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Science tenante

L’archéologie des loutres et la linguistique du néolithique

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Dans l’actu de la semaine, la pollution de l’air tue plus que le tabac, les sons «f» et «v» sont arrivés au néolithique avec le régime alimentaire des agriculteurs, comment reconnaître un refuge de loutres à ses cailloux et les missions spatiales de 2050.
(Photos Haslam et al, 2019/Image European Heart Journal, 2019/D. E. Blasi et al, 2019)
publié le 16 mars 2019 à 10h50

Les actualités scientifiques qui ont retenu notre attention cette semaine.

La pollution de l’air tue plus que le tabac

Il est difficile d'estimer les dégâts causés par la pollution sur la santé des populations : il faut simuler par ordinateur les interactions entre les substances chimiques dans l'atmosphère, l'environnement et les données de santé humaine fournies par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), notamment sur les facteurs de risque pour certaines maladies et les causes de décès recensées. À partir de ces informations, des chercheurs de l'Institut Max-Planck de chimie à Mayence (Allemagne) ont calculé et réévalué le nombre de morts annuels qu'on peut imputer à la pollution de l'air dans une étude publiée dans le European Heart Journal.

Distribution de la surmortalité liée aux maladies cardiovasculaires attribuées à la pollution de l’air (morts par 1 000 km²).

(Image European Heart Journal, 2019)

La situation est bien plus grave qu'on le pensait: 790 000 Européens meurent chaque année de la pollution, dont 40 à 80% de problèmes cardiovasculaires (infarctus du myocarde, hypertension artérielle, accident vasculaire cérébral et insuffisance cardiaque) causés particulièrement par les particules fines. Ce chiffre est plus de deux fois supérieur à l'étude qui fait autorité en la matière, la «Global Burden of Disease» de 2015. «Nous estimons que la pollution de l'air réduit l'espérance de vie moyenne de 2,2 ans en Europe», écrivent les auteurs, et en extrapolant au niveau mondial, ils comptent 8,78 millions de morts par an. C'est plus que le tabac, qui ne tue «que» 7,2 millions de personnes.

L’archéologie des loutres

Comment reconnaître un rivage ayant abrité une colonie de loutres? Facile, quand on sait qu’elles ont l’habitude pour se nourrir d’ouvrir des coquillages en les frappant avec des galets ou sur des rochers. Ce comportement unique chez les mammifères marins laisse des traces – des amoncellements de coquilles vides et de pierres abîmées– que l’on peut reconnaître à coup sûr. Pour la première fois, des chercheurs ont donc décrit une méthode archéologique pour identifier les anciens refuges de loutres.

Des loutres ouvrant des moules en les frappant sur une pierre posée sur leur ventre (A) ou sur un rocher dépassant de l’eau (B), dans l’estuaire de Bennett Slough en Californie.

(photo Haslam et al, 2019)

Il y a d'abord les marques blanches des chocs répétés sur la pierre, explique l'étude parue cette semaine dans Scientific Reports. Dans l'estuaire californien de Bennett Slough, où ils ont observé les loutres pendant dix ans, Natalie Uomini et son équipe ont recensé 77 pierres avec «une usure visible de façon macroscopique sous forme de grains de quartz écrasés et fracturés sur les arêtes et les pointes abrasées». Ils ont également examiné et classifié les coquilles de moules selon leurs brisures. Lorsque les loutres frappent une moule contre un rocher émergent pour l'ouvrir, elles frappent toujours sur la valve droite, et laisse la gauche intacte. La forme dominante est une «fracture traversant la coquille en diagonale». «Les modèles de brisure fournissent un nouveau moyen de distinguer les moules cassées par des loutres de mer de celles cassées par des humains ou des autres animaux», explique Natalie Uomini à Science Daily.

Rochers abîmés en surface (à gauche) et coquilles de moules brisées (à droite) par les loutres.

