POUR
Même si toutes ses caractéristiques ne sont pas encore connues, Kepler-452b alimente l’espoir des scientifiques et la curiosité du public.
Que faut-il pour être un sosie de la Terre ? Ne pas être trop grosse, comme les géantes gazeuses du type de Jupiter. Etre à la bonne distance de son soleil, ni trop près ni trop loin, afin d’éviter l’excès d’UV ou la congélation, et surtout de s’assurer que de l’eau à l’état liquide puisse exister à la surface, ce qui détermine l’habitabilité d’une planète. Etre dotée d’une atmosphère et constituée de roche. Recevoir, enfin, le bon type et la bonne quantité de lumière. Quelle exoplanète connue à ce jour cumule ces cinq critères ? Aucune. Quelle planète extrasolaire en rassemble trois, et probablement quatre ? Une seule, Kepler-452b. Voici pourquoi, jeudi 23 juillet, la Nasa a mis la communauté scientifique en émoi, convoqué la presse et promis une annonce importante. Kepler-452b est la première, et certainement pas la seule à ressembler, à ce point, à notre petit caillou bleu.
C'est une avancée de la recherche. A 1 400 années-lumière, au fin fond de l'univers (cette «sphère infinie dont le centre est partout et la circonférence nulle part», selon la célèbre formule de Pascal), un satellite décèle la trace la plus probante de l'existence d'un monde similaire au nôtre, dont l'étude pourrait répondre à tant de ces fameuses «grandes questions». Et on voudrait considérer cette avancée de la recherche comme une broutille ?
Une étape. Certes, la masse de cette lointaine cousine, qui permet de déterminer si elle est, oui ou non, constituée de roche, est encore inconnue. «Nous avons des statistiques sur des planètes de cette taille. Dans ce cas, on frise la limite, mais il y a de bonnes chances que Kepler-452b soit rocheuse», explique cependant François Forget, directeur de recherche au CNRS. Certes, la présence d'une atmosphère est incertaine. Le télescope James-Webb, dont le lancement est prévu en 2018, pourrait toutefois détecter les «raies spectrales» de Kepler-452b et lever le doute sur son atmosphère.
Trouver une exoplanète qui ressemble à la Terre relève toujours de la prouesse, et en détecter une «autour d'une étoile similaire au Soleil est extrêmement difficile. Nous ne pouvons pas avoir toutes les réponses d'un coup !» confirme Anne-Marie Lagrange-Henri, de l'institut de planétologie et d'astrophysique de Grenoble. «La Terre est minuscule. Trouver une planète de cette taille est très compliqué, détaille Christophe Galfard, docteur en physique théorique. Le problème n'est pas de savoir si des Terre bis existent, c'est de les détecter. Pour l'heure, la liste de ces exoplanètes est elle aussi minuscule.»
D'autre part, Kepler-452b renforce un domaine scientifique encore jeune. «Répertorier les planètes, multiplier les observations, va permettre d'établir et de vérifier des lois scientifiques, prévoit l'auteur de l'Univers à portée de main (1). L'exobiologie, qui était une discipline purement théorique il y a quelques années, est devenue une science expérimentale.»
«Ça ne fait que vingt ans qu'on découvre des exoplanètes, rappelle Anne-Marie Lagrange-Henri. A l'échelle de la recherche, c'est tout petit. C'est une étape très intéressante.» D'autant que le duo formé par Kepler-452b et son étoile est plus vieux d'1,5 milliard d'années que la Terre. Il est donc susceptible de nous donner des indications sur l'avenir de la planète bleue et de notre système solaire.
Salutaire. C'est enfin un message positif pour le monde. «Présenter ce genre de découverte permet de mettre le grand public à jour au sujet de l'avancement de nos travaux, analyse Christophe Galfard. Il s'agit de dire où nous en sommes dans la connaissance de notre univers. C'est un message qui fait du bien à nos sociétés. La science est un outil fédérateur parce qu'elle travaille pour l'humanité. Par définition, la recherche fondamentale n'a pas de vocation pratique, elle est gratuite. Des armées d'ingénieurs brillants sont là pour trouver des applications.» Les découvertes de ce type sont, d'après lui, le carburant de la science : «Kepler-452b alimente les rêves de la vie extraterrestre et de l'exploration d'autres planètes. Ce rêve, cette curiosité, c'est l'essence même de toute recherche. C'est en voulant savoir qu'on découvre, pas en restant chez soi.»
Les plus sceptiques rappelleront que l’exoplanète de la constellation du cygne est 2,8 millions de fois plus éloignée de la Terre que Pluton, que la sonde New Horizons a mis neuf ans et demi à atteindre. En effet, Kepler-452b nous est plus que probablement inaccessible. Le fait que la première cousine de notre foyer soit si lointaine sonne comme un rappel salutaire : nous n’avons aujourd’hui qu’une unique maison, la Terre. Il s’agirait d’en prendre soin.
(1) Flammarion, juin 2015
L.N.
