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Voir Pluton et repartir

Après plus de neuf ans de voyage, la sonde américaine New Horizons a survolé Pluton et sa lune Charon ce mardi, en début d’après-midi. On n’avait jamais vu ces planètes d’aussi près.
La planète naine Pluton, lundi, photographiée par la sonde américaine New Horizons.
publié le 14 juillet 2015 à 17h50

Après neuf ans et demi de voyage presque jour pour jour, la destination a enfin été atteinte : la sonde américaine New Horizons a survolé Pluton en début d’après-midi. Puis elle a jeté un œil à son plus gros satellite, Charon, avant de continuer à tracer sa route à toute allure vers les confins du système solaire. A peine arrivé, et déjà on s’éloigne de la planète (naine) la plus méconnue de notre voisinage.

Il ne reste désormais qu’à attendre les informations et les images enregistrées par la sonde à proximité de Pluton, qui n’arriveront pas sur Terre avant mercredi.

Mais qu’est-ce qu’on fait sur Pluton ?

Au début du siècle (le XXIe, oui), on ne savait pas grand-chose de Pluton. Mis à part qu’il s’agit d’une planète rocheuse, glacée et d’un rayon de 1 150 km environ, soit un peu plus petite que notre Lune. Quant à savoir à quoi elle ressemblait… Les télescopes les plus puissants dont on dispose ne sont pas capables de voir autre chose qu’un petit tas de pixels à une distance de 5 milliards de kilomètres de la Terre. Ci-dessus, la vague idée que s’en faisait le télescope spatial Hubble en 2010.

La Nasa a donc lancé une sonde nommée New Horizons en janvier 2006 pour aller voir Pluton de plus près. La petite bête (478 kilos seulement) est devenue le vaisseau spatial le plus rapide jamais lancé depuis la Terre, une énergie nécessaire pour s'éloigner du Soleil dès son lancement. New Horizons a dépassé Mars, puis a utilisé l'assistance gravitationnelle de Jupiter pour se donner un coup de boost, montant jusqu'à la vitesse de 75 000 km/h. Après, c'était relativement tranquille.

Le voyage s’est bien passé ?

Très bien, merci. En février 2007, ça valait le coup de regarder par la fenêtre : New Horizons a filmé une gigantesque éruption volcanique sur Io, l’une des principales lunes de Jupiter. Le volcan Tvashtar Paterae projetait un panache à 330 kilomètres d’altitude.

On s'est juste rongé quelques ongles jusqu'au sang à la toute fin du trajet, quand au centre des opérations de la Nasa chargé de surveiller New Horizons, les ordinateurs ont déclaré : «OUT OF LOCK.» Plus de connexion. Plus de données. Dans un film hollywoodien, ça aurait pu être le signe que la sonde venait d'être pulvérisée par un débris d'astéroïde de passage. C'était il y a deux semaines, même pas. Le 4 juillet. Il restait alors dix jours avant le moment crucial du survol de Pluton, le seul moment qui importait dans toute la mission, celui qu'on attendait depuis 2006. Dix jours, un problème majeur à régler, et un délai de quatre heures et demie pour communiquer avec la sonde. On essaie de lui demander quel est le problème ? 4,5 heures pour envoyer la question, 4,5 heures pour attendre la réponse. On lui envoie l'ordre de redémarrer le système ? 4,5 heures pour lui transmettre les instructions, 4,5 heures pour voir si ça a marché. A ce rythme, ça risquait d'être la résolution de bug la plus lente de toute l'histoire de l'informatique.

Heureusement, l’équipe de New Horizons a laissé tomber l’idée de déboguer la sonde et a choisi directement de changer sa fréquence d’écoute, pour voir si l’ordinateur de secours n’aurait pas pris le relais. Bingo : lui, il répondait à l’appel. Il s’est finalement avéré que l’ordinateur principal s’était retrouvé saturé d’informations quand il a dû recevoir de nouvelles commandes depuis la Terre alors qu’il s’affairait déjà à compresser des données scientifiques qu’il avait récoltées. C’était trop pour sa petite mémoire. Le PC principal a depuis été réinitialisé. La procédure de retour à la normale a tout de même duré trois jours…

«Aucune vie n'était en danger, mais en termes de réparation critique avec des contraintes de temps et une mise en question du succès de la mission, c'était notre Apollo 13», résume le responsable de la mission Alan Stern au Washington Post, qui raconte très bien l'histoire.

C’est beau Pluton ?

Oui, ça ressemble à Mars, avec un gros cœur au milieu. Les photos envoyées par New Horizons ont été de mieux en mieux résolues, de plus en plus précises jusqu’à ce mardi. On a reçu en début d’après-midi la toute dernière image couleur de la planète naine, enregistrée lundi.

La photo a été prise à 768 000 kilomètres de Pluton lundi. La grande tache en forme de cœur mesure environ 1 600 kilomètres de large. Et tant qu’on est dans les nombres, les nouvelles mesures par New Horizons révèlent que Pluton est plus grande qu’on ne le pensait : son rayon a gagné 30 km, soit une nouvelle estimation à 1 185 km.

Et le survol, alors ?

Ben… On saura mercredi. La sonde est normalement passée au plus près de Pluton ce mardi à 13h49, puis de sa lune Charon à 14h03 (tous les horaires ici), et elle s'est éloignée à la vitesse de 13,8 km par seconde (freiner et se placer en orbite aurait nécessité beaucoup trop d'énergie). Pour ce qu'on en sait, New Horizons a très bien pu s'écraser sur Charon après un bug de trajectoire, ou peut-être que son ordinateur a saturé et bugué et qu'aucune photo n'a été prise ! Mais on va dire que tout s'est bien déroulé, et que la confirmation arrivera sur les serveurs de la Nasa dans quelques heures.

Mercredi, en début d’après-midi heure française, commenceront à être dévoilées les photos en très haute résolution que la sonde a pu prendre. Il faudra ensuite 18 mois pour télécharger l’intégralité des données stockées par la sonde depuis son départ. Le spectacle promet.