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Chronique «le fil vert»

«Les Andes sont l’une des régions du monde où la fonte des glaces est la plus rapide»

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Dans la chaîne sud-américaine, le recul des glaciers s'est accéléré depuis l'an 2000 selon une étude publiée mi-septembre dans «Nature Geoscience». Explications avec la glaciologue Ines Dussaillant.
Une vigogne erre au pied des glaciers du volcan Chimborazo, en Equateur, en 2019. (PABLO COZZAGLIO/Photo Pablo Cozzaglio. AFP)
publié le 27 septembre 2019 à 6h12

 Tous les jours, retrouvez Le Fil vert, le rendez-vous environnement de Libération. Aujourd’hui, une interview pour décrypter les enjeux environnementaux, publiée pour la Semaine spéciale «Libération se met au vert».

Le recul des glaciers de montagne sous l'effet du changement climatique est une triste réalité. En atteste le dernier rapport spécial du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) sur les liens entre la hausse des températures terrestres et la cryosphère rendu public la semaine passée. Dans les Andes, qu'elles que soient les latitudes et les altitudes, la fonte des glaces s'est d'ailleurs accélérée ces vingt dernières années. Dans cette chaîne de montagnes latino-américaine, la perte est de l'ordre à 23 gigatonnes par an, soit un amincissement annuel des glaciers de 0,85 mètre depuis l'an 2000. Des estimations présentées mi-septembre dans une étude de grande ampleur publiée dans Nature Geoscience. Décryptage avec l'une de ses auteurs, la glaciologue chilienne Ines Dussaillant, du Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales (Legos) et doctorante à l'université Paul-Sabatier de Toulouse.

Que cherchiez-vous exactement à observer des glaciers dans les Andes ?

Nous avons cherché à calculer le volume de glace qui a été perdu dans les Andes depuis l’an 2000. Cela représente 23 gigatonnes par an dans toute la Cordillère. Nous supposions que la raison de cette perte est la conséquence d’une augmentation des températures et/ou de la diminution des précipitations dans la région. Nos résultats indiquent qu’il y a eu une augmentation significative de la perte de masse glaciaire d’une décennie à l’autre, en particulier dans la partie centrale et aride des Andes. Cela correspond à un épisode de sécheresse intense, que l’on appelle «mega-drought», et nous savons par ailleurs que depuis 2009 dans la région centrale de la Cordillère il y a un déficit de précipitations supérieur de 20% à la moyenne. Cela fait donc des années qu’il pleut moins et qu’une grande partie de la perte de glaces dans cette région peut probablement s’expliquer par cette diminution des précipitations. Nos résultats montrent également que les glaciers ont permis d’atténuer les effets négatifs de cette sécheresse. Ils forment une base de données de très bonne qualité qui permettra aux hydrologues et aux climatologues de mieux comprendre les raisons de cette fonte et de faire des projections pour l’avenir.

Comment avez-vous obtenu ces résultats ?

Nous avons traité 30 000 images fournies par l’instrument Aster à bord du satellite Terra de la Nasa. Grâce à ces images stéréoscopiques, nous avons pu modéliser la topographie des 19 000 glaciers andins dans le temps. Et ainsi, nous avons pu obtenir le volume de glace qui a été perdu ces deux dernières décennies.

Cartographie des pertes de masses des glaciers des Andes depuis 2000. Dussaillant et al,

Nature Geoscience

, 2019.

Quelles seront à moyen et long terme les conséquences de la fonte des glaces andines ?

La fonte des glaces dans les Andes a deux conséquences. D'abord, elle contribue à la hausse du niveau des mers. On sait que les glaces de montagne, sous l'effet du changement climatique, sont responsables de 25% de cette hausse. Cependant, les glaciers des Andes contribuent à cette hausse à hauteur de 10% alors qu'ils ne représentent que 5% des glaciers de montagne du globe. Autrement dit, les Andes sont l'une des régions du monde où la fonte des glaces est la plus rapide. Ensuite, les pertes d'épaisseur contribuent à un excès de décharge annuelle en eau dans les lacs et les rivières, ce qui correspond à une situation où les glaciers sont en déséquilibre en raison du climat. Et c'est ce que nous avons observé ces deux dernières décennies dans les Andes. On a pu montrer que cette contribution avait augmenté d'une décennie à l'autre tout en atténuant les effets négatifs de la sécheresse dans la région centrale de la Cordillère, une zone qui correspond au centre-nord du Chili et de l'Argentine. C'est une région très peuplée où il y a beaucoup d'activités agricoles qui dépendent de cette eau. Or, à l'avenir, les sécheresses risquent d'y être plus fréquentes et les glaciers en reculant ne vont plus être capables de combler le manque d'eau.

Y a-t-il des régions de la Cordillère plus affectées que d’autres ?

C’est en Patagonie et dans les Andes tropicales (Pérou, Equateur, Colombie) que le taux de fonte des glaciers est le plus fort. Or la plus grande partie de la superficie glaciaire se trouve en Patagonie. Donc la hausse du niveau des mers due aux glaciers andins provient en majorité de cette région. Le record mondial est d’ailleurs détenu par le glacier HPS12, au Chili, dans le cœur du champ de glace Sud de Patagonie : entre 2000 et 2018, il s’est aminci de 44 mètres par an. C’est spectaculaire ! La fonte des glaces s’y maintient au même rythme, soutenu, d’une décennie à l’autre.