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Libération
Chronique «Tas de vieux os»

Et l’homme domestiqua le chien de traîneau

Dans l’actualité des choses du passé, on déterre la domestication des chiens de traîneaux il y a 10 000 ans, des œufs de dinosaures à coquilles molles et des sites aborigènes sous les mers.
Des Huskys sibériens à Avoriaz, au départ d'une course en 2006. (JEAN-PHILIPPE KSIAZEK/Photo Jean-Philippe Ksiazek. AFP)
publié le 8 juillet 2020 à 6h25

Une fois par mois, Libération recense l'actualité des choses du passé plus ou moins lointain : découvertes archéologiques, trouvailles paléontologiques et nouveautés préhistoriques. Ce mois-ci, notre neuvième épisode déterre la domestication des chiens de traîneau, des œufs de dinosaures à coquilles molles et des sites aborigènes sous les mers. Pour retrouver l'épisode précédent, c'est par ici.

Archéologie

Et l’homme domestiqua le chien de traîneaux, il y a 10 000 ans en Sibérie

La domestication du chien est une vieille affaire, l'une des plus anciennes mêmes, puisqu'elle remonte au paléolithique. Son histoire est complexe, controversée et aboutissant à l'issue des douze derniers millénaires à une amitié particulière, certes asymétrique et en défaveur manifeste des canidés. Les zooarchéologues ont différentes hypothèses : une domestication unique à partir d'une population de loups européenne il y a 20 000 à 40 0000 ans ou une domestication en deux temps, en Europe il y a 15 000 ans, puis en Asie orientale, il y a 12 500 ans. Voilà pour les scénarii des origines. Mais qu'en est-il des chiens de traîneau en apparence si semblables à ce bon vieux canis lupus ? C'est là que l'archéologie et la paléogénétique entrent en jeu.

Selon une étude publiée dans Science fin juin, il semblerait que les chiens d'attelage aient été domestiqués dans l'Arctique il y a près de 10 000 ans. On peut le deviner grâce à l'étude génomique comparée de huskys contemporains, des restes d'un chien de traîneau vieux de 9 500 ans trouvé en Sibérie avec des bouts d'attelage et des restes d'un loup de la même région vieux de 33 000 ans. Les résultats sont nets : l'ADN comparé montre que la majorité des chiens groenlandais, malamutes d'Alaska et huskies d'aujourd'hui sont génétiquement plus proches de leur ancêtre sibérien de l'île de Zhokhov que des autres canidés ou des loups américains contemporains. Leur lignée est donc d'origine sibérienne avant leur introduction par les peuples arctiques, les Inuits notamment, dans l'ensemble des terres du pôle nord.

L’absence d’hybridation génétique avec des loups interroge néanmoins les auteurs de cette étude. Elle pourrait s’expliquer par l’éradication des populations qui partagent une part de son génome avec ces chiens domestiqués. Reste à découvrir de nouvelles preuves archéologiques de cette domestication pour confirmer cette nouvelle thèse.

En bref

Mégalithes. Un cercle de deux kilomètres de diamètre à trois kilomètres de Stonehenge. En Angleterre, des archéologues ont mis au jour une structure, vieille de 4 500 ans, près du célèbre site néolithique, autour d'autres enceintes mégalithiques, Durrington Walls et Woodhenge. Les limites d'une zone sacrée, affirment les premières hypothèses.

«Landnámsöld». La colonisation de l'Islande par les Vikings au IXe siècle est encore sujette à questionnements. Quand exactement ont débarqué les premiers Scandinaves ? Et qui étaient-ils ? Des fouilles archéologiques récentes, près du village de Stöðvarfjörður, suggèrent cependant que l'installation viking, a été plus précoce que ce que racontent les sagas : au moins dès l'an 800.

Paléoanthropologie

Des sites aborigènes depuis 7 000 ans sous les mers

C'est une date qui fait à peu près consensus parmi les paléoanthropologues : il y a 65 000 ans au moins, les premiers hommes modernes sont arrivés dans le nord de l'Australie. Pour atteindre l'île-continent, aujourd'hui séparée des îles indonésiennes par plusieurs centaines de kilomètres d'étendues aqueuses, Homo sapiens, au-delà de son ingéniosité pratique, a joui de circonstances octroyées  par dame nature. En effet, à cette époque, alors que la planète vivait sa dernière période glaciaire, le niveau des mers était d'environ 80 mètres inférieur à l'actuel, réduisant la distance entre les terres émergées telle qu'on la connaît.

D’où cette question des scientifiques : est-il possible de retrouver des traces d’occupation humaine, aujourd’hui immergées, qui attesterait de la dispersion de notre espèce en Australie ? Et un début de réponse : oui, comme en atteste la découverte récente de deux sites archéologiques sous-marins, dans l’archipel Dampier, à respectivement 2,4 et 14 mètres au-dessous du niveau des mers et vieux d’environ 7 000 à 8500 ans.

Décrites ce mois-ci dans la revue Plos one, ces recherches ont permis de faire remonter plusieurs centaines d'artefacts humains très peu érodés et toujours tranchants : des outils en pierre taillée principalement, mais aussi des mortiers. Et, si peu de ces objets ont été ramenés à la surface, ils suggèrent après analyse que la vie des ascendants des Aborigènes était tournée vers la production de nourriture.

