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Anniversaire

La fusée Ariane 5 en six vols

Arianedossier
Le plus gros des lanceurs européens décollera pour la centième fois ce mardi soir à Kourou, emportant deux satellites de communication. Retour sur quelques souvenirs marquants depuis son explosion initiale en 1996.
Ariane 5 dans son bâtiment d'assemblage à Kourou, en 2013. (Photo DLR German Aerospace Center. CC BY)
publié le 25 septembre 2018 à 15h41

Le problème n’était pas d’acheter 100 bougies, mais de s’assurer que le gâteau ne soit pas carbonisé quand Ariane les soufflera, ce mardi soir, avec ses moteurs Vulcain. Alors tant pis pour l’atelier pâtisserie : Arianespace préfère fêter l’anniversaire de sa fusée en l’habillant d’un gros autocollant «100e vol». Un beau chiffre pour le lanceur en fin de vie, qui se revendique le plus fiable du monde.

Ce sera un lancement comme les autres, la routine. Pour la quatrième fois cette année – et la centième, donc, depuis le début de sa carrière en 1996 –, Ariane 5 décollera du centre spatial guyanais à Kourou aux environs de minuit. Elle doit mettre en orbite deux satellites de télécommunications – l'un nommé Horizons-3e pour l'opérateur japonais SKY Perfect JSAT et l'autre baptisé Azerspace-2 pour l'opérateur azerbaïdjanais Azercosmos.

Pose des logos sur la coiffe d’Ariane 5, le 18 septembre (Photo Cnes. Arianespace. Esa. P Piron).

Les jours d'Ariane 5 sont comptés avant la mise en service de sa petite sœur Ariane 6, officiellement prévue pour 2020. Le plus gros des lanceurs européens se targuait jusqu'à récemment de son exceptionnelle fiabilité : 79, 80, 81, 82 succès d'affilée… avant un ratage embarrassant en ce début d'année 2018. Le compteur des décollages réussis est en effet un argument de poids pour conserver les parts de marché que tente de lui voler SpaceX et ses fusées low-cost.

Retour sur six souvenirs marquants parmi les 100 vols d’Ariane 5.

Vol 88 : le bug informatique le plus cher de l’histoire

4 juin 1996. C'est le premier vol d'Ariane 5 sur la toute nouvelle zone de lancement au centre spatial de Kourou, mais le 88e vol d'une fusée Ariane en comptant les modèles précédents depuis 1979. Cependant, ce n'est pas ce numéro qui est resté dans l'histoire : on se souvient de la catastrophe du 4 juin 1996 comme du «vol 501», du numéro de série de la fusée.

A 9h35 du matin, la flambant neuve Ariane 5 décolle devant les yeux émerveillés de milliers de spectateurs. Imposante, puissante, elle s’élève lentement d’abord dans le ciel, prend peu à peu de la vitesse, et au bout de 40 secondes… braque violemment, perd ses boosters latéraux qui sont arrachés par ce virage trop serré, et explose en mille morceaux. Un feu d’artifice dont on se souviendra longtemps, tant sa cause était bête.

C’était un simple bug. Le système informatique, reprogrammé à partir de celui d’Ariane 4, enregistrait l’accélération horizontale de la fusée dans un petit bout de mémoire à 8 bits (soit 8 cases remplies chacune par 0 ou 1) : ça suffisait pour compter jusqu’à 256 en langage binaire, et l’accélération d’Ariane 4 donnait une valeur proche de 64. On avait de la marge. Ariane 5, elle, poussait jusqu’à 300… Il aurait donc fallu enregistrer cette valeur en 9 bit, pour pouvoir compter jusqu’à 511. Mais on a oublié de lui allouer ce bit supplémentaire. Le système de guidage a planté, le système de secours, identique, a planté aussi, puis le pilote automatique qui s’appuie sur eux s’est mis en route, et, ne comprenant pas la panne, ordonne à la fusée de faire n’importe quoi et le système d’autodestruction de sécurité se déclenche. Dommage : elle marchait par ailleurs à la perfection, cette fusée…

Avec la perte des quatre petits satellites Cluster, qui devaient étudier les vents solaires, ce sont 370 millions de dollars (314 millions d’euros) qui sont partis en fumée. On dit souvent que c’est le bug informatique le plus cher de l’histoire.

Vol 119 : première mission scientifique

10 décembre 1999. Après un nouvel échec partiel en octobre 1997 et un départ réussi, enfin, en octobre 1998, Ariane 5 se voit confier sa première mission scientifique. Elle embarque pour l'Agence spatiale européenne un télescope à rayons X nommé XMM-Newton. En quatorze ans de mission, il a observé Mars, Jupiter et Saturne, la formation d'étoiles dans les pouponnières d'étoiles, des trous noirs, des restes de supernovas et les gaz dans les amas de galaxies, à la recherche de la matière noire.

Vue d’artiste du satellite XMM-Newton (

).

Vol 157 : un nouveau moteur hors de contrôle

11 décembre 2002. On change de calibre ! Ariane 5 doit inaugurer en cette fin d'année sa nouvelle version sous stéroïdes, avec des moteurs boostés et un fonctionnement plus efficace qui lui permet de placer jusqu'à 9 600 kilos de charge utile en orbite. Son nom officiel est «ECA» (Evolution Cryotechnique type A), et le public la surnomme en toute simplicité «Ariane 10 tonnes».

L’Europe espère sortir de la crise du marché des satellites de communication, qui représentent 95% des lancements commerciaux mais deviennent de plus en plus lourds, alors que les commandes de nouveaux satellites se tassent et que la concurrence d’Ariane se fait plus rude.

Mais il n’était pas prêt, ce moteur ECA nouvelle génération. Une fuite dans le système de refroidissement a déformé la tuyère (le pot d’échappement) au décollage et rendu la poussée asymétrique. Trois minutes après avoir quitté le sol, la fusée est devenue très difficile à maîtriser. Le contrôle au sol ordonne sa destruction.

Ariane 5 ECA est retournée à l’étude le temps de colmater ses faiblesses et ne retentera un décollage que le 12 février 2005, avec plusieurs mois de retard mais cette fois avec succès. Entre-temps, c’est la version classique Ariane 5 G (ou G+) qui fait le job.

Vol 158 : partie de billard

2 mars 2004. Après huit ans de loyaux services à peupler l'orbite terrestre de satellites de communications, Ariane 5 montre de quoi elle est capable dans un autre registre en se payant un aller simple vers la comète Tchouri. Enfin, pas la fusée elle-même, mais la sonde qui se loge dans sa coiffe : Rosetta. Après un tour de Terre, elle a quitté le deuxième étage d'Ariane pour entamer un voyage de dix ans dans le système solaire.

Car aucune fusée ne peut envoyer une sonde directement vers une comète qui se balade ausi loin que Jupiter. Il a fallu que Rosetta joue au billard avec les planètes, tournant presque quatre fois autour du Soleil et frôlant Mars et la Terre à plusieurs reprises pour prendre de l'élan – on appelle ça l'assistance gravitationnelle. Rosetta est arrivée à destination en 2014.

Vue d’artiste de la sonde Rosetta larguant son atterrisseur Philae à la surface de la comète Tchouri. (Image ESA–C. Carreau. ATG medialab)

C’est l’une des missions les plus ambitieuses de l’histoire de l’exploration spatiale (et parmi les plus chères, avec un budget d’un milliard d’euros). Elle a permis de tourner une page difficile dans cette période de crise pour Arianespace.

Vol 181 : en route vers l’ISS

9 mars 2008. Des satcoms et encore des satcoms. Depuis Rosetta, Ariane 5 se contente d'enchaîner des lancements commerciaux de routine et rentabilise sa version 100 tonnes en larguant ses satellites de communication par lot de deux, parfois trois, pour les pays du monde entier : Etats-Unis, Inde, Japon, Mexique… Jusqu'à ce jour de mars 2008 où on lui présente un défi inédit : amener jusqu'à la station spatiale internationale, l'ISS, un cargo de ravitaillement de fabrication européenne. Jusque-là, seuls les Russes, avec leur vaisseau Progress, et les Américains, avec la navette spatiale arrêtée en 2011, l'avaient fait.

Le cargo Jules Verne s'amarrant à l'ISS, en 2008.Le cargo Jules Verne s’amarrant à l’ISS, en 2008. (photo Nasa)

Au lieu de viser l'orbite géostationnaire comme d'habitude, pour les satellites qui doivent survoler toujours la même région de la Terre à 36 000 kilomètres d'altitude environ, Ariane 5 envoie son Automated Transfer Vehicle (ATV) en orbite basse, à 400 kilomètres, pour qu'il s'amarre tout seul à l'ISS. Ça ne rigole pas : des représentants de la Nasa et de Roscosmos, l'agence spatiale russe, sont assis dans la salle de contrôle à Kourou. L'Europe devient un «partenaire concret de la station internationale», comme s'en réjouit à l'époque l'Agence spatiale européenne. Une actrice dans la gestion de l'ISS aux côtés des deux grandes puissances spatiales.

Après un mois de voyage en attendant qu'une place se libère sur le parking de l'ISS, les astronautes ont pu ouvrir l'écoutille de ce premier ATV baptisé «Jules Verne» le 4 avril 2008. Ils y ont notamment trouvé 1 150 kilos de vêtements, équipements et nourriture, 269 kilos d'eau et 21 kilos d'oxygène.

Vol 241 : silence radio

25 janvier 2018. Tout semblait bien se passer au décollage de cette Ariane 5 version ECA, qui transportait deux satellites de communication. Les deux boosters latéraux se sont séparés du premier étage de la fusée, et tous trois sont retombés dans l'atmosphère. Le deuxième étage a continué sa course en allumant son propre moteur… Et puis silence radio. La station de télémétrie au Brésil, chargée de suivre sa trajectoire en écoutant les signaux, n'a plus rien entendu à partir de la 9e minute.

Il s’est avéré après une courte enquête que les antennes de Nata n’étaient tout simplement pas braquées dans la bonne direction… Et pour cause : la fusée a dévié de 20 degrés par rapport à sa trajectoire prévue. Au lieu de se diriger vers l’Est, elle est partie vers le Sud-Est et a largué ses satellites sur une orbite difficile à rattraper (l’un des deux engins a dû consommer beaucoup de carburant pour corriger le tir, et a réduit de moitié son espérance de vie).

A gauche : trajectoire prévue du vol VA241 vers l’Est, en vert, et trajectoire réelle de la fusée plus au Sud, en jaune, avant la perte de signal. A droite, extrapolation en rouge du trajet de la fusée. (D’après Ariane Webcast)

L’erreur d’azimut était due à une correction spécifique à ce vol, par rapport aux valeurs habituelles, qui a été mal vérifiée avant le lancement. Dommage : Arianespace n’a pas pu vanter un 83e succès d’affilée ; le compteur a été remis à zéro.