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Six minutes de retard sur les horloges, des moustiques OGM et des coups de pied dans la nuit

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Dans l'actualité scientifique de la semaine, un conflit entre la Serbie et le Kosovo retarde nos horloges, des moustiques vecteurs du paludisme rendus inoffensifs, la paralysie des muscles pendant le sommeil et une image des filaments de gaz où naissent les étoiles.
(Photo cogdogblog. CC-BY)
publié le 10 mars 2018 à 12h25

Les quatre actualités scientifiques qui ont retenu notre attention cette semaine.

Les horloges en retard, c’est la faute au Kosovo

Photo cogdogblog, CC-BY.

Des millions d’Européens ont dû faire le même constat ces dernières semaines : l’horloge des micro-odes, des radios-réveils, de chaînes hi-fi et autres appareils électroniques s’est mise à retarder de façon conséquente – jusqu’à cinq ou six minutes. Bizarre ? Inhabituel, du moins, mais la raison est connue : c’est la faute à la Serbie et au Kosovo.

«Le problème a commencé quand une centrale kosovare a fermé quelque temps pour réparations, explique le New York Times. La production d'électricité a donc baissé, et la Serbie, qui contrôle toujours le système de transmission électrique du Kosovo, a refusé de compenser la différence, malgré un accord qui le prévoyait.» De nombreux habitants dans le nord du Kosovo ne reconnaissent pas son indépendance, proclamée en 2008, et refusent de payer l'électricité aux fournisseurs kosovars en signe de protestation. Belgrade a donc installé dans la région des fournisseurs serbes pour les récalcitrants, mais «un conflit de paperasse a empêché ces entreprises d'être enregistrées au Kosovo, et chaque pays accuse l'autre d'être la cause de l'obstruction».

Bref, c'est le bazar, et la chute de production électrique au Kosovo a fini par se ressentir dans la quantité globale de courant qui circule en Europe : il manque 113 GWh (gigawattheures) depuis mi-janvier, estime le groupement européen des gestionnaires de réseau de transport d'électricité (Entso-e) dans un communiqué publié cette semaine. Dans 25 pays d'Europe continentale, le courant alternatif qui arrive dans nos prises ne vaut donc plus exactement 50 Hertz, ce qui signifie que le courant change de sens 100 fois par seconde, mais 49,996 Hz environ. Or, les horloges de nombreux appareils électroniques s'appuient sur la fréquence du courant alternatif pour synchroniser leur horloge… Les smartphones, eux, ne sont pas touchés car ils synchronisent l'heure depuis des serveurs Internet.

La fréquence du courant alternatif en Europe peut être suivie en temps réel sur le site Swissgrid. Dans son communiqué, l'Entso-e appelle «les gouvernements d'Europe à passer rapidement à l'action. Ces actions doivent régler la source politique du problème, pour aider l'Entso-e et les gestionnaires de réseau à fournir une solution technique».

Eradiquer le paludisme dans les gènes des moustiques

Le moustique Anopheles gambiae, responsable de la transmission du paludisme. Photo James D. Gathany. Domaine public

Et si on venait à bout du paludisme, qui fait un million de victimes chaque année, en modifiant directement les gènes des moustiques qui transmettent la maladie pour les rendre inoffensifs ? On est encore loin de pouvoir appliquer cette solution dans la nature, sur les populations de moustiques sauvages, mais l'expérience a au moins été réussie en laboratoire. Quatre chercheurs, dont le Français Eric Marois de l'équipe Anophèles à Strasbourg, la détaillent cette semaine dans la revue PLOS Pathogens.

Le parasite qui cause le paludisme, le Plasmodium, «doit remplir un cycle d'infection complexe dans le moustique Anopheles gambiae pour atteindre sa glande salivaire, d'où il peut être transmis à un hôte humain», rappelle l'étude en introduction. Pour que le parasite se développe dans le moustique, un certain nombre de messages biologiques sont transmis de cellule en cellule, via des émetteurs et des récepteurs.

La manipulation des gènes et leur transmission chez des générations successives de moustiques sont suivies par fluorescence. Dong et al, 2018.

Or, il est récemment devenu facile de couper la transmission de ces messages : une méthode nommée Crispr-Cas9 permet de cibler précisément un gène particulier pour le couper d'un brin d'ADN, comme avec des ciseaux. Si l'on coupe le gène Frep1 dans le génome du moustique Anopheles Gambiae, on bloque le parcours des messages nécessaires au développement du parasite et l'infection est stoppée. Pas d'infection parasitaire, pas de paludisme. Et en plus, l'inactivation de ce gène affaiblit beaucoup le moustique : «Baisse de la propension à sucer le sang, de la fécondité et du rythme d'éclosion des œufs, retard dans le développement des larves, et longévité réduite après un repas sanguin.»

De tels essais avaient déjà été réussis sur les moustiques responsables de Zika et du Chikungunya.