Ces résultats ont pu être obtenus en combinant différentes méthodes et modèles, comme la datation au carbone 14 du matériel marin et l’étude topographique du plateau continental grâce à la télédétection par laser (Lidar), malgré les difficultés inhérentes à la localisation sous-marine des sites de fouilles. Les auteurs de l’étude n’évacuent pas les implications éthiques : comment protéger ces sites aborigènes millénaires, en vertu de la législation australienne notamment ?

En bref

Homo au Congo. Aux latitudes tropicales et équatoriales, les restes humains et matériels résistent mal à l'épreuve du temps. Au Gabon, de nouvelles datations d'outils de pierre suggèrent cependant que l'humanité était présente dans le bassin du Congo il y a entre 620 000 et 850 000 ans, grâce à des techniques innovantes comme le spectromètre de masse par accélérateur de particules Aster. De quoi chambouler les scenarii de notre origine ? Il est encore trop tôt pour le dire.

Tir à l'arc préhistorique. Ce seraient les plus anciennes pointes de flèches découvertes hors d'Afrique. Au Sri Lanka, des paléoarchéologues ont exhumé dans la grotte de Fa Hien Lena des artefacts humains vieux de 45 000 à 48 000 ans et qui témoignent d'une utilisation précoce d'arc pour la chasse. Taillées dans des os d'animaux, ces pointes ont été retrouvées aux côtés de lissoirs, de perles et d'autres types d'outils. Une découverte rare pour un environnement tropical.

Paléontologie

Certains dinosaures pondaient des œufs à coquille molle

Ces dernières décennies, les œufs de dinosaures font partie des découvertes incontournables de la paléontologie. D'abord, parce qu'on en trouve un sacré paquet à travers le monde, comme ces centaines de coquilles de ptérosaures découvertes dans le désert de Gobi (entre la Chine et la Mongolie) ou, plus près de chez nous, celles non identifiées d'un gisement intarissable au cœur de la réserve naturelle de la Sainte Victoire, près d'Aix-en-Provence. Ensuite, parce que ces fossiles donnent des indices précieux sur la reproduction et les juvéniles de ces animaux soudainement disparus il y a 66 millions d'années. On peut donc facilement imaginer l'engouement des scientifiques lorsqu'ils ont récemment exhumé des œufs fossilisés d'un tout autre genre : à coquille molle.

Jusqu'à présent, les spécialistes pensaient que les œufs des dinosaures avaient originellement une coquille calcifiée, c'est-à-dire dure, pour protéger le développement embryonnaire du stress extérieur et assurer le succès de la reproduction. Or, étant donné que seuls des œufs d'hadrosauridés, de théropodes (la branche des dinosaures qui a conduit aux oiseaux actuels) et de sauropodes (brachiosaures, diplodocus, etc) ont été mis au jour, certains paléontologues supposaient que ceux d'espèces de la famille des céraptopsiens (les dinosaures à cornes) en particulier, n'avaient pas résisté à l'épreuve du temps du fait de leur hypothétique mollesse. Ce que confirment deux études sur l'évolution de la structure des œufs chez les amniotes publiés mi-juin dans Nature (ici et ici).

Œuf fossilisé à coquille molle découvert en Antarctique et attribué à un mosasaure. Photo Clarke et al.,

Nature,

juin 2020.

Leurs auteurs y décrivent notamment la découverte en Mongolie, en Argentine et en Antarctique – une première ! - d’œufs fossilisés non minéralisés appartenant respectivement à un protoceratops (Crétacé), un mussaurus (Trias) et un reptile marin géant, probablement un mosasaure (fin du Crétacé). Les premiers, issus de nids, contenaient d’ailleurs des embryons ; tandis que le second, retrouvé en 2011 et conservé au Muséum national d’histoire naturelle du Chili, était énorme (18 centimètres sur 28) mais déjà éclos. Un point commun, cependant : les fossiles présentaient des résidus de membranes internes semblables à celles des tortues et lézards actuels, des animaux qui, parce que la coquille de leurs œufs est molle, doivent pondre dans le sable par exemple pour favoriser l’incubation. Quant aux œufs à coquille dure, ils seraient le résultat d’évolutions indépendantes tout au long du Mésozoïque, offrant à la progéniture un avantage adaptatif certain.

En bref

Larve piégée. Pour la première fois, des paléontologues ont mis la main en Indonésie sur un fossile piégé dans une opale (minéral composé de silices), et non pas dans l'ambre. L'animal, une larve ou une mue, d'un insecte de la famille des Cicadoidea (dont la cigale est un représentant) est vieux de 5 à 10 millions d'années. Et son tombeau d'opale, une nouvelle piste de recherches pour les scientifiques sur Terre… comme sur Mars !

Insecte préhistorique piégé dans l’opale. Photo Chauviré et al.,

Scientific reports

, juin 2020.

Wombat préhistorique. Dans le sud de l'Australie, des paléontologues ont exhumé les restes d'un marsupial, vieux d'environ 25 ou 26 millions d'années et dont la morphologie le rapproche des wombats actuels. Ce nouveau mammifère préhistorique, Mukupirna nambensis, pesait dans les 150 kilos, soit 5 fois le poids de ses cousins actuels ; et ses bras comme ses dents induisent sa capacité à creuser la terre, une caractéristique des vombatiformes contemporains, dont les scientifiques cherchent à comprendre l'histoire évolutive.