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Libération
TRIBUNE

Dialogue environnemental : rendons la parole aux citoyens

La fondation Sciences citoyennes propose une méthodologie, presque scientifique, pour assurer un véritable débat public.
par Jacques Testart, Fabien Piasecki et Cyril Fiorini
publié le 24 juin 2015 à 18h16

Pour la Fondation sciences citoyennes (FSC)

Par quels moyens peut-on espérer choisir, pour chaque problématique, la solution supposée approcher au plus près le bien commun ? Ce n'est pas dans les rituels du «débat public» que se définit le bien commun, même ou surtout s'il utilise Internet pour recueillir des paroles plus nombreuses. L'association pour une Fondation sciences citoyennes (FSC) a développé, depuis dix ans, des propositions réellement nouvelles, non seulement, en ce qui concerne la déontologie de l'expertise et la défense des lanceurs d'alerte, mais aussi pour la résolution des controverses par des conventions de citoyens, forme rationalisée des conférences de citoyens.

Or, la commission spécialisée du Conseil national de la transition écologique sur la démocratisation du dialogue environnemental vient de rendre ses conclusions sur ce sujet après plusieurs mois de travaux. Certes, les contributions, comme les conclusions, comportent des idées susceptibles d’améliorer la gouvernance de la concertation, en particulier, l’introduction d’une phase de consultation du public en amont du programme soumis à évaluation, l’élaboration d’un guide de savoir-faire à destination de ceux qui organisent une consultation publique, l’exigence d’indépendance et de compétence des experts, ou encore la traçabilité de la décision des débats publics.

Or, il nous a été refusé d'être auditionnés, et aucune mention à nos travaux n'apparaît dans le rapport. Tout se passe comme si les pouvoirs publics refusaient, a priori, une méthodologie qui conduit à l'expression d'un avis des citoyens plutôt qu'à un fouillis d'opinions parmi lesquelles il est aisé de ne retenir que celles qui ne contredisent pas le projet.

Ce n’est donc qu’une nouvelle resucée de la «participation du public», sollicitant chacun pour émettre son opinion sans que l’on sache d’où il parle, avec quelle connaissance du dossier ? Avec quelle intention ? Alors, comment reconnaître parmi les contributions accumulées celles qui émanent de profanes et celles de lobbyistes ?

Le bien commun ne résulte pas du simple recueil des opinions (c'est là l'affaire des sondages) mais, comme le permet la convention de citoyens, de la mise en œuvre des avis clairement produits par des personnes dénuées d'intérêt pour une solution particulière (tirées au sort), complètement informées sur tous les effets souhaités ou indésirables de chaque solution possible (expertises contradictoires), abritées des pressions et ayant pris le temps de la discussion pour une élaboration collective. Ce dernier point a été d'emblée balayé par la mission confiée à la commission par François Hollande lors de la conférence environnementale (27 novembre 2014) : «Renforcer la transparence et l'efficacité du débat public et l'association des citoyens aux décisions qui les concernent sans allonger les délais des procédures.» La démocratie non bâclée exige du temps, environ neuf mois pour une conférence-convention de citoyens, et il n'y aura pas de «gagnant, gagnant» pour la démocratie tant que les procédures seront guidées par le souhait de ne pas contrarier les projets.

De même, le risque qui serait pris d’un vote des citoyens par un référendum local est-il immédiatement circonscrit et jugé hors des compétences de la commission puisque nécessitant une appréciation politique. Où il est démontré que l’ambition de ce ravalement de façade s’arrête au seuil du politique.

Nous sommes réservés sur le recours au référendum pour des raisons proches de celles qui nous font critiquer la pertinence des forums d'expression et autres «débats publics» et qui tiennent à leurs limites pour définir l'intérêt collectif. Mais, si l'intérêt collectif n'est pas forcément le produit de l'expression générale, surtout quand domine l'abstention, il n'est pas davantage celui de procédures où les experts et les décideurs règnent en maîtres. Or, le rapport ne fait que mentionner la «conférence citoyenne» dans une unique ligne où il évoque en même temps le «forum ouvert» ou le «débat numérique», sans rien dire de ce qui fait de la convention de citoyens une procédure originale et précieuse.

Le rapport évoque ce qu'il nomme un «paradoxal désintérêt du public pour les formes classiques de consultation» et remarque que le public «a le sentiment que tout est déjà joué». Bien vu ! Mais, ce n'est pas avec de tels pansements que la confiance du public reviendra. Encore une fois, le discours masque l'absence d'audace et donc, finalement, un certain mépris de la démocratie.

Dernier ouvrage paru : L'humanitude au pouvoir. Comment les citoyens peuvent décider du bien commun, par Jacques Testart, Seuil, 2015