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Comment Icare, l’étoile la plus lointaine jamais observée, est apparue aux chercheurs

Située à 9,3 milliards d’années-lumière de la Terre, Icare se trouve à l’autre bout de l’univers. Son observation, presque par hasard, est liée au phénomène de lentille gravitationnelle.
Icare, de son vrai nom Etoile 1 lentillée par MACS J1149+2223, n'était pas visible en 2011 (en haut à droite) mais a été observée en 2016 (en bas à droite) grâce au phénomène de lentille gravitationnelle. (Photo NASA, ESA, P. Kelly. University of Minnesota)
publié le 12 avril 2018 à 11h46

Imaginez-vous en train de regarder un nuage et soudain, vous arrivez à discerner très clairement l’une de ses nombreuses molécules d’eau et vous pouvez l’étudier. Difficilement imaginable… Observer une étoile à l’autre bout de notre univers relève de la même probabilité. Même à l’aide des télescopes les plus puissants, il serait impossible de la distinguer des milliards d’autres étoiles qui appartiennent à sa galaxie.

C’est pourtant ce qu’une équipe de chercheurs est parvenue à faire en identifiant, grâce au télescope spatial Hubble, l’étoile la plus distante jamais observée à ce jour. Surnommé Icare, l’astre est situé à l’autre bout de l’univers : sa lumière a mis 9,3 milliards d’années pour venir jusqu’à nous en se déplaçant à 300 000 kilomètres par seconde.

Grâce à leurs observations, les astrophysiciens qui publient leurs résultats dans Nature Astronomy ont même pu commencer à établir la carte d'identité de l'étoile et déduire qu'Icare était une géante bleue, une étoile très massive – environ 16 fois la masse solaire – très lumineuse et ayant une durée de vie faible. Mais comment ces observations ont-elles été possibles ?

Les chercheurs ont découvert Icare par hasard. Ils observaient un amas de galaxies dans le but d’identifier des supernovæ – des implosions d’étoiles en fin de vie – et ont remarqué en 2016 une nouvelle source de lumière, de forte intensité lumineuse. L’équipe s’est vite rendu compte qu’il ne s’agissait ni d’une supernova, ni d’une étoile de l’amas, mais plutôt d’une étoile située beaucoup plus loin, dont la luminosité était amplifiée par l’amas de galaxies.

Ce phénomène d’amplification lumineuse dû à un corps céleste massif entre l’observateur et l’objet observé est bien connu des astrophysiciens : c’est l’effet de lentille gravitationnelle. La lumière voyage en ligne droite dans un espace à quatre dimensions, l’espace-temps. Selon les lois de la relativité générale, les objets très massifs, comme les amas de galaxies par exemple, courbent la géométrie de cet espace-temps et donc les lignes de propagation de la lumière. Ainsi, les rayons lumineux passant à proximité de l’amas peuvent être déviés sous l’action de ces corps massifs.

«Si l'alignement entre le télescope, l'amas de galaxies et l'étoile observée est bon, l'amas peut ainsi jouer le rôle d'une lentille et faire converger les rayons lumineux venant de l'étoile. Ainsi, la luminosité de l'étoile est amplifiée et elle est visible grâce au télescope», indique Johan Richard, astrophysicien à l'université Claude Bernard à Lyon (CNRS), qui a participé à l'étude.

L’étoile Icare était invisible sur une précédente photo de 2011 et a semblé apparaître en 2016 car l’amas de galaxies au premier plan se déplace lentement, masquant et révélant progressivement les astres situés derrière lui par son effet de lentille.

On avait déjà observé des galaxies lointaines déformées par l'effet de lentille gravitationnelle – récemment encore, une nouvelle image d'Hubble dévoilait des galaxies formant un arc de cercle presque complet, un «anneau d'Einstein» comme on le surnomme, créé par l'influence d'un amas de galaxies sur le chemin de la lumière.

Mais avec la découverte d'Icare, c'est la première fois que la lentille gravitationnelle permet d'isoler une étoile individuelle. Cette étape ouvre des perspectives pour l'étude d'étoiles situées dans l'univers lointain, mais aussi pour comprendre de quoi les corps massifs, responsables de l'effet, sont constitués. Johan Richard explique : «Comme un amas de galaxies est en fait constitué de plusieurs corps massifs en mouvement, chaque corps peut jouer le rôle d'une microlentille et l'amplification de la luminosité de l'étoile lointaine varie au cours du temps. On parle de sursauts de luminosité.» Ces sursauts de luminosité donnent donc des informations sur les éléments constituant l'amas de galaxies.

Or un amas de galaxies est constitué d’étoiles, mais aussi de matière noire, cette matière dont l’existence est nécessaire pour expliquer certaines observations astrophysiques, mais dont on ne connaît pourtant rien. Distinguer les sursauts dus aux étoiles de ceux dus aux corps massifs présents dans la matière noire permettrait aux chercheurs de déduire des informations sur la composition de cette mystérieuse matière ce qui serait une avancée majeure dans notre compréhension de l’univers. Eclairer la matière noire grâce aux étoiles, et si c’était ça la clé ?