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Libération
Récit

Exoplanètes : la traque se précise

Pour la première fois, des astrophysiciens ont détecté une planète plus petite que Mars. Les avancées se multiplient dans la recherche d’autres systèmes solaires, ouvrant de nouvelles perspectives sur la quête d’une vie ailleurs dans l’univers.
Vue d'artiste d'exoplanètes. (Dessin Danielle Futselaar. Seti Institute)
publié le 22 juin 2015 à 19h36

La quête des exoplanètes passe un nouveau cap. Dans la revue Nature, une équipe d'astrophysiciens américains (1) révèle avoir mesuré la taille et la masse, donc la densité, de trois exoplanètes dans le système stellaire Kepler-138. Or, l'une d'elles est encore plus petite que la planète Mars, avec une masse de 0,06 fois celle de la Terre, contre 0,1 fois pour la planète rouge. C'est la plus petite exoplanète jamais détectée depuis le début de l'exploration des planètes en orbite autour d'autres étoiles que le Soleil. Cette avancée, parmi d'autres, montre que les astrophysiciens sont en train de construire les instruments et méthodes qui permettront de savoir un jour si l'une de ces planètes héberge une activité biologique, alors que, pour l'instant, l'exploration du système solaire indique que seule la Terre présente cette caractéristique.

L’étoile Kepler-138 est une «naine rouge», plus petite et moins chaude que le Soleil - elle fait 60% de sa masse. Située à près de 200 années-lumière de la Terre, dans la constellation de la Lyre, cette étoile était déjà connue pour avoir trois planètes tournant autour d’elle. Petites, puisque les tailles obtenues par les premières études allaient d’un peu plus - pour deux d’entre elles - à un peu moins que la taille de la Terre pour la troisième. Mais quelles étaient leurs masse et densité ? C’est l’étude très minutieuse des interactions gravitationnelles entre les planètes qui a apporté la réponse à ces questions. Ces interactions ont pu être mesurées par les astrophysiciens en raison des minuscules et subtiles variations temporelles qu’elles produisent sur les orbites des trois planètes autour de leur étoile : des changements observés non pas directement mais par les fugaces et petites variations de la lumière de l’étoile, lorsque les planètes passent devant elle.

Appelons-les Kepler-138b, Kepler-138c et Kepler-138d. La planète Kepler-138c est un peu plus dense que la Terre, et donc encore plus massive. Kepler-138d est curieusement très peu dense, moitié moins que la Terre, ce qui indiquerait que l’eau et l’hydrogène entrent pour beaucoup dans sa composition. Et, peut-être aussi, qu’elle s’est formée loin de l’étoile, avant de s’en rapprocher. Enfin, la planète Kepler-138b, deux fois plus petite et également deux fois moins dense que la Terre, est désormais la plus petite et la moins massive des exoplanètes détectées. Du coup, elle ne s’apparente guère à Mars par sa composition, qui pourrait être très riche en glace d’eau et témoigner d’une formation, comme pour Kepler-138c, loin de l’étoile puis d’une migration.

Habitables et habitées ?

Kepler-138, c’est le nom de cette étoile dans le catalogue du télescope spatial Kepler de la Nasa. Ce traqueur d’exoplanètes a été lancé en 2009 et a surveillé plus de 150 000 étoiles, à l’affût des minuscules effets sur leur luminosité par le passage de planètes devant elles, la méthode dite du «transit». Il a détecté 1 028 planètes dites «confirmées» par des observations complémentaires depuis le sol, dont une dizaine de la taille de la Terre. Mais plus de 2 000 «candidates» attendent encore une confirmation. Le télescope de la Nasa fonctionne aujourd’hui sur un mode «dégradé», mais les millions d’observations qu’il a pu faire sont toujours à l’origine de découvertes confirmées.

La première exoplanète a été découverte en 1995, par une équipe franco-suisse dirigée par Michel Mayor, avec un modeste télescope en préretraite à l’observatoire de Haute-Provence, près de Manosque, mais doté d’un spectrographe astucieux. Près de quatre siècles après avoir été brûlé vif à Campo Dei Fiori, à Rome, le 17 février de l’an 1600, Giordano Bruno voyait ainsi sa théorie d’un univers peuplé de mondes innombrables confirmée par l’observation. Depuis la découverte de 1995, près de 2 000 nouvelles exoplanètes se sont inscrites au tableau de chasse des astrophysiciens.

