Le Joker dans la saga Batman, Twisty dans la série American Horror Story. Ou encore Grippe-Sou, qui sera, le 20 septembre, à l'affiche d'un nouveau film adapté du roman Ça de Stephen King. Les clowns machiavéliques sont très présents dans la culture populaire. La World Clown Association, qui représente les professionnels du monde entier, a même accusé récemment dans un communiqué auteurs et réalisateurs d'avoir déformé l'image d'un personnage «comique et inoffensif». Au point de renforcer des craintes largement répandues dans la société.
S'affoler, se pétrifier, défaillir… Telles peuvent être les réactions des personnes souffrant de coulrophobie, la peur inexpliquée des clowns (le préfixe coulro venant du grec ancien désignant un «acrobate sur des échasses»). Un phénomène réel même si sa fréquence ou son ampleur n'a pas encore fait l'objet d'études. «Le système de la peur est très robuste, indique à Libération le professeur Antoine Pelissolo, chef du service de psychiatrie de l'hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne). Il s'agit, à l'origine, d'un réflexe de survie.» Classée en tant que «phobie spécifique», la peur des clowns ne découle généralement pas d'une autre anxiété chez la personne qui en souffre.
A l’origine de la coulrophobie
Selon les experts-psychiatres, trois facteurs peuvent expliquer une coulrophobie. Le plus fréquemment, la raison est d'origine biologique. «Quand on ne parvient pas à décoder le visage d'une personne, on la perçoit comme menaçante», explique Antoine Pelissolo, qui cite la forme des yeux ou du sourire. Certains peuvent aussi développer une coulrophobie du fait d'expériences traumatisantes. «Un événement peut marquer la mémoire, même de manière inconsciente», rappelle le psychiatre, qui prend en exemple un oncle déguisé lors d'une fête de famille. Enfin, il ne faut pas sous-estimer les conséquences psychologiques de ce que nous raconte notre entourage ou des films que l'on peut être amené à regarder. «Cela concerne davantage les adultes, constate le professeur Pelissolo. La phobie ne peut pas être déclenchée par ce biais, mais cela peut participer au maintien de la peur dans le temps.»
Ces dernières années, aux quatre coins du monde, des plaisantins ont surfé sur cette peur en se déguisant en clowns dans le but de terroriser les passants. Comme l'été dernier, dans les rues américaines. Ces «creepy clowns» (clowns effrayants, en français), comme les a surnommés la presse anglo-saxonne, avaient aussi frappé en France en 2014.
Surmonter sa peur
S'atténuant le plus souvent au sortir de l'enfance, la peur des clowns peut néanmoins persister à l'âge adulte. Les spécialistes estiment pourtant que quelques bonnes habitudes suffisent pour s'en débarrasser – le fait d'empêcher les enfants de se confronter à leurs peurs n'en faisant pas partie. «Eviter de faire face à ses angoisses ne fera que les alimenter, indique Antoine Pelissolo. C'est valable pour la peur du noir comme pour les clowns.»
Au fil des consultations, les spécialistes se sont aperçus que les coulrophobes parlaient plus librement de leur peur que les patients souffrant d'autres phobies. Un avantage non négligeable, selon le professeur Pelissolo, qui résume la démarche des psychiatres pour aider les personnes phobiques : «Dédramatiser, s'analyser, se confronter.»
Avant toute chose, le patient doit prendre conscience qu'il n'a aucune raison de se culpabiliser pour une peur qu'il ne contrôle pas. Ensuite, une thérapie comportementale en deux temps se révèle très efficace dans ce genre de phobie. Dans un premier temps, la personne concernée doit remonter aux origines du trouble : «Comment puis-je expliquer que je redoute de me retrouver au contact d'un clown, au vu de mes expériences passées ?» explicite le psychiatre. Puis, dans un second temps, il convient de «désensibiliser sa peur» pour se familiariser avec ce qui nous angoisse. Pas le choix, la guérison passera par des images de clowns ou des spectacles de cirque… Mais le professeur Pelissolo l'assure : «On finit par se rendre compte qu'on avait davantage peur d'avoir peur qu'autre chose.»