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Interview

Mâchoire trouvée en Israël : «Une découverte qui complète l'histoire de l'humanité»

Un fragment de mâchoire, attribué à un Homo sapiens vieux de 180 000 ans, a été retrouvé dans une grotte israélienne. Le paléoanthropologue Pascal Picq explique en quoi cette découverte fait le lien entre Néandertal et «Homo sapiens».
Ce fragment de mâchoire retrouvé dans la grotte de Misliya, en Israël, est le plus vieux fragment d'Homo sapiens retrouvé hors d'Afrique. (Photo Reuters)
publié le 26 janvier 2018 à 19h19

Jusque-là, les traces les plus anciennes de la présence de l'homme hors d'Afrique remontaient à 120 000 ans. Avec la découverte d'un fragment de mâchoire en Israël, sur le mont Carmel, on a la preuve que l'Homo sapiens a migré au moins 50 000 ans avant, corroborant des hypothèses basées sur des données génétiques, selon lesquelles des hommes modernes auraient quitté le continent africain il y a plus de 220 000 ans. Cela pourrait aussi signifier l'existence de croisements entre Homo sapiens et Néandertaliens plus tôt que ne le pensaient les chercheurs. Pascal Picq, paléoanthropologue et maître de conférences au Collège de France, revient sur la petite révolution que provoque cette découverte.

Qu’est-ce que cette découverte change pour l’histoire de l’humanité ?

Ça la complète surtout. On sait que les origines de l'Homo sapiens sont en Afrique. Jusqu'à présent, les plus anciens témoignages de sa sortie d'Afrique étaient autour de 110 000 ans, 130 000 ans grand maximum. Ce fossile permet d'établir plus anciennement encore ses déplacements hors du continent. Sa découverte oblige à repenser certaines choses. On pensait qu'en étant sorti il y a 110 000 ans, sa poussée avait été assez rapide pour se retrouver en Inde, en Indochine, en Chine, et enfin en Australie, où il était peut-être il y a 70 000 ans. Ce n'était probablement pas aussi rapide qu'estimé.

Permet-elle aussi de repenser les relations avec l’homme de Néandertal?

Tout à fait et c'est important. Nos deux lignées, Néandertal et Homo sapiens, ont divergé des deux côtés de la Méditerranée il y a 400 000-500 000 ans. Quand il faisait froid, le premier était poussé vers le Sud (le Proche-Orient actuel), le second vers le Nord. Le Proche-Orient était une région charnière où ils se sont rencontrés. C'est essentiel d'un point de vue génétique: on n'a pas à faire au Néandertalien très classique que l'on a en Europe, ni à l'Homo sapiens que l'on aura plus tard. Il y a environ 200 000 ans, les divergences génétiques entre les deux étaient beaucoup moins marquées, ce qui favorise des transferts de gènes avec des formes d'hybridation plus ou moins poussées. C'est plus dans les périphéries que les phénomènes de spéciation (apparition des nouvelles espèces) se sont faites.

Peut-on s’attendre à de nouvelles révélations qui montreraient que l’Homo sapiens est encore plus anciennement installé au Proche-Orient?

Il y a de fortes chances. Simplement, on a très peu de fossiles. Ceux-ci nous permettent de bien ancrer les événements. Ce sont des repères essentiels pour bien caler les schémas de dispersion des populations. Il faut envisager que plusieurs types de populations sapiens ont bougé et plus anciennement qu'a pu nous le dire la paléogénétique.

Le fragment de mâchoire a été découvert en 2002. Pourquoi a-t-il fallu attendre aussi longtemps pour avoir les résultats des analyses?

En ce moment, c'est un peu bizarre… Il y a eu le fémur de Toumaï et là, il y a cette mandibule qui a traîné. Je n'ai pas d'explication, c'est un peu troublant. Même si la publication prend du temps, franchement, les caractères anatomiques sont tout à fait clairs en ce qui concerne son statut d'Homo sapiens et les datations ne sont pas mauvaises. Je ne pense pas qu'il y ait des raisons politiques. Et l'école d'anthropologie d'Israël est très bonne. C'est quand même bizarre. En plus, c'est certainement la découverte de Jebel Irhoud en juin dernier [les restes de cinq Homo sapiens datant de 315 000 ans au Maroc, ndlr] qui a stimulé tout ça.