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Libération
Merci de l'avoir posée

Comment on compte les étoiles ?

L’agence spatiale européenne a publié le premier catalogue d’étoiles de son satellite Gaia, lancé en 2013. Plus d’un milliard d’étoiles sont répertoriées, ce qui en fait la carte la plus précise jamais établie de notre Voie lactée.
La première carte galactique du satellite Gaia, annotée avec quelques objets remarquables. (Image ESA/Gaia/DPAC)
publié le 15 septembre 2016 à 16h37

1,15 milliard d’étoiles, dont 3 000 à l’éclat variable et 2 millions dont on connaît la distance et la vitesse de déplacement par rapport au Soleil, plus 250 000 quasars (des petites galaxies avec un trou noir très lumineux)… Le bilan d’étape du satellite européen Gaia, publié aujourd’hui, est une avalanche de chiffres. Entre sa mise en route en juillet 2014 et le mois de septembre 2015, le satellite a pris des tonnes de photos, qui ont ensuite été analysées et traitées durant des mois par une équipe d’ingénieurs. Ils en ont tiré un premier catalogue d’étoiles et une carte de notre galaxie, dont les images en haute définition sont très belles.

Ce milliard d'étoiles répertoriées représente une toute petite portion (1% maximum) des astres qui peuplent la galaxie – les plus brillantes d'entre elles. Et ce n'est qu'un début : Gaia va continuer à étudier la Voie lactée jusqu'en 2019, en photographiant toujours les mêmes objets pour comparer les résultats, en déduire le mouvement des étoiles, et mettre à jour la base de données plusieurs fois. «Dès l'automne 2017, de nouveaux résultats seront publiés, avec cette fois les vitesses et les distances du 1,15 milliard d'étoiles du catalogue», explique Olivier La Marle, responsable du thème astronomie-astrophysique au Centre national d'études spatiales (Cnes). On aura aussi l'an prochain «leur photo d'identité (température, âge, composition…)»

Mais d’abord, comment compte-t-on un milliard d’étoiles ?

1, 2, 3…

A l'époque d'Hipparque (autour de l'an -150), on les comptait à la main.

L'astronome grec s'était spécialisé dans le champ d'études qu'on appelle aujourd'hui astrométrie, et qui consiste à déterminer la position, la distance et le déplacement des astres dans le cosmos. Pour la position, c'est relativement simple. Hipparque regardait le ciel à l'œil nu (les télescopes n'existaient pas encore) et s'aidait d'une armille, un instrument circulaire, pour noter l'emplacement des étoiles les unes par rapport aux autres. Car on ne peut pas dessiner la carte du ciel sur un simple rectangle : la voûte céleste est une sphère, et la distance entre les étoiles qui s'y trouvent doit se mesurer comme un angle le long d'un cercle.

Hipparque a ainsi répertorié 850 étoiles, accompagnées de leur déclinaison et ascension droite – des valeurs toujours d'actualité en astronomie –, mais aussi de leur longitude, en s'appuyant sur plusieurs systèmes de coordonnées pour définir leur position dans le ciel.

Hipparque a aussi inventé la première échelle de magnitude, pour classer les étoiles selon leur luminosité apparente : les vingt étoiles les plus brillantes du ciel étaient notées 1, celles un peu moins lumineuses 2, puis 3, et ainsi jusqu’à 6, qui étaient à la limite de la visibilité à l’œil nu. C’est, en gros, toujours l’échelle en usage aujourd’hui, mais nous classons quelques astres à une magnitude inférieure à 1 (l’étoile Vega, qui est au zénith durant nos nuits d’été, est par exemple à 0) et nos instruments modernes permettent de voir des étoiles jusqu’à une magnitude de 30 environ.

D’Hipparque à Hipparcos

Les catalogues d'étoiles se sont étoffés quand on a commencé à s'aider d'instruments optiques pour scruter le ciel, découvrant de nouvelles étoiles plus faibles, et la mesure de position des étoiles a été grandement facilitée par l'arrivée de la photographie. Plus besoin de se reporter constamment au ciel : on a pu noter les coordonnées des étoiles et mesurer leur luminosité directement depuis les premières photos du ciel sur plaque de verre, avec une loupe ou un microscope. Ce fut à la fin du XIXe siècle une tâche longue et répétitive, que les astronomes masculins de l'observatoire de Harvard ont confié à une équipe de femmes sous-payées (certaines sont ensuite devenues d'éminentes spécialistes des étoiles variables ou de la classification des astres, comme Williamina Fleming ou Annie Jump Cannon).

En 1989, enfin, le catalogage d'étoiles est passé en mode turbo avec le lancement du satellite Hipparcos, le premier engin spatial entièrement dédié à l'astrométrie. Equipé de très bons capteurs, il a accumulé les images en haute définition en passant plusieurs fois dans chaque zone du ciel, pour noter les variations de luminosité, entre autres. Il savait aussi analyser la lumière émise par les étoiles pour en apprendre plus sur son type : s'agit-il d'une naine bleue, d'une géante rouge en fin de vie ? Depuis la fin du XXe siècle, le traitement des images est partagé entre l'informatique et les humains.

Quatre ans de mission ont permis à Hipparcos de constituer plusieurs catalogues. Tycho-1 et Tycho-2 comptent 2,5 millions d’étoiles différentes, mais avec des informations basiques sur chacune d’entre elles, tandis que le catalogue Hipparcos publié en 1997 s’arrête à 118 218 étoiles, mais il est beaucoup plus précis. Ces chiffres permettent de mieux apprécier le saut quantitatif amené par Gaia et son 1,15 milliard d’astres…