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Venµs, un œil sur le changement climatique

Le micro-satellite lancé cette nuit depuis la Guyane va observer l’évolution des sols terrestres en revisitant les mêmes zones tous les deux jours.
Le satellite Venµs photographie la surface de la Terre dans douze longueurs d'ondes différentes. (Vue d'artiste. Cnes)
publié le 2 août 2017 à 13h25

La fusée Vega a déchiré le ciel nuageux à 22h58 et 33 secondes locales. En métropole, on était déjà mercredi 2 août, et peu d’amateurs de décollage ont réglé leur réveil en plein milieu de la nuit pour voir partir le plus léger des lanceurs européens – à peine un missile par rapport à la grosse Ariane 5. Mais à Kourou (Guyane française), les principaux intéressés étaient au rendez-vous : scientifiques, politiques et responsables des agences spatiales de trois nationalités. Les Italiens sont venus assister à la mise en orbite d’Optsat-3000, leur nouveau satellite de reconnaissance militaire construit par Israel Aerospace Industries (IAI). Les Français du Cnes, eux, occupaient un autre étage sous la coiffe de la fusée avec Venµs, un satellite scientifique lui aussi de construction israélienne, chargé d’observer, à la surface de la Terre, l’évolution de la végétation et de l’environnement.

Les deux machines ont correctement été larguées quelques minutes après le décollage, et la planète bleue compte aujourd’hui un nouvel observateur de son changement climatique. Un tout petit observateur, d’ailleurs : le caractère «µ» de l’acronyme Venµs rappelle qu’il s’agit d’un micro-satellite, d’à peine 264 kilos pour une envergure de quatre mètres… panneaux solaires compris. Petit, léger, pas cher, et pourtant capable de mitrailler les sols terrestres plus vite que son ombre : c’est en jouant sa carte Speedy Gonzales que Venµs veut préfigurer une nouvelle génération de satellites d’observation.

«La spécificité de Venµs, c'est vraiment la revisite à deux jours», nous explique Gérard Dedieu, responsable scientifique de la mission au Cnes. Cela signifie qu'avec son orbite «héliosynchrone quasi polaire», la caméra (française) du satellite balaie une même région de la Terre tous les deux jours à la même heure, pour bénéficier des mêmes conditions d'ensoleillement et de luminosité. Il y a certes quelques nuages qui peuvent gâcher la photo, sans parler des aérosols (poussière, fumées, pollution)… Mais les ingénieurs toulousains savent aujourd'hui combiner plusieurs clichés pour en soustraire ces nuages, qui se sont forcément déplacés entre les prises de vues. Ainsi, ils comptent produire tous les cinq à dix jours une image en haute résolution et sans élément perturbateur. Les satellites actuels qui surveillent l'environnement, comme les européens Sentinel, ont un rythme beaucoup moins soutenu.

Et que fera-t-on de ces belles images sans nuages, dont le traitement et la diffusion seront à la charge du Cnes (pendant qu’Israël contrôlera la trajectoire du satellite au quotidien) ? Absolument ce qu’on veut. Venµs prend ses photographies en douze bandes spectrales simultanées, c’est-à-dire que sa caméra capte la lumière dans douze longueurs d’onde différentes, allant du bleu au proche infrarouge. Les scientifiques qui analyseront ces images choisiront la longueur d’onde qui leur convient selon leur domaine d’étude : certaines font ressortir la végétation et le jaunissement des feuilles, d’autres permettent de mieux repérer les feux de brousse…

Progression des glaciers, couverture neigeuse ou gestion de l’eau pour les cultures : l’usage qui sera fait des clichés est aussi varié que les équipes de chercheurs impliquées dans le projet. Aux quatre coins du monde, ils ont pu proposer en 2013 les sites terrestres les plus propices à une surveillance par Venµs, lors d’un appel à candidatures du Cnes. 110 lieux ont finalement été retenus, dont presque un quart aux Etats-Unis. Le Brésil (8% des sites), la France et l’Australie (5%) sont les pays suivants les plus privilégiés, alors que les pays arabes se font cruellement remarquer par leur absence dans ce projet franco-israélien.

Un bond technologique pour les missions climatiques

La mission scientifique de Venµs se terminera après deux ans et demi. Le micro-satellite sera ensuite confié intégralement à l'agence spatiale israélienne, qui veut tester sur lui un moteur à propulsion électrique – à la clé, de futurs satellites moins gourmands en carburant, et qui vivront plus vieux en compensant le frottement de l'atmosphère qui les freine. Il faudra pour cela baisser l'altitude de Venµs, de 720 à 410 kilomètres, en six mois. N'est-il pas dommage, à l'heure de la COP 23, de sacrifier si vite un témoin du réchauffement climatique pour faire joujou avec des moteurs électriques ? Le chef du projet au Cnes, Pierric Ferrier, planche sur le sujet depuis dix ans mais n'en semble pas peiné : «Venµs va surtout démontrer un concept, en observant deux cycles complets de la végétation dans l'hémisphère nord et l'hémisphère sud. Il aura ensuite rempli sa mission, et n'aura plus de raison d'être.»

Avant même la production de la première image, attendue pour le 17 août si l’étalonnage se passe bien, le travail colossal qui aura été produit pour améliorer les algorithmes de traitement photo promet un bond technologique pour les futures missions climatiques. Ce qui a été appris avec Venµs sera d’abord appliqué aux satellites Sentinel, dont la constellation va continuer de grandir dans les prochaines années. Et pour après-demain, on cherche à atteindre une fréquence de photographie journalière pour suivre au plus près les changements brutaux d’occupation des sols, liés à une catastrophe naturelle par exemple, et on imagine même un système d’alerte précoce quand l’environnement aura manifestement été bouleversé.