redevenions les meneurs de la conquête spatiale. Coloniser Mars est un enjeu majeur.» «L'exploration américaine de 1969, c'était le résultat d'une bagarre avec l'Union soviétique, rappelle Alain Cirou du magazine Ciel et Espace. Ce moteur politique n'existe plus. Ce qui reste, ce sont des industriels qui cherchent à obtenir des contrats. Eux ont besoin d'une figure comme Aldrin pour incarner leur projet.» Républicain, patriote, Aldrin en veut à Obama de mettre la conquête de côté. «Pour Apollo, nous avions reçu 2 % du PIB. Aujourd'hui on n'atteint même pas 0,5 %. Nous avons besoin de franchir un cap. Le congrès et le Président doivent agir comme le fit Kennedy en 1961. Il espérait voir des gens atterrir sur la Lune pendant son mandat. Lancer un voyage sur Mars aboutirait bien après l'élection présidentielle. Obama ne serait peut-être même plus en vie. Mais nous devons penser au futur, planifier et commencer à financer des activités qui seront réalisées dans vingt ans. C'est difficile de convaincre les politiques alors que nous sommes en récession. Nos fusées coûtent très cher à exploiter, nous devons créer des lanceurs plus économiques, performants, capables de faire des rotations.»
Buzz Aldrin s'apprête à quitter la côte ouest pour la Floride. «Je m'installe au sud du site de lancement Kennedy, où mon fils vit temporairement.» Andy Aldrin, l'un de ses trois enfants, perpétue le rêve familial. Il est président de la Moon Express, compagnie présidée par le milliardaire indo-américain Naveen Jain qui souhaite produire un vaisseau spatial capable d'explorer la Lune. La concurrence est rude sur ce marché. Différents groupes ambitionnent de décrocher le Google Lunar X Prize, un prix de 30 millions de dollars (23 millions d'euros) qui récompensera le premier consortium privé à envoyer un robot sur le sol lunaire.
Elève brillant et forte tête
Il peut digresser sur le sujet pendant des heures. Il nous rappelle que le nom de sa mère est Moon. Comment faire mieux que ça. Il blague, lui qui plaisante assez peu. Buzz Aldrin, c’est l’histoire d’un élève brillant maltraité psychologiquement par son paternel, colonel dans l’US Air Force. Jamais assez bon à ses yeux. Sorti dans le peloton de tête de l’académie de West Point, il présente une thèse en ingénierie mécanique sur les techniques de rendez-vous orbital au prestigieux MIT. Pendant la guerre de Corée, il détruit deux avions russes.
Son entrée à la Nasa date de 1963. Ses camarades l'affublent d'un surnom : «Mister rendez-vous». Sans pitié, son père lui reproche de n'être que le deuxième à marcher sur la Lune. Aldrin junior n'a, lui, jamais admis qu'être le «number two» le touchait outre mesure. Son petit caractère lui aurait valu la place de leader. «J'ai fait ce que j'avais à faire. Chacun de nous avait un rôle primordial. Je n'ai pas de regret», dit-il.
Celui qui fera revenir Edwin Aldrin là-dessus n'est pas arrivé. Alain Cirou s'en charge: «Il y a eu une vraie bagarre entre Armstrong et Aldrin pour être le premier, comme avec les autres équipes pour être sur ce vol. Aldrin était meilleur sur le plan technique, mais plus dur, caractériel et moins rond. Si l'on s'en tient aux critères objectifs, il était le premier mais humainement, il ne passait pas. Quand on a demandé à Armstrong comment était le vol, il a eu cette réponse incroyable : "ça s'est mieux passé qu'à l'entraînement." Rien de plus. Ce sont des extraterrestres au niveau des réactions humaines. Ils étaient hyper entraînés, coupés de leur famille, plongés dans le milieu technologique de l'époque avec la pression du "c'est moi et c'est pas toi"».
Aldrin était un couteau suisse doué d'un sang-froid rare. «Il faut imaginer l'exploit de se lever le matin, monter au sommet d'une fusée qui consomme en une minute une piscine olympique de carburant, ajoute Alain Cirou. En temps normal, tout le monde recule de dix kilomètres et se dit : "Si ça explose, je ne veux pas être touché". Lui, il s'installe dessus et part sur la Lune.» Complexe, sombre, Aldrin était décrit en 1969 «morne, presque ennuyeux, mais avec un côté imprévisible» par Norman Mailer qui couvrit le lancement d'Apollo 11 pour Life et en fit un livre intitulé Bivouac sur la Lune.
Dépression et alcool
L’astronaute n’aime pas s’épancher sur ses états d’âme d’homme. Pourtant il en a, qui lui valurent une descente aux enfers aussi lugubre que la montée qu’il venait de connaître était jouissive. Lors d’Apollo 11, il avait 35 ans. Le retour fut une épreuve. Dépression, alcool. Une maladie de famille. Les trois héros étaient préparés à voler, à se poser sur la Lune, mais pas à revenir sur Terre.
La Nasa ne savait plus quoi faire de ses hommes qui avaient réussi l'exploit du siècle. Le mariage d'Aldrin sombra. «Tout le monde est différent quand il expérimente une telle mission, et quand il rentre aussi. J'avais une tendance dépressive dont j'ai hérité génétiquement. Ça m'a poussé dans l'alcool. En sortir fut un processus lent. Le mal était déjà en moi avant Apollo 11. Mais mes missions prenaient toute ma conscience. J'étais concentré sur le travail.»
Sa mère a tenté de se suicider peu de temps avant Apollo. Son grand-père s'est tiré une balle dans la tête. L'un de ses fils serait touché par le même vague à l'âme. Lui est sobre depuis trente-cinq ans et une cure de désintoxication salvatrice. Mais ombrageux, il l'est toujours. Un matin de 2002, il mit une beigne à un sceptique qui remettait en cause son épopée spatiale. Il avait 72 ans. La vidéo a glané plus de 2 millions de vues sur YouTube. Le plus surprenant, c'est qu'il ne rêve plus de son voyage sur la Lune: «Quand j'y songe, c'est pour inspirer les gens dans mes discours ou dans mes interviews. Mes pensées sont tournées vers le futur.» Séparé de sa dernière femme il y a deux ans, il a retrouvé l'amour. Son assistante confiait cet hiver à l'édition américaine du magazine GQ, que l'octogénaire ne manquait pas d'admiratrices. Le vrai Buzz l'éclair est un cœur d'artichaut.
A voir: le documentaire Moonwalk One de Theo Kamecke pour les images d'archives tournées en coulisses de la mission Apollo 11, (ED Distribution).