La plupart d’entre elles ont été observées à moins de 400 années-lumière de la Terre, ce qui laisse penser que la galaxie la Voie lactée (d’environ 100 000 années-lumière de diamètre) héberge des milliards de planètes. Ces 2 000 astres ont déjà démontré que, si notre système solaire est un parmi des milliards, il est très singulier. La plupart des systèmes solaires découverts sont en effet très différents, avec des planètes géantes à foison, souvent proches de leur étoile. Mais, comme ce sont justement les deux caractéristiques les moins difficile à observer, il se pourrait que cela ne résulte que d’un biais instrumental.

Ces planètes sont-elles habitables et habitées ? L’habitabilité n’est pas facile à déterminer. Les astrophysiciens inclinent à penser qu’il faut que la planète puisse être le lieu d’un cycle de l’eau, et donc de son état liquide. Mais la température à la surface d’une planète ne dépend pas seulement de sa distance à son étoile et de l’énergie émise par cette dernière. Il faut aussi connaître l’intensité de l’effet de serre de son atmosphère. Trop bas, comme sur Mars, il promet le gel éternel. Trop élevé, comme sur Vénus, il provoque un enfer torride et sec. Pour le savoir, il faudrait étudier la composition chimique de leur atmosphère, et donc capter directement la lumière que les planètes émettent. Afin d’y vérifier si l’atmosphère comporte, comme celle de la Terre, suffisamment de gaz à effet de serre, mais pas trop.

En outre, c’est pour l’instant la seule technique envisagée pour savoir si une planète est habitée - celle consistant à écouter si des ondes radio témoignant d’une intelligence et d’une technologie extraterrestre n’ayant pour l’instant rien donné. L’idée ? Rechercher si l’atmosphère ne contient pas également une forte proportion d’oxygène, très difficile à expliquer par des processus géologiques en l’absence d’une vie du type terrestre.

Un Mégatélescope de 39 mètres

Or, capter le spectre d’une planète et donc commencer à étudier son atmosphère, c’est ce qu’est parvenue à faire une équipe, en avril. Elle est revenue sur la première des exoplanètes détectées, la célèbre 51 Pegasi-b, située à 50 années-lumière de la Terre, dans la constellation de Pegase. Michel Mayor fait d’ailleurs partie de l’équipe d’astrophysiciens, qui comprend notamment Isabelle Boisse du Laboratoire d’astrophysique de Marseille (CNRS).

Leur étude (2) n’envisageait pas de trouver une trace de vie, puisque la planète est une géante gazeuse ressemblant à Jupiter, en plus chaud. Mais elle fait partie des plus proches de la Terre et tourne autour d’une étoile très peu lumineuse. Les conditions les «moins pires» pour capter sa lumière directement. C’est avec un spectrographe installé sur le télescope de 3,60 mètres de l’Observatoire européen austral (ESO) à La Silla, dans les Andes chiliennes, que cette première détection d’un spectre lumineux d’une exoplanète a pu être réalisée. Il a montré que la masse de 51 Pegasi-b est d’environ la moitié de celle de Jupiter, alors que son diamètre semble être supérieur. Il a révélé que son orbite est inclinée de 9 degrés et que sa surface extrêmement réfléchissante.

La nouvelle méthode mise au point à cette occasion ouvre de nouvelles perspectives, car le télescope utilisé est modeste, au regard des 8 mètres du Very Large Telescope (VLT) de l’ESO, sur le mont Paranal, au Chili. Et le spectrographe est déjà ancien. La mise en place d’instruments plus performants sur l’un des quatre 8 mètres du VLT. Le cap décisif sera franchi avec la décision de l’ESO de lancer la construction d’un mégatélescope de 39 m de diamètre sur le Cerro Armazones, au cœur du désert d’Acatama, dans les Andes chiliennes. Avec une telle puissance collectrice de photons, les astrophysiciens peuvent espérer étudier les spectres de nombreuses exoplanètes dans notre petit coin de galaxie. Et nous dire si leurs austères courbes et graphiques recèlent l’annonce de ce que la vie n’est pas une singularité de la Terre et du système solaire. La «première lumière» de ce géant, l’European Extremely Large Telescope (EELT), est pour l’instant prévue pour 2022, au plus tôt. Encore un peu de patience. D’ici là, si les noms franchement abscons de ces planètes (51 Pegasi-b ou Kepler 138-c) vous chiffonnent, il sera bientôt possible de voter pour des appellations plus agréables et faciles à retenir sur le site web (3) de NameExoWordls, lancé par l’Union astronomique internationale.

(1) Daniel Jontof-Hutter et al. Nature du 18 juin 2015.

(2) Jorge Martins et al. Astronomie & Astrophysics, 22 avril 2015.