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Pourquoi fait-il plus chaud la nuit dans certaines villes ?

La «texture urbaine» a des conséquences directes sur la température nocturne. Plus une ville est organisée, plus elle aura tendance à retenir la chaleur. Une équipe de chercheurs vient de prouver ce résultat.
Vue de Chicago, en 2014. (Jim Young. Reuters)
publié le 26 mars 2018 à 12h57
(mis à jour le 26 mars 2018 à 13h18)

La nuit, il fait plus chaud en ville qu’à la campagne, c’est un fait. Les imposants bâtiments des zones urbaines stockent la chaleur durant la journée et la réémettent la nuit. Si les bâtiments sont nombreux, non seulement leurs effets se cumulent, mais la chaleur est en plus piégée entre les murs. La température augmente donc indéniablement, par convection. On parle alors d’îlots de chaleur urbains. Ces îlots ont des conséquences importantes sur les habitants. Elles peuvent aller d’une facture énergétique plus élevée, en raison d’une surutilisation de la climatisation, à des problèmes médicaux notamment du fait de la pollution de l’air.

Ce phénomène, bien connu des scientifiques, n'avait cependant jamais été quantifié de près. C'est maintenant chose faite grâce à une collaboration entre des chercheurs du CNRS et du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Leurs résultats sont publiés dans la revue scientifique Physical Review Letters.

Pour parvenir à leurs fins, les scientifiques ont d’abord récolté les plans de 22 villes américaines avec les emplacements exacts des différents bâtiments. Mais ils se sont heurtés à un problème de taille : la complexité des structures urbaines et la multitude de bâtiments. Il leur fallait une méthode simple, facile à mettre en place.

Les bâtiments dans un rayon de 3 miles (4,8 km) d’une station météo sont extraits (a), puis les bâtiments avec un mur mitoyen sont fusionnés et les bâtiments inoccupés (comme les garages) sont retirés (b). (Pellenq et al, 2018)

L'idée originale des chercheurs a alors été d'utiliser les lois de la physique statistique, habituellement utilisées pour décrire la disposition des atomes dans un matériau, pour résoudre ce problème. Sauf qu'ici, les atomes ce sont des immeubles. «Au lieu de considérer la ville tout entière, nous nous sommes intéressés aux plus proches voisins de chaque immeuble», explique Roland Pellenq, directeur de recherche affilié au CNRS et au MIT.

Une fois les plus proches bâtiments voisins d’un immeuble identifiés, l’équipe s’est intéressée à leur orientation les uns par rapport aux autres. En réalisant cette opération sur plusieurs bâtiments, les chercheurs ont établi pour une ville la distance moyenne entre deux bâtiments mais aussi un indice caractérisant l’ordre de la ville. Certaines villes, comme Chicago, sont en effet très organisées, comme les atomes dans une structure cristalline, comme un diamant. D’autres, comme Los Angeles, sont plutôt désordonnées, à la manière d’un liquide où les éléments ne sont pas à des endroits précis.

Texture urbaine de Los Angeles (c), ville désordonnée comparable à un liquide (d) et texture de Chicago (e), dont les bâtiments sont organisés comme la structure de cristaux (f). (Pellenq et al, 2018)

Ces deux paramètres représentant la «texture» d’une ville ont ensuite été injectés dans des équations thermiques afin de calculer l’effet des îlots de chaleurs sur la température. Les chercheurs ont comparé ce résultat avec l’écart de température mesuré entre la ville et sa banlieue en utilisant les données météorologiques et se sont rendu compte que les chiffres correspondaient pour toutes les villes. Ainsi, l’équipe a vérifié que ces îlots de chaleurs étaient presque entièrement responsables de l’élévation des températures urbaines durant la nuit.

Un outil pour les urbanistes

Mais l'équipe a aussi fait un autre constat. Dans les villes ordonnées, l'effet des îlots de chaleur est plus prononcé et l'écart de température avec la banlieue est encore plus important. «Dans ces villes, les échanges thermiques sont favorisés car les bâtiments sont face à face, ainsi la nuit, l'augmentation de température est plus conséquente», note Roland Pellenq. Plus la ville est ordonnée, plus les nuits seront chaudes dans le centre-ville.

Les résultats de cette étude pourront s’avérer très utiles pour de futurs projets d’urbanisation, comme la construction d’un nouveau quartier par exemple. Dans un pays froid, on aura plutôt tendance à favoriser les îlots et à réaliser un aménagement ordonné dans le but de réduire la consommation de chauffage. En revanche dans les autres pays, le but sera principalement de minimiser leurs effets. Pour les villes déjà construites comme Paris, selon Roland Pellenq, la solution n’est pas la destruction d’immeubles, mais plutôt l’isolation thermique.