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Archéologie

A Toulouse, les Wisigoths sortis de l’ombre et de leurs tombes

Prolongée jusqu’à la fin de l’année au musée Saint-Raymond, une exposition inédite retrace, matériel archéologique à l’appui, la destinée de ce peuple germanique ayant administré un imposant mais éphémère royaume dans le sud-ouest de la France, au Ve siècle.
La «Dame de Seysses» dans son sarcophage du Ve siècle. (Photo Sélim Djouad, Hadès, 2018.)
par Florian Bardou, envoyé spécial à Toulouse
publié le 22 juillet 2020 à 7h01

Il fût un royaume florissant et fugace – il n’eut pas plus d’un siècle d’existence au nord des Pyrénées –, dont l’histoire officielle n’a jusqu’ici peu fait état… Etendu de l’Aquitaine à la Septimanie (l’ancienne Gaule narbonnaise), son territoire, octroyé en 418 par l’empereur romain d’Occident Honorius, englobait pourtant les deux tiers de la péninsule ibérique à son apogée ; et sa capitale Toulouse (Tolosa pour les Gallo-Romains de l’époque), cité prospère ceinte d’un rempart, était opportunément desservie par d’importants axes routiers et fluviaux.

Bref, jusqu'à la défaite contre les Francs à la bataille de Vouillé en 507, le royaume wisigoth de Toulouse n'a pas été la parenthèse barbare, de sacs en pillages (et vice-versa) aux marges d'un empire décati, injustement décrite par de mauvais historiens et la pop culture. D'ailleurs, ces dernières années, les connaissances acquises grâce à l'archéologie ont profondément changé le regard des scientifiques sur cette dynastie oubliée du Ve siècle de notre ère. Une destinée que propose de retracer une exposition habile et inédite au musée Saint-Raymond jusqu'à la fin de l'année, 1 600 ans après l'occupation des lieux par les Wisigoths.

Des bijoux wisigoths (plaque-boucle en bronze, fibule et trois perles) retrouvés dans une tombe datée de la fin du Ve siècle à Estagel (Pyrénées-Orientales) et exposés au musée Saint-Raymond de Toulouse.

Photo DR

Qu'y apprend-on au gré d'une petite heure de déambulation parmi les 250 objets de cette collection temporaire (de nombreux bijoux en or notamment, ainsi que des peignes ou des pièces de monnaie) et pour certains prêtés par de prestigieuses institutions européennes (le musée archéologique de Varsovie, le musée national d'histoire de la Roumanie, etc.) ? D'abord, que des fouilles récentes ont permis d'attester archéologiquement l'installation de ce peuple germanique, originaire des actuelles Roumanie et Moldavie, dans le sud-ouest de l'ancienne Gaule. «L'archéologie préventive et la découverte récente d'une dizaine de sites wisigoths fondamentaux ont fait voler en éclat plein de postulats et de théories», souligne à ce propos Laure Barthet, commissaire de l'exposition et conservatrice du musée toulousain.

Pièces d’orfèvrerie

Exhumé à Seysses (Haute-Garonne) en 2018 par le bureau d'investigations archéologiques Hadès, le long d'une voie antique reliant Toulouse et Saint-Bertrand-de-Comminges, un cimetière daté du Ve siècle composé d'environ 150 sépultures a par exemple livré les restes humains d'individus de tous les âges et de tous les sexes aux crânes allongés vers l'arrière, pratique courante chez les peuples germaniques orientaux comme les Goths ou les Burgondes. Mais dans cette nécropole a aussi été mise au jour une tombe unique : celle d'une jeune femme d'un rang social élevé, surnommée la «Dame de Seysses». Pillé à plusieurs reprises, son tombeau, un sarcophage en calcaire – le seul retrouvé sur le site –, renfermait en effet des vestiges de parures (une bague en forme de svastika et une boucle de ceinture en fer ornée), dont les pièces d'orfèvrerie témoignent d'une grande richesse. «On connaît les Wisigoths essentiellement grâce aux Wisigothes, rappelle à ce propos l'archéologue Laure Barthet. C'est dans les tombes des femmes que l'on a trouvé des parures germaniques orientales ou les indices d'un mobilier funéraire très particulier.» 

L'exposition est également un sain rappel de l'empreinte oubliée des «Goths de l'Ouest» sur Toulouse, alors une ville paléochrétienne de 92 hectares avec ses églises primitives et ses édifices publics hérités de la ville antique. Malgré leur règne éphémère – le royaume a véritablement été autonome de 466 à 507, à partir de la chute de l'Empire romain d'Occident sous Euric et Alaric II – et le maintien des structures administratives romaines à l'identique. «Les rois wisigoths ont maintenu la trame urbaine de la ville et le réseau d'adduction, précise encore la directrice du musée Saint-Raymond. Le plan de la ville et le parcellaire portent encore les traces des Wisigoths, comme les églises qu'ils ont connues : Saint-Pierre-des-Cuisines et Sainte-Marie la Daurade.»

Illustration du palais des rois wisigoths de Toulouse, dont l’emplacement était situé sur l’actuelle place de Bologne.

Photo Christian Darles. DR

Un regain d'intérêt historique ?

Découverts à la fin des années 80 lors de fouilles sur l'actuelle place de Bologne (au nord-ouest de la ville antique), les vestiges d'une résidence palatiale en bordure de la Garonne, datée du Ve siècle, attestent d'ailleurs «d'un geste d'urbanisme du pouvoir wisigothique» à l'instar des restes d'un mausolée exhumé en 2011, lors du chantier de l'école d'économie de Toulouse.

La redécouverte progressive d'une histoire passée sous silence, contrairement à l'Espagne où la période wisigothe close par la conquête arabe de 711 est intégrée au récit national ? «En France, les Wisigoths n'ont été vus que comme un épisode barbare, mais cette notion utilisée depuis le XIXe siècle porte préjudice à leur histoire et à l'archéologie wisigothique, qui n'a pas beaucoup de financements, conclut Laure Barthet. Or, énormément de questions restent en suspens : à combien peut-on par exemple évaluer la population wisigothe ? Quelle était l'étendue de leur peuplement ?» Un regain d'intérêt historique pour la période (1) et de nouveaux indices archéologiques seront peut-être à même d'y répondre.

(1) Pour aller plus loin, lire le Royaume wisigoth d'Occitanie, de Joël Schmidt, éditions Perrin, 2008.

«Wisigoths. Rois de Toulouse», au musée Saint-Raymond, Toulouse, jusqu'au 27 décembre.