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Si nous observons les libellules avant tout pour leur beauté, elles jouent un rôle écologique important dans la régulation des populations de moustiques et de petits insectes. Elles sont également un maillon clé des écosystèmes en nourrissant des animaux plus gros comme les grenouilles et les oiseaux.
Comptant parmi les plus grands spécialistes français des libellules, Jean-Pierre Boudot, Guillaume Doucet et Daniel Grand publient, aux éditions Biotope, la seconde édition du Cahier d'identification des libellules de France, Belgique, Luxembourg et Suisse. Mise à jour d'une précédente version parue il y a quatre ans, cet ouvrage présente notamment une espèce de libellule qui arrive tout droit du continent africain et vient de franchir les Pyrénées. A l'inverse, d'autres espèces auparavant très présentes dans les zones tempérées de France sont aujourd'hui beaucoup plus difficiles à observer. Un signal supplémentaire de l'impact du réchauffement climatique et de la modification par l'homme des habitats naturels…
De nouvelles espèces en France
Il existe 106 espèces et sous-espèces de libellules présentes dans les quatre pays. «L'ouvrage a été pensé pour être transporté lorsqu'on se promène dans la nature et contient des clés pour identifier toutes les espèces qui existent en France métropolitaine», commente Jean-Pierre Boudot, retraité du CNRS, chercheur en étude des sols en milieu forestier. Passionné par les libellules depuis les années 80, Jean-Pierre Boudot a même prêté son nom à l'Onychogomphus boudoti, qu'il a découverte en 2014 en France.
Cinq nouvelles espèces ont pu être aperçues ces dernières années en métropole. Les «non-avertis» diront qu'ils sont chanceux de croiser de si belles libellules, toutes plus colorées les unes que les autres, mais le livre fait le parallèle entre l'arrivée et la disparition de certaines espèces avec le réchauffement climatique. Solidement implantée en Espagne depuis 2007, la Trithemis kirbyi a franchi pour la première fois les Pyrénées au cours des épisodes de canicule de 2017 et 2018, durant lesquels elle a été observée dans l'Aude et en Ardèche. Si la présence de cette espèce afro-tropicale dans le sud de la France ne fait plus aucun doute, elle tend à se développer aussi dans la moitié nord. Quatre autres espèces africaines ont également été aperçues en Corse et en zone méditerranéenne l'Orthetrum trinacria, la Selysiothemis nigra, la Lindenia tetraphylla et la Brachythemis impartita. Ces cinq espèces ont été signalées plusieurs fois mais il est encore trop tôt pour affirmer qu'elles s'installent durablement en France. «On ne pourra le dire que dans plusieurs années, si elles se reproduisent chez nous sur le long terme. Pour l'instant, il vaut mieux parler d'individus nomades», souligne Jean-Pierre Boudot.
Une vingtaine d’espèces menacées
D'après ce spécialiste, l'espèce Sympecma paedisca, plus connue sous le nom de leste brun, a disparu. La Nehalennia speciosa avait quant à elle disparu pendant un siècle, jusqu'à ce qu'elle soit de nouveau aperçue en 2004. Sur les 106 espèces, 11 sont menacées et 13 quasi menacées du fait des variations du climat. Le spécialiste tempère : «Comme tous les organismes vivants, les libellules sont soumises aux changements climatiques, les espèces africaines tendent à remonter en Europe et les espèces européennes se déplacent vers l'Europe du Nord. Mais il faut faire attention à ne pas attribuer au seul changement climatique ces déplacements. Elles peuvent tout simplement effectuer des changements d'habitats, bien qu'il y ait souvent des synergies entre les changements d'habitats et les changements climatiques.»