CONTRE
La découverte de cette exoplanète est importante mais n’a rien de révolutionnaire. La composition de l’astre est encore inconnue.
OK, Kepler-452b a des mensurations proches de la Terre. OK, son soleil à elle est du même genre que le nôtre. OK, la planète se trouve en «zone habitable». So what ? serait-on tenté de dire. C'est une trouvaille importante pour la communauté scientifique, mais cela s'arrête là pour le moment. Depuis 1995 et la découverte de la première exoplanète, 51 Pegasi b, en orbite autour d'une étoile située à quarante années-lumière de nous, Kepler-452b serait donc la seule à cocher ces trois critères parmi les 2 000 détectées en vingt ans. Pourtant, «des annonces, il y en a tous les six mois», observe François Forget, planétologue à l'institut Pierre-Simon-Laplace.
Savoir si oui ou non, les conditions qui règnent sur cette planète lui permettent d'abriter une éventuelle forme de vie intéresse tout le monde. Or, ce que la Nasa nous apprend d'elle n'aide pas beaucoup. «On parle de zone habitable pour définir la fourchette d'orbites dans laquelle il n'est pas impossible qu'une planète possède de l'eau liquide à sa surface, poursuit le chercheur. Mais ça ne veut en aucun cas dire qu'elle est effectivement habitable.» Et encore moins qu'elle héberge, a hébergé ou hébergera des organismes vivants.
Différente.De cette nouvelle venue dans l'inventaire planétaire, on ne connaît que la période de révolution (385 jours, 20 de plus que chez nous) et le diamètre (1,6 fois plus grand). «On dit que cette planète est similaire à la Terre, mais elle est quand même bien plus grosse», tempère Emeline Bolmont, astrophysicienne à l'université belge de Namur. S'agit-il d'une planète rocheuse, comme la nôtre, ou plutôt océanique, voire gazeuse ? «On ne pourra s'en faire une idée qu'en déterminant sa masse», précise la scientifique qui, en avril 2014, découvrait elle-même une exoplanète, Kepler-186f, de taille plus proche de la Terre mais à l'étoile bien différente.
Connaître la masse permettrait de déduire la densité de l'astre, puis de deviner sa composition par comparaison aux planètes déjà observées. Mais la partie est loin d'être gagnée. Pour trouver le diamètre, les astrophysiciens de la Nasa ont eu recours à la méthode du transit : ils ont scruté la variation de lumière émise par Kepler-452b lorsqu'elle se trouvait derrière son étoile. «On ne pourra pas aller beaucoup plus loin dans son observation, parce que sa lumière est faible et qu'elle est mal située par rapport aux télescopes terrestres», assure Jean Schneider, grand spécialiste des planètes extrasolaires à l'observatoire de Paris. Une autre méthode devra donc être utilisée pour obtenir la masse. Celle des vitesses radiales, qui consiste à mesurer la perturbation gravitationnelle qu'elle exerce sur son soleil ? Les scientifiques sont partagés. «C'est une petite planète autour d'une grande étoile. Difficile de dire quand il sera possible d'évaluer sa masse», explique François Forget.
Quant à y déceler la vie… A la vitesse de la lumière, encore loin d'être atteinte, une sonde envoyée sur place mettrait au minimum 2 800 ans pour revenir sur Terre. Le chercheur évoque cependant «des projets de télescopes extrêmement performants, qui permettraient d'obtenir des spectres d'une qualité assez bonne pour y lire la présence d'oxygène ou d'ozone, des gaz qui ne sont pas censés se trouver naturellement sur une planète, et motiver des recherches plus poussées». Tout se fera donc par étapes.
Effet d'annonce. Cela justifie-t-il de fantasmer sur chaque découverte, comme celle annoncée par l'agence spatiale américaine, au motif que l'astronomie est une science excitante ? «La Nasa a un service de communication très important, qui a parfois tendance à exagérer», note Christophe Galfard, docteur en physique théorique et auteur de l'Univers à portée de main. «Il y a un effet d'annonce. On ne connaîtra l'importance de cette découverte que plus tard, lorsque la masse et la présence ou non d'une atmosphère seront connues.» Jean Schneider ne dit pas autre chose : «La Nasa fait tout un foin avec Kepler depuis dix ans pour justifier les 600 millions de dollars qu'a coûté ce télescope spatial. Il s'agit d'une découverte moyennement importante.» Pour Emeline Bolmont non plus, elle n'est «pas fantastique».
D'ici à ce que «452b» se révèle, on peut mettre de côté l'idée d'une Terre bis ou d'une jumelle. Une vieille cousine éloignée à la rigueur… «Le peu qu'on en sait porte à croire que les conditions y sont bien différentes que sur Terre», pointe Emeline Bolmont. «Et trouver un clone de notre planète est beaucoup moins intéressant que d'en découvrir une différente où la vie serait possible», glisse Jean Schneider. Vingt ans après la première exoplanète, le géocentrisme a, quant à lui, déjà pris un sérieux coup de vieux.
G.S.