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Libération
Disparition

John Glenn, mort d'un héros américain de l'espace

Deuxième homme à avoir bouclé une orbite terrestre après Youri Gagarine, charismatique sénateur, l'Américain John Glenn, s'est éteint ce jeudi à 95 ans.
John Glenn durant son vol historique, en 1962. (Photo Nasa)
publié le 9 décembre 2016 à 16h48

«Godspeed, John Glenn», avait lâché Scott Carpenter, le «capcom» de la Nasa, l'homme chargé de communiquer avec l'astronaute depuis le centre de contrôle au sol, avant que le compte à rebours final se s'enclenche. C'était un vœu de bonne réussite, une façon de lui souhaiter bonne chance pour la dangereuse aventure – un genre de «Que la force soit avec toi» qui est resté dans l'histoire de l'astronautique. Puis la fusée Atlas a décollé, propulsant l'Américain dans l'espace. «Godspeed, John Glenn», ont répété sur les réseaux sociaux, dans des articles, des billets de blog, des communiqués et des hommages, tous les passionnés d'exploration spatiale qui se souviennent encore de ce 20 février 1962. Jeudi, le premier Américain à avoir bouclé une orbite de la Terre a poussé son dernier soupir.

«Si vous n'avez pas lu L'étoffe des héros de Tom Wolfe ou si vous n'étiez pas encore né à l'époque, il peut être difficile d'imaginer l'excitation et le suspense qui entouraient le voyage spatial de John Glenn, témoigne l'éditorialiste Rick Moran. Je me souviens de ma mère qui priait, agenouillée devant la télé, alors que la fusée quittait sa base de lancement.»

Ce n’était pourtant pas la première fois que les Etats-Unis bombardaient un homme dans l’espace : Alan Shepard en avait déjà franchi la frontière en mai 1961, montant à 187 kilomètres d’altitude avant de retomber sur Terre quinze minutes plus tard. Virgil Grissom l’a suivi, imitant la performance. Mais c’est un an plus tard seulement que la Nasa a disposé d’une fusée assez puissante pour placer un vaisseau en orbite terrestre. Il était temps ; le retard pris sur les Soviétiques commençait à devenir gênant. Youri Gagarine avait accompli son tour de Terre dès avril 1961.

John Glenn entrant dans la capsule qu’il a lui-même baptisée Friendship 7 (comme les 7 astronautes du programme Mercury).

Moyennement au point, la fusée Atlas a heureusement rempli son rôle, mais la capsule Friendship 7 ne peut pas en dire autant. D’abord, le système de contrôle d’orientation automatique est tombé en panne, et John Glenn a dû stabiliser le vaisseau à la main après son premier tour de la Terre. Puis la Nasa lui annonce que le bouclier thermique n’est pas correctement attaché à la capsule, compromettant son retour dans l’atmosphère – sans bouclier, les frottements de l’air feraient rôtir la capsule et son occupant. Très rassurant… La procédure d’atterrissage a donc été modifiée pour solliciter le moins possible le bouclier, et après un retour optimal, il s’est avéré que le bouclier n’avait jamais eu de problème : c’est un capteur qui avait bugué.

Le marcheur lunaire Buzz Aldrin se rappelle ses années de formation : «J'ai rencontré John Glenn en 1953 quand j'étais pilote de chasse en Corée du Sud». Pilote privé à 20 ans, Glenn s'est engagé volontairement dans l'armée de l'air américaine et affronte les Japonais en 1944. Il fait ensuite la guerre de Corée, entraîne des pilotes débutants puis passe pilote d'essai pour tester et améliorer de nouveaux modèles d'avions à réaction. A la fin des années 1950, il collabore avec la Nasa qui avait besoin d'un pilote pour tester un simulateur. En 1959, il est recruté dans le tout premier groupe d'astronautes de l'histoire américaine : les mythiques «Mercury Seven».

Les Mercury Seven en juillet 1962. John Glenn est en haut à droite. Photo Nasa

Ces 7 astronautes, choisis parmi les pilotes militaires sans considération pour un éventuel bagage d’ingénieur ou diplôme universitaire, ont été les champions du programme spatial Mercury, premier chapitre de la grande course à l’espace qui a opposé les Etats-Unis et l’Union soviétique des décennies durant. Le programme Mercury visait à envoyer un homme dans l’espace avant les Russes, lui faire faire une orbite et le récupérer à terre sain et sauf. Alan Shepard et Virgil Grissom ont ouvert la marche ; John Glenn a décroché son exploit avec la première orbite, puis Scott Carpenter – l’auteur du fameux «Godspeed» – a pris la relève.

John Glenn en 1998, essayant son costume au centre des astronautes de Houston avant son départ dans la navette

Discovery

.

Ce n'était qu'un début pour le Youri Gagarine américain, qui a cumulé les records. John Glenn est l'astronaute ayant patienté le plus longtemps entre deux vols spatiaux – trente-six ans – Ce qui l'a mené à devenir aussi, en 1998, le plus vieil homme à partir dans l'espace. La mission STS-95 l'a embarqué à bord de la navette Discovery pour plus d'une semaine. Le bonhomme avait 77 ans, et sa forme physique ne devait pas être éblouissante… mais c'était justement le but : Glenn a servi de cobaye âgé pour une brochette d'expériences médicales sur la perte de masse musculaire et de densité osseuse en apesanteur, la perte d'équilibre, les cycles de sommeil et le système immunitaire.

John Glenn à bord de la navette

Discovery,

en 1998. Photo Nasa

Sa sélection pour cette mission gériatrique a fait couler beaucoup d'encre aux Etats-Unis. Etait-ce une faveur du président Clinton ? Un honneur bien mérité pour le héros de l'exploration spatiale ? Un forcing de John Glenn auprès de la Nasa pour retourner dans l'espace après des années de frustration, car on n'osait pas faire courir un risque vital à la star ? Toutes les rumeurs ont couru. «S'il était une personne normale, il aurait admis qu'il est un grand héros américain et qu'il a le droit à un tour gratuit dans la navette, écrivait John Pike, un responsable de la fédération des scientifiques américains. Il est trop modeste pour ça, donc il a dû trouver cette excuse de recherche médicale. Mais ça n'a rien à voir avec la médecine.»

John Glenn et le président John F. Kennedy en 1962.

Entre-temps, l’astronaute pionner était devenu sénateur… «Héros» acclamé par tout un pays, paradant en voiture à côté du président Kennedy pour célébrer l’exploit national, John Glenn a rapidement quitté la Nasa pour embrasser une carrière politique. Le procureur général des Etats-Unis et frère du président, Robert Kennedy, avait repéré son charisme et son potentiel. Glenn se présente plusieurs fois aux primaires du parti démocrate pour devenir sénateur, échoue plusieurs fois, mais finit par être élu en 1974. On lui doit l’Acte de non-prolifération nucléaire en 1978. Il a voulu devenir président des Etats-Unis, mais n’a pas passé les primaires. Réélu sénateur trois fois, il n’abandonne la politique qu’en 1999.

Mort à 95 ans dans la ville de Colombus (Ohio), affaibli par un accident vasculaire cérébral et une opération récente du cœur, John Glenn était le dernier des Mercury Seven. Une page de l’histoire spatiale se tourne.