Quand les muscles ne dorment plus pendant les rêves

Nos rêves peuvent être très mouvementés… Heureusement qu'ils restent sagement enfermés dans le cerveau ! Pendant les phases de sommeil paradoxal, un mécanisme neurologique paralyse les muscles pour les empêcher de «jouer» les rêves comme une pièce de théâtre. Mais cette protection ne fonctionne pas chez certaines personnes, atteintes de «trouble du comportement en sommeil paradoxal» : elles s'agitent dans leur lit, miment les gestes de leur rêve, donnent des coups de pied, crient…

L'inhibition des muscles en sommeil paradoxal et ses dysfonctionnements sont de mieux en mieux compris. Des scientifiques du Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon travaillent depuis plusieurs années à identifier les neurones responsables de cette inhibition et pour une nouvelle étude publiée ce lundi dans Nature Communications, ils ont réussi à bloquer leur action chez des rats. Le résultat fut immédiat : «Bien que profondément endormis et isolés de l'environnement, les rats ainsi traités ne sont plus paralysés pendant le sommeil paradoxal et expriment des mouvements anormaux violents et variés, reflétant très probablement leurs rêves», résume le CNRS.

Chez le rat endormi, des neurones inhibiteurs suppriment l’activité des motoneurones, induisant une paralysie corporelle pendant le sommeil paradoxal. En revanche, un animal traité de façon à inactiver ces neurones inhibiteurs n’est plus paralysé et montre des comportements moteurs anormaux et incontrôlés. (Patrice Fort et al, 2018)

Réussir à mimer ce trouble du sommeil chez le rat n'est bien sûr pas une fin en soi. «Ces travaux pourraient avoir une importance capitale dans l'étude de certaines maladies neurodégénératives», juge le CNRS, car 80% des patients atteints par le trouble du comportement en sommeil paradoxal développent les symptômes moteurs de la maladie de Parkinson dans la décennie suivante. «L'équipe cherche maintenant à développer un modèle animal évoluant de la parasomnie à la maladie de Parkinson afin de comprendre les prémices de la dégénérescence neuronale.»

Image

Les photos astronomiques professionnelles sont rarement livrées brutes, tout juste sorties d’une caméra branchée sur un télescope : il faut assembler plusieurs clichés comme un puzzle, les retraiter dans des logiciels pour appliquer des fausses couleurs et faire ressortir les différentes longueurs d’ondes de la lumière, pour voir artificiellement ce qui est normalement invisible à l’œil nu. En la matière, l’image ci-dessus est l’une des plus complexes que l’on ait produites en astronomie.

Elle montre les filaments de gaz froids qui s'étirent dans la nébuleuse d'Orion, une grande pouponnière d'étoiles qu'on peut apercevoir à l'œil nu dans la constellation du même nom, les soirs d'hiver. Ces filaments sont très difficiles à observer à cause de leur température : ils n'apparaissent ni en «lumière visible» (celle que perçoit l'œil) dans les télescopes classiques, ni dans les longueurs d'onde infrarouges. L'un des rares instruments pouvant les détecter est Alma, un radiotélescope géant composé de 66 antennes, installé au Chili.

Le «grand réseau d’antennes millimétrique-submillimétrique de l’Atacama» (Alma) au Chili, en 2012. Photo Clem et Adri Bacri-Normier-ESO, CC-BY

Cette image panoramique «résulte de la combinaison de 296 ensembles de données distincts», commente l'Observatoire européen austral (ESO). Les données proviennent de trois télescopes différents. L'Alma a immortalisé les ondes dans le domaine millimétrique, aidé par le télescope de 30 mètres de l'Iram, sur le mont Veleta dans la Sierra Nevada en Espagne : ce sont les filaments rouges sur la photo. Ils ont été combinés à des photos infrarouges du Very Large Telescope au Chili, pour les couleurs bleutées de la photo.

Le gaz rouge «donne naissance à de nouvelles étoiles», explique l'ESO. Il «s'effondre progressivement sous l'effet de son propre poids jusqu'à atteindre la densité nécessaire pour former une protoétoile, le précurseur d'une étoile».

Et aussi…

Des bactéries terrestres montrent que la vie est possible ailleurs : trois études s'intéressent aux micro-organismes qui survivent dans des conditions hostiles telles qu'on peut les trouver dans les déserts de Mars ou sous l'océan d'Encelade et Europe.

Halte aux rhinoplasties inutiles : les selfies grossissent le nez, c'est prouvé. Deux chercheurs viennent de réaliser un modèle mathématique prouvant que les «égoportraits» déforment notre nez à l'image.

Comment faire une comète en forme de cacahuète ? On pensait jusqu'à aujourd'hui que la comète «Tchouri», visitée par la sonde Rosetta en 2014, devait sa forme à la lente fusion de ses deux lobes au début du système solaire. Une nouvelle étude montre qu'elle a pu, au contraire, se former très rapidement et très récemment dans les débris d'une violente collision d'astéroïdes.