Où se trouve le meilleur synchrotron du monde ? A Grenoble. Où sera-t-il dans dix ans ? A Grenoble. C'est la conviction de Francesco Sette, le directeur de l'ESRF (European Synchrotron Radiation Facility). Cette machine, une sorte de microscope à rayons X produits par un accélérateur d'électrons, offre une «usine à science» aux chercheurs européens, près de 7 000 à s'y rendre chaque année. Mis en service en 1994, l'ESRF (1) a damé le pion à ses concurrents américains et japonais sur tous les plans avec les performances de son anneau de 844 mètres où tournent les électrons. Et avec celles de ses «lignes de lumière», le joli nom de ses 42 laboratoires, dont la spécialisation technique «permet de faire ici des choses impossibles ailleurs dans le monde», souligne Sette. Ce qui se traduit par un nombre record de publications scientifiques (plus de 16 000 de 2002 à 2012) fondées sur les expériences réalisées à l'ESRF.
L'ESRF va accentuer son avance avec la rénovation de sa source de photons X. L'anneau à électrons va être démonté et remplacé. Le nouvel engin bénéficiera d'un nouveau «réseau magnétique», explique Sette, constitué d'aimants capables de focaliser - de «pincer» - le faisceau d'électrons beaucoup plus fort que son prédécesseur. Un réseau fondé sur un concept inventé à l'ESRF, qui permet une rénovation à moindre coût, montrant le sens de l'économie des scientifiques. S'y ajouteront l'amélioration de l'ultravide de l'anneau et une alimentation électrique new-look, à base d'amplificateurs semi-conducteurs solides et non des classiques klystrons, qui promettent stabilité du faisceau et réduction de la consommation d'électricité.
Le gain sera tel - la «brillance du faisceau sera multipliée par cent», se réjouit Francesco Sette - que les scientifiques vont pouvoir s'atteler à de nouveaux défis. Qu'il s'agisse de physique, de chimie, de biologie, de sciences des matériaux ou d'astrophysique, ils pourront observer des détails beaucoup plus fins, à l'échelle de quelques nanomètres et non se contenter «de la moyenne de l'échantillon». En biologie structurale, il sera possible d'étudier des nanocristaux, et donc de nombreuses molécules biologiques rétives à former de gros cristaux. La répétition des «pulses» permettra de suivre le film des interactions atomiques et moléculaires.
Les sujets d’études sont quasi infinis. De l’astrophysique, avec l’observation d’échantillons mis sous une pression et une chaleur équivalentes à celles du centre de la Terre, aux enjeux industriels, comme les défauts microscopiques d’un rail de TGV ou des matériaux d’un réacteur nucléaire, en passant par les processus moléculaires expliquant l’action d’un médicament.
Au prix d’un arrêt de dix-huit mois, entre janvier 2019 et juin 2020, l’ESRF va donc creuser l’écart avec ses concurrents. Suivant son exemple, et en s’inspirant du concept de réseau magnétique qu’il a inventé, les Etats-Unis et le Japon vont eux aussi rénover leurs synchrotrons les plus puissants. Mais avec plusieurs années de retard sur Grenoble, où s’affiche la puissance de la coopération européenne.
(1) Vingt et un pays dont dix-huit européens sont membres ou associés.