Qu’il a duré, le suspense ! Alors que la sonde américaine New Horizons a survolé Pluton mardi à 13h49, heure française, il a fallu attendre une heure avancée de la nuit pour obtenir une confirmation que la rencontre inédite s’était bien passée. Puis, de nouveau, une attente insoutenable (on exagère à peine) jusqu’à mercredi 21 heures et la publication par la Nasa des données scientifiques sur la planète naine, et de trois premières images en haute définition : les montagnes glacées de Pluton en gros plan, sa méga-lune Charon et sa mini-lune Hydre. Ça en valait bien la peine.
Pourquoi une telle lenteur ? D’abord, parce qu’on a attendu que New Horizons accomplisse son programme chargé avant de lui demander des nouvelles : son ordinateur a trop peu de mémoire pour enregistrer des mesures, prendre des photos et communiquer avec la Terre en même temps. Durant son passage au plus près du système plutonien, la sonde a donc travaillé 22 heures non-stop (sans même une pause goûter, la pauvre). Ensuite, une fois confirmé qu’aucun de ses organes vitaux n’avait été transpercé par un gravier de passage, elle a envoyé ses résultats à la Terre à un débit de 2 kilobits par seconde – on est loin de la fibre optique.
Et encore, ce n’est que la version compressée des photos qui a été envoyée sur le champ pour combler l’impatience des Terriens : la version HD reste stockée sur le disque dur de la sonde et suivra dans quelques semaines… ou mois. Enfin, l’équipe dédiée de la Nasa a analysé les premières données reçues, histoire de pouvoir en faire un commentaire intelligent à la conférence de presse de 21 heures, et a retouché les photos, par exemple pour fusionner les clichés noir et blanc (mieux définis) et couleur de la lune Charon. Voilà le résultat, impressionnant :
Charon.
La région sombre en haut, «on l'a surnommée le Mordor», racontait hier soir l'équipe de New Horizons, en référence au Seigneur des Anneaux. Plus sérieusement, il est intéressant d'étudier le relief de cette lune (d'un diamètre de 1200 km). Falaises et fractures creusent la croûte de Charon. En haut à droite de la photo, l'immense canyon a une profondeur estimée entre 7 et 9 kilomètres… Par ailleurs, il y a relativement peu de cratères (contrairement à notre Lune boutonneuse par exemple), ce qui signifie que la croûte rocheuse a été «resurfacée» depuis les bombardements météoritiques que Charon a forcément dû subir. En clair, il y a une activité géologique. Aussi lointain qu'il soit, cet astre n'est pas mort du tout.
En parlant de lunes, New Horizons a aussi photographié la minuscule Hydre, qui tourne autour de Pluton et Charon avec ses copines Nyx, Cerbère et Styx. Vu la taille de ce caillou de 43 sur 33 kilomètres, il n'y a pas grand-chose de plus à voir qu'un tas de pixels. Mais de beaux pixels, attention. Ils permettent enfin d'apprécier sa forme très irrégulière, inconnue jusqu'à hier. «Comme celle de Charon, la surface de Hydre est probablement couverte de glace d'eau», note la Nasa.
Hydre
Et enfin, Pluton la belle. L'équipe de New Horizons a commencé par annoncer que la région de couleur claire en forme de cœur, à la surface de la planète naine, serait nommée Tombaugh. C'est le nom de famille de Clyde William Tombaugh, l'astronome américain qui a découvert Pluton en 1930 (dont les cendres sont d'ailleurs embarquées dans la sonde).
C'est en bas de ce grand cœur que New Horizons a fait péter le super-zoom pour nous montrer en gros plan… des montagnes et des pics hauts de 3 500 mètres. Là encore, aucun cratère n'est visible. La région est donc géologiquement active, et les montagnes âgées de moins de 100 millions d'années. Soit «une des surfaces les plus jeunes qu'on a jamais observées dans le système solaire», souligne Jeff Moore, géologue de l'équipe New Horizons.
Les scientifiques de la Nasa pensent que ces pics sont probablement composés de glace d'eau, qui «se comporte comme de la roche» dans les températures glaciales de Pluton (-233° Celsius à la surface). Par ailleurs, ils sont recouverts de glace d'azote et de méthane.
D'autres photographies et analyses de la région seront publiées vendredi et dans les jours suivants. Il reste notamment à percer les mystères de l'atmosphère de Pluton. La planète naine laisse s'échapper l'azote à une vitesse alarmante : on estime qu'elle en a déjà perdu une couche de 300 mètres à 3 kilomètres depuis la formation du système solaire. Aujourd'hui, il n'y en a presque plus (c'est pourquoi New Horizons devait se dépêcher d'arriver). Mais si son atmosphère était condamnée à disparaître pour toujours, il paraît improbable que nous observions justement Pluton à ce moment précis de son histoire, par hasard. Les scientifiques pensent donc que l'azote est continuellement produit par la planète et renouvelle régulièrement l'atmosphère. Peut-être vient-il de volcans ? «Nous n'avons pas encore trouvé de geysers ni de cryovolcans», explique Alan Stern, responsable de la mission. «Mais nous allons désormais chercher la cause exacte de ce phénomène.»
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