En 1950, la maîtrise du temps semblait à portée de main. Des ingénieurs et des physiciens ont promis à des agriculteurs, aux pouvoirs politiques et à des états-majors militaires la manipulation de la météo. Eloigner les orages et la foudre. Faire pleuvoir sur des cultures assoiffées. Retarder ou avancer un phénomène météo pour favoriser une opération militaire. Tous ces projets ont échoué, malgré les millions dépensés. Des philosophes ont donc philosophé sur la grandeur de la nature et la petitesse de l'homme. Tandis que la plupart des scientifiques concernés ont rigolé in petto, car les énergies mises en jeu par l'atmosphère sont bien trop élevées pour être manipulées.
Le 27 avril, dans Nature Climate Change, Retto Knutti et Erich Markus Fischer, de l'Institut pour l'atmosphère et la science du climat à Zurich (Suisse), ont montré que l'homme manipule déjà la météo. Mais involontairement et à son détriment.
Les deux climatologues ont puisé dans une «mine» de données informatiques mise à disposition de tout chercheur. Rien de moins que toutes les simulations climatiques, réunies dans un programme mondial de comparaison. Elles comportent des simulations «contrôle» - le climat avant notre injection massive de gaz à effet de serre. Knutti et Fischer ont donc pu comparer ce climat préindustriel avec l'actuel, plus chaud de 0,85°C. Et avec des Terres virtuelles plus chaudes de 2°C et 3°C que le climat préindustriel. Cette méthode a permis de s'affranchir de la difficulté à attribuer un seul événement (la canicule de 2003 en France ou un cyclone) en se concentrant sur leur probabilité à l'échelle planétaire.
Leur analyse montre que nous sommes déjà des manipulateurs efficaces, mais à l'aveugle. Ainsi 18 % des «précipitations extrêmes» actuelles résultent du début de changement climatique. Si ce réchauffement atteint 2°C, il sera responsable de 40 % de ces précipitations extrêmes. Quant aux vagues de chaleur extrêmes, c'est encore plus net. Pour celles qui surviennent actuellement, 75 % sont déjà dues au réchauffement. Avec une Terre plus chaude de 3° C, la majorité des précipitations extrêmes et la presque totalité des vagues de chaleurs résulteront de notre manipulation du climat.
Dans son commentaire, Peter Stott, du centre de recherche britannique du Met Office, ne semble guère optimiste sur la possibilité d'éviter un changement climatique d'au moins 2°C. Logique, au vu des trajectoires actuelles des émissions de gaz à effet de serre. Et des propositions sur la table de la 21e COP (Conférence des parties réunissant les Etats signataires de la convention climat de l'ONU) prévue à Paris en décembre 2015.
Du coup, Stott suggère aux gouvernements de croiser la carte des zones et des activités les plus menacées par de tels événements afin de s'y préparer au mieux. Car derrière le langage technique et statistique, les «extrêmes» ce sont des inondations dévastatrices, des sécheresses destructrices de récoltes. Modérer l'usage des énergies fossiles en diminuera le nombre.