(photo Haslam et al, 2019)

Depuis quand, dans l'histoire, les loutres brisent-elles des moules avec des galets? «L'étude des traces de comportements animaux passés nous aide à comprendre l'évolution de ces comportements, par exemple l'usage de rochers comme enclumes, ce qui est rare dans le règne animal, analyse une autre chercheuse de l'équipe, Jessica Fujii. Nous espérons que cette étude ouvrira une nouvelle voie dans le champ de l'archéologie animale.»

Le «f» et le «v» sont apparus avec l’agriculture

Pour prononcer les sons «f» et «v», il faut placer ses incisives supérieures contre sa lèvre inférieure, c'est pourquoi on les appelle des consonnes labio-dentales. Cette position de la bouche, qui nous semble naturelle, est pourtant plus ou moins difficile à obtenir selon la configuration de la mâchoire: quand les incisives du haut sont plus avancées que les incisives du bas – une configuration qu'on appelle supraclusion, le mouvement est aisé car la lèvre inférieure est plus proche. Mais quand les incisives sont parfaitement alignées bord à bord, les labio-dentales requièrent 30% d'effort musculaire supplémentaire.

Une mâchoire avec des incisives bord-à-bord (à gauche) et une légère supraclusion (à droite).

(Photo D. E. Blasi et al, 2019)

Or, la configuration de la mâchoire humaine a beaucoup évolué au cours de l’histoire, notamment avec les évolutions de régime alimentaire. Les incisives bord-à-bord sont typiques des bouches devant mâcher de la viande, solide et résistante. Elles ont décliné au début du néolithique avec le développement de l’agriculture, laissant place à une légère supraclusion quand les hommes se sont mis à manger des aliments transformés, moins durs sous la dent.

En combinant paléoanthropologie et linguistique, une équipe internationale de chercheurs montre dans Science que le régime alimentaire influe sur la forme de la mâchoire et sur le développement du langage, favorisant l'usage des «f» et des «v» : «Les sociétés décrites comme chasseurs-cueilleurs ont en effet, en moyenne, seulement un quart du nombre de labio-dentales produites par les sociétés d'agriculteurs.» La «probabilité reconstruite de sons labio-dentaux» passe de 3% dans les protolangues (il y a 6 000 à 8 000 ans) à 76% dans les langues indo-européennes actuelles.

Nombre de consonnes labiodentales dans les langues de sociétés de chasseurs-cueilleurs et d'agriculteurs.Nombre de consonnes labiodentales dans les langues de sociétés de chasseurs-cueilleurs et d’agriculteurs. (D. E. Blasi et al, 2019)

Espace: vers 2050 et au-delà

Toutes les grandes missions scientifiques de l'Agence spatiale européenne (ESA) pour les années à venir sont déjà choisies, planifiées, et en cours de développement: elles peuplent le programme à long terme «Cosmic Vision» pour deux décennies, de 2015 à 2035: étude des lunes glacées de Jupiter avec la mission Juice, étude des exoplanètes avec le télescope Cheops, mesure des ondes gravitationnelles avec les satellites Lisa

Et après? Qu'ira-t-on explorer dans l'espace et que cherchera-t-on à comprendre avec les télescopes, satellites et sondes des années 2040 et 2050? Le futur programme scientifique «Voyage 2050» va devoir faire des choix, et l'ESA a décidé de convier le grand public à la réflexion via un questionnaire en ligne. Aucune connaissance particulière n'est exigée. Il s'agit de noter l'importance, dans son opinion personnelle, des différents sujets d'étude de l'ESA comme «Retracer nos origines cosmiques», «Enquêter sur la Terre», «Comprendre le Soleil», «Observer comment les étoiles naissent, se développent et meurent»

Et aussi…

Médecin et statisticien, Hans Rosling déjoue les a priori grâce à des conférences TED vues par des millions de personnes. Une version livre de sa méthode vient de sortir (

Factfulness,

Flammarion, 400 pp., 23,90 euros).

Poésie. Le 14 mars s’écrit «3/14» chez les Anglo-Saxons. Et 3,14 c’est une approximation de π acceptable pour faire de cette date la journée mondiale du nombre pi. A cette occasion, Jacques Jouet, romancier, poète, membre de l’Oulipo, a écrit pour Libé un poème autour de ce nombre irrationnel.