La Chine vient de franchir un nouveau cap dans l’exploration lunaire. Lundi soir, à 21h30 heure française, la sonde chinoise de la mission Chang’e 5 a été propulsée avec succès par une fusée Longue Marche 5 depuis le centre spatial de Wenchang, sur l’île de Hainan. L’objectif : rapporter des fragments de Lune sur Terre. Si les Etats-Unis et l’URSS avaient déjà réussi un tel exploit dans les années 70 avec les missions Apollo et Luna, Chang’e 5 n’en reste pas moins unique en son genre.
«L'intérêt de cette mission est qu'elle va permettre d'atterrir sur un massif volcanique (Mons Rümker) de la face visible de la Lune sur laquelle les précédentes missions ne sont jamais allées, explique Athena Coustenis, astrophysicienne, directrice de recherche au CNRS et présidente du Comité d'évaluation de la recherche et de l'exploration spatiale (Ceres) du Centre national d'études spatiales (Cnes). C'est une région où l'on a recensé certains éléments chimiques particuliers comme des anomalies de potassium.»
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Un défi technologique
La sonde chinoise est composée de quatre éléments : un orbiteur, un atterrisseur, un module de remontée ainsi qu'une capsule de retour vers la Terre. Un procédé technique jusque-là inédit : «C'est un défi technologique énorme. Il faut d'abord s'arrimer, prendre les échantillons, les transférer de la foreuse vers le module de remontée puis les transvaser dans la capsule de retour», analyse l'astrophysicienne. La foreuse permettra par ailleurs de creuser jusqu'à deux mètres de profondeur pour prélever des carottes, «une première».
L'exercice est périlleux, mais le jeu en vaut la chandelle pour les scientifiques qui attendent avec impatience le retour de la sonde, prévu pour la mi-décembre. Les échantillons collectés (environ 2 kilos) permettront notamment de percer les mystères de la formation du satellite de la Terre. «L'hypothèse dominante actuelle est que le système Terre-Lune s'est formé suite à l'impact d'une protoplanète de la taille de Mars avec la Terre. Cet impact aurait projeté des matériaux sur l'orbite de la Terre qui se sont accumulés pour former la Lune», explique Athena Coustenis. Pour mieux comprendre la formation de ce système, ramener d'autres échantillons est «indispensable», estime Frédéric Moynier, cosmochimiste à l'Institut de physique du globe de Paris, spécialiste de la Lune : «Cette théorie est basée sur les échantillons d'Apollo qui ont été récupérés sur une partie très limitée de la Lune. Est-ce véritablement représentatif de l'ensemble de la Lune ? Nous le saurons peut-être grâce à cette mission, car la région explorée est beaucoup plus jeune (environ 1,2 milliard d'années) que celles explorées précédemment (entre 3 et plus de 4 milliards d'années).»
Avec ce nouveau lancement, la Chine se place dorénavant comme un acteur incontournable de l'exploration spatiale. La stratégie mise en place depuis plusieurs années par l'agence spatiale chinoise (CNSA), qui se focalise sur l'aspect technologique de chaque mission, commence à porter ses fruits. Etape par étape, les Chinois rattrapent leur retard sur les Etats-Unis, la Russie ou encore l'Europe. Ainsi, les missions Chang'e 1 et 2, lancées respectivement en 2007 et 2010, ont permis aux Chinois de comprendre comment se mettre en orbite autour de la Lune en vue de futurs atterrissages. Un objectif atteint avec Chang'e 3 en 2013, qui a permis de déposer un rover sur la Lune, au nord-est de la mer des Pluies. Mais c'est avec la mission Chang'e 4 que les scientifiques chinois ont marqué un grand coup l'an passé en réussissant un alunissage sur la face cachée de la Lune, une première mondiale. La récupération d'échantillons avec Chang'e 5 est donc la suite logique d'une exploration lunaire toujours plus ambitieuse.
«Soft power»
«Depuis les années 2000, la Chine a pour objectif de rattraper les capacités spatiales des premières grandes puissances spatiales mondiales, explique Isabelle Sourbès-Verger, géographe spécialiste de la politique spatiale et directrice de recherche au CNRS au centre Alexandre Koyré. Il y a un objectif de reconnaissance internationale bien sûr, mais également de fierté