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Océans

L'activité humaine asphyxie les zones côtières

Une part de plus en plus vaste des océans est dépourvue d'oxygène. Alors que la biodiversité marine peine à y vivre, l'homme continue d'aggraver ce phénomène de «zones mortes». Les scientifiques blâment les pesticides et le réchauffement climatique.
La plage de Calvert Cliffs Satet Park dans la baie de Cheasapeake au Maryland (Etats-Unis). La baie a été le premier endroit de la planète à être déclarée «zone morte». (Photo Daniel Slim. AFP)
publié le 13 septembre 2017 à 16h35

Immobiles, les crustacés et les coraux y meurent. Les poissons, eux, les fuient. La biodiversité marine a bien du mal à composer avec les «zones mortes», pauvres en oxygène. Maroc, Pérou, Californie… On en dénombrerait plus de 400 autour du globe. D'une superficie totale de 245 000 kilomètres carrés, le plus souvent le long des côtes ouest des continents. Le phénomène est vieux comme le monde. Mais l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique (NOAA) a découvert récemment que celle bordant le sud des Etats-Unis, dans le golfe du Mexique, avait grossi de 3% en quinze ans. Son étendue est aujourd'hui estimée à 22 000 kilomètres carrés.

«Des météos extrêmes ou des courants marins particuliers ont pu créer ces zones de manière naturelle», explique à Libération Paul Tréguer, biogéochimiste et fondateur de l'Institut universitaire européen de la mer (IUEM) de Brest. Mais, ces dernières décennies, l'activité humaine amplifie le phénomène. En plus de se multiplier, les zones mortes s'étendent. Ainsi, constatant l'augmentation de celle du golfe du Mexique, la NOAA note amèrement : «La pollution agricole et urbaine, qui s'écoule dans le fleuve Mississippi, continue d'affecter les ressources côtières et les habitats aquatiques.»

Les fertilisants dans le viseur

L'agriculture et les élevages seraient à l'origine de l'extension des zones mortes, constatée sur tous les continents. «Les fertilisants utilisés par les professionnels aggravent le phénomène», confirme Paul Tréguer. Rejetés dans l'eau, les nutriments contenus dans ces produits s'accumulent et favorisent l'apparition d'algues. Pour se décomposer en microbes, ces dernières absorbent une très grande quantité d'oxygène. En résulte une demande plus forte, bien supérieure à ce que le milieu aquatique peut fournir, «étouffant alors les océans».

De la mer Baltique, en Europe du nord, à la baie du Bengale, au large de l'Inde : l'utilisation des engrais agricoles nuit aux côtes. Si Paul Tréguer estime qu'à ce stade les zones mortes ne représentent pas une menace globale, il considère néanmoins que le phénomène est «alarmant». Pour lui, une part de la réponse est à trouver au niveau politique. «C'est facile de dérégler l'écosystème, beaucoup moins de le rétablir», prévient Paul Tréguer. La plupart des océanographes réclament, qu'à l'avenir, l'utilisation des produits chimiques soit mieux régulée.

La remontée d’eau, clé de voûte

Le rôle du réchauffement dans la désoxygénation de certaines zones de l'océan est aussi souligné. «Plus l'océan est chaud, moins il sera riche en oxygène», résume Paul Tréguer. La température change la densité de l'eau. Celle du fond de l'océan ne peut alors pas remonter, ce qui limite le renouvellement en oxygène. Si le biogéochimiste explique que le phénomène climatique n'est pas à l'origine des zones mortes, il estime qu'il en est néanmoins un accélérateur. «Comme la nature est bien faite, tout est lié.» Une faible teneur en oxygène entraîne nécessairement un bouleversement du cycle de l'azote. Appauvri en ce nutriment essentiel, l'océan ne fournit plus les éléments nécessaires au maintien de la chaîne alimentaire. «Le vrai danger serait d'assister à la disparition progressive de certains organismes», alerte Paul Tréguer.

Le long des chaînes de volcans sous-marins, la vie parvient néanmoins à proliférer malgré l'absence d'oxygène. «C'est un phénomène lent à se mettre en place, mais certains organismes sont capables de s'adapter à un tel environnement», assure le biogéochimiste. S'il n'est pas souhaitable de voir disparaître des espèces d'animaux ou de végétaux, les scientifiques attirent l'attention sur une autre conséquence directe des zones mortes. Selon un récent rapport des Nations unies, la population mondiale devrait avoisiner les 10 milliards d'individus d'ici à 2050. Soit près de 3 milliards de bouches supplémentaires à nourrir. L'extension des zones mortes pourrait, in fine, être préjudiciable à l'industrie de la pêche et, donc, à l'alimentation de l'homme en poissons.