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Libération
Chronique «tas de vieux os»

Les Vikings, «cluster» de la variole au Moyen Age

La pierre de Tjängvide, datant de l'âge Viking, a été retrouvée en Suède, dans le Gotland. (Universal History Archive/Photo Universal Images Group. Getty Images)
publié le 3 août 2020 à 14h40

Une fois par mois, Libération recense l'actualité des choses du passé plus ou moins lointain : découvertes archéologiques, trouvailles paléontologiques et nouveautés préhistoriques. Ce mois-ci, notre dixième épisode autopsie l'épidémie de variole chez les Vikings, des microbes vieux de 100 millions d'années et la moins bonne tolérance à la douleur des Néandertaliens. Pour retrouver l'épisode précédent, c'est par ici.

Archéologie

Les Vikings, «super propagateurs» de la variole au Moyen Age ?

La variole, infection virale autrefois hautement contagieuse, a été officiellement éradiquée en 1980. Cette victoire épidémiologique sur une maladie à l'origine de 300 à 500 millions de décès pour le seul XXsiècle doit beaucoup à la vaccination et notamment à la campagne mondiale menée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) à partir des années 50. Ce qui en dit long, en ces temps pandémiques, sur les espoirs suscités de nos jours par la découverte d'un vaccin tout aussi efficace contre le Covid-19. Cependant, si la «petite vérole», comme on l'appelait en France dès le XVIsiècle, a bel et bien disparu, on ne sait toujours pas vraiment quand (et où) la maladie est apparue – au néolithique, il y a 10 000 ans environ supposent tout de même les scientifiques. Certes, il y a les textes laissés par différents auteurs, à l'instar du médecin persan al-Razi qui a pour la première fois fait le distingo clinique entre la rougeole et la variole au début du Xsiècle de notre ère ; mais les preuves archéologiques pour attester de la propagation de la maladie font jusqu'à nos jours défaut, les traces du virus les plus vieilles ayant été retrouvées dans les tissus momifiés d'un enfant du XVIIsiècle en Lituanie.

De nouveaux travaux viennent toutefois confirmer la prévalence de l'épidémie en Europe du Nord dès le VIIsiècle, notamment au sein des populations Vikings. Publiés dans la revue Science fin juillet, ils suggèrent en effet, à partir de l'étude génomique des restes humains de près de 2 000 individus vieux pour certains de 30 000 ans, qu'une souche sœur du virus moderne de la variole (VARV), aujourd'hui éteinte, circulait parmi les hommes du Nord. C'est à partir des dents d'une douzaine de Vikings, ayant vécu entre l'an 600 et l'an 1050 au Danemark, en Suède ou en Russie, que l'équipe du généticien danois Eske Willerslev a, pour ainsi dire, identifié cette souche, génétiquement distincte de celle éradiquée en 1980.

Provenance et analyse génomique des souches de virus de variole découvertes sur des sites archéologiques vikings en Europe du Nord.

Photo Mühlemann et al.,

Science

, juillet 2020.

Et parce qu'elle a plus de gènes actifs que celle du VARV, sa structure fait dire aux virologistes Barbara Mühlemann et Antonio Alcami que la variole était à l'époque Viking moins virulente qu'elle ne l'a été par la suite – une hypothèse qui fait d'ailleurs l'objet d'un autre article dans Science. Autre supposition : parce qu'ils étaient de grands voyageurs des mers (en mer du Nord, dans la Baltique mais aussi en Méditerranée), les Vikings auraient pu être des sortes de super propagateurs des épidémies de variole en Europe, poussées épidémiques présentes sur le continent au moins depuis le VIsiècle.

En bref

Verrerie romaine. L'analyse chimique de fragments de verre dits d'Alexandrie, produit très prisé des Romains mais dont on ne connaissait pas jusque-là la provenance, est formelle : ce matériau de luxe était bien fabriqué par des verriers d'Egypte et non pas du Levant comme le suggérait l'archéologie. Une origine géographique authentifiée par la composition en isotopes d'hafnium (comme une signature) des sables utilisés pour fabriquer cette verrerie.

Fragment de verre d’Alexandrie trouvé lors de fouilles sur le site de Gérasa, dans l’actuelle Jordanie, une cité gréco-romaine semi-autonome sous protection romaine à partir du premier siècle avant J.-C.

Photo Danish-German Jerash Northwest Quarter Project,

Science direct,

juillet 2020.

Les étalons d'abord. L'analyse génétique de centaines de chevaux inhumés sur le continent eurasien depuis le paléolithique supérieur a révélé aux paléogénéticiens l'émergence d'une préférence pour les équidés mâles à l'âge du bronze, il y a environ 3 900 ans. Ce biais favorable aux étalons, attesté par l'archéologie, pourrait s'expliquer selon eux par l'apparition d'une nouvelle vision du genre dans des sociétés de plus en plus inégales.

Paléoanthropologie

Les Néandertaliens moins tolérants à la douleur que l’homme moderne ?

La douleur est généralement une expérience sensorielle peu agréable – à moins d'y trouver du plaisir – pour tous les vertébrés. Physiologiquement, elle agit comme une alarme quand les tissus de notre corps subissent des lésions. En cas de chute, les terminaisons nerveuses de l'épiderme éraflé, que l'on appelle nocicepteurs, vont envoyer le signal d'une inflammation qui remonte jusqu'au cerveau par les nerfs et la moelle épinière. C'est néanmoins une fois qu'elle est analysée que l'information est ressentie comme de la douleur. Tout cela va évidemment très vite et s'accompagne d'une réponse pour la moduler. L'intensité de la douleur, ou du moins sa perception, varie cependant d'un individu à un autre. C'est le cas en fonction de l'âge – plus on vieillit plus la sensibilité à la douleur peut être intense – mais peut-être aussi en raison du variant d'un gène hérité de l'homme de Néandertal. Une hypothèse qu'avancent ce mois-ci dans la revue Current Biology d'éminents paléogénéticiens de l'Institut d'anthropologie évolutionniste Max-Planck de Leipzig et de l'Institut Karolinska de Stockholm, en particulier Hugo Zeberg et Svante Pääbo.

Qu'ont-ils découvert ? Que le génome de nos cousins disparus, les Néandertaliens, que l'on connaît désormais très bien grâce à la découverte d'ADN ancien et des preuves de métissage avec notre espèce, a légué à une partie des Européens et des Latino-américains une version d'un gène qui code le canal ionique (soit une protéine des membranes cellulaires qui régule l'activité électrique des neurones sensoriels), Nav1.7, «crucial» dans le déclenchement des impulsions perçues comme douloureuses. En effet, en étudiant les caractéristiques génétiques de presque un demi-million de Britanniques collectés dans le cadre de l'étude UK Biobank depuis 2006, les scientifiques se sont rendu compte qu'environ 0,4% de ce panel était porteur du gène néandertalien. Or, ces mêmes individus, interrogés sur leur rapport à douleur, faisaient également état d'une sensibilité accrue, comme s'ils avaient huit ans et demi de plus que leurs semblables. De là à dire qu'Homo Neandertalensis souffrait plus de ses blessures ? «Il est difficile de savoir si les Néandertaliens étaient plus sensibles car la douleur est aussi modulée dans la moelle épinière et le cerveau, fait savoir Svante Pääbo. Le mérite de ce travail est de montrer que, chez eux, le seuil de déclenchement des impulsions électriques relatives à la douleur était plus bas que pour la plupart des humains d'aujourd'hui.» Un legs génétique parmi d'autres, pas forcément des plus bienvenus.

En bref

Biface en os d'hippopotame. Homo erectus ne fabriquait pas que des outils en pierre. En Ethiopie, sur le site de Konso, des paléoanthropologues ont mis au jour un gros biface taillé dans le fémur d'un hippopotame – vraisemblablement une hache – et vieux d'1,4 million d'années. Une découverte rare d'une technologie très avancée qui élargit le répertoire des premiers hominines.

Représentation tomographique du biface taillé par Homo erectus dans un fémur d’hippopotame et retrouvé en Ethiopie.

Photo Sano et al.,

PNAS,

juillet 2020.

Parures en coquillage. L'analyse microscopique de coquillages (Glycymeris) naturellement perforés et découverts dans la grotte de Qafzeh en Israël fait dire aux paléoarchéologues qu'ils ont été ramassés intentionnellement à des fins symboliques. Et notamment pour fabriquer des parures aux perles resserrées. Un nouveau trait culturel qui serait apparu il y a entre 160 000 et 120 000 ans.

Paléontologie

Des microbes de l’âge des dinosaures remontés à la surface

Les sédiments des fonds marins représentent un peu plus des deux tiers de la surface de la Terre. Mais ils regorgent également de vie, soit un quart voire près de la moitié de la biomasse microbienne, ce qu'ont montré différentes études ces deux dernières décennies. Pourtant, et c'est tout le paradoxe, sous le plancher océanique, l'oxygène et les nutriments indispensables à la survie de ces micro-organismes sont relativement rares. Pour comprendre leur métabolisme et le fonctionnement de cet écosystème très particulier, les scientifiques s'attellent donc depuis plusieurs années à forer les sédiments afin de faire remonter à la surface des échantillons capables de leur fournir les informations sur ces microbes pour la plupart plongés dans un une sorte d'état de veille. Et, en particulier, dans l'une des régions considérées comme la plus pauvre en vie, le gyre tropical du Pacifique sud, à environ 6 000 mètres de profondeur. On peut donc aisément s'imaginer la surprise de l'équipe de l'Agence japonaise pour les sciences et technologies marines et terrestres, emmenée par Yuki Morono, lorsqu'elle a découvert dans les carottes de sédiments inhospitaliers de soixante-quinze mètres de long des microbes déposés au fond des abysses il y a au moins 100 millions d'années, fonds marins où ils ont été piégés et que les chercheurs ont depuis réussi à «réveiller». Des travaux qui font d'ailleurs l'objet d'un article dans Nature communications, fin juillet.

Un échantillon des sédiments sous-marins prélevés par les chercheurs dans le gyre du Pacifique sud. Un échantillon des sédiments sous-marins prélevés par les chercheurs dans le gyre du Pacifique sud. Photo JAMSTEC

Si cette découverte est surprenante, c'est d'abord par la longévité de l'hibernation des bactéries aérobies (qui ont besoin d'oxygène pour fonctionner) qui ont donc survécu à l'extinction des dinosaures il y a 66 millions d'années et sans se nourrir. Placés en incubation et ravitaillés tous les jours, les échantillons microbiens sont par ailleurs sortis de leur état de long sommeil au bout de dix semaines, avant de se développer et de se multiplier par division cellulaire. Ce qui laisse penser que ces micro-organismes sous-marins ont finalement besoin d'une faible quantité d'énergie pour survivre des dizaines de millions d'années même dans des environnements très hostiles. Les scientifiques excluent également l'idée selon laquelle des communautés microbiennes aient pu se déplacer entre couches sédimentaires, ce qui fausserait leurs résultats, en raison de leur faible perméabilité.

En bref

Crânes de crocos. Exhumé en Libye à la fin des années 30 et réexaminé au scanner, un crâne de crocodile préhistorique (Crocodylus checchiai), vieux d'environ 7 millions d'années, suggère, par ses ressemblances morphologiques avec celui d'un vieux cousin Américain, que les crocodiles ont traversé l'Atlantique pour coloniser le Nouveau Monde. Les crocodiles américains seraient par conséquent les descendants d'un lignage africain.

Le crâne de Crocodylus checchiai exhumé en Libye et réexaminé par les paléontologues de l’université Sapienza de Rome.

Photo Bruno Mercurio

Un hibou à serres d'aigle. Voilà un hibou préhistorique peu recommandable. Vieux de 55 millions d'années, le fossile quasi-complet d'un de ces rapaces découvert il y a trente ans dans le Wyoming vient en effet de livrer ses spécificités. Et notamment, des serres – que ne possèdent pas les hiboux et chouettes modernes – qui lui permettaient sans aucun doute de chasser ses proies. Comme les aigles et les buses.