Dans le réservoir sans fond des mystères de l'univers et des phénomènes que l'humain est encore trop petit pour comprendre, il y a les sursauts radio rapides, parfois détectés par les radiotélescopes terriens. De puissants signaux d'ondes radio, mais très brefs – quelques millisecondes à peine. On en a relevé un en 2001 à l'observatoire de Parkes en Australie, puis l'observatoire d'Arecibo, à Porto Rico, en a entendu lui aussi en 2012. En 2015, c'était au tour du radiotélescope de Green Bank aux Etats-Unis… Mais d'où viennent ces signaux éclairs ?
Pas de la Voie lactée, a priori. «Les mesures de dispersion sont plus grandes qu'attendu pour une source au sein de notre galaxie», rappelaient en 2015, dans Nature, les astronomes qui ont planché sur le sursaut FRB (fast radio burst) 110523. Si les ondes radio se sont tant dispersées avant de venir aux oreilles de nos télescopes, c'est qu'elles viennent de plus loin.
Sont-elles produites par une fusion de trous noirs, un phénomène assez puissant pour générer des ondes de choc qui déforment l'espace-temps – les fameuses ondes gravitationnelles ? Peut-être. Par une collision d'étoiles à neutrons, ces astres ultra-denses qui restent parfois après l'explosion d'une étoile en supernova ? Peut-être. On liste les phénomènes, prouvés ou hypothétiques, qui seraient assez puissants pour émettre un tel signal (et on se méfie des micro-ondes, qui ont une fâcheuse tendance à laisser fuiter des ondes confondues avec les sursauts radio rapides).
Tant qu'à spéculer, les chercheurs américains Manasvi Lingam et Abraham Loeb sont allés au bout du délire : peut-on imaginer que les sursauts radio aient une origine artificielle ? Leur article paru la semaine dernière dans The Astrophysical Journal Letters (et lisible en ligne) «examine la possibilité que les sursauts radio rapides puissent être produits par l'activité de civilisations extragalactiques».
Mettons que les aliens voyagent dans l'espace avec de grands voiliers. Mettons que ces voiles sont poussées non pas par les radiations des étoiles, comme les voiles solaires, mais par des émetteurs d'ondes radio fabriqués par les petits hommes verts – «certainement pas une idée nouvelle, précisent Lingam et Loeb, puisqu'elle date d'un papier de 1959 par Cocconi & Morrison, et a été creusée par des chercheurs du programme SETI». Eh bien, en considérant la faisabilité de ce projet extraterrestre en termes d'énergie et d'ingénierie, nos deux astrophysiciens rattachés à l'université de Harvard pensent que ce n'est pas inimaginable sur une «grande planète rocheuse» d'une autre galaxie. Le rayon émis par la planète pour faire voguer le voilier serait continu, mais comme leur galaxie se déplace par rapport à la nôtre, il passerait seulement un instant dans l'axe idéal pour être perçus par nos radiotélescopes, nous explique-t-on.
Est-ce que ça valait vraiment la peine d'y consacrer des mois de calcul ? Quand on lui demande s'il croit vraiment à son hypothèse de voiliers extraterrestres, Loeb répond : «La science n'est pas une affaire de croyance, c'est une affaire de preuves. Si on décide à l'avance ce qui est vraisemblable, on limite les possibilités. Ça vaut le coup de proposer des idées et de laisser juges les futures données sur les sursauts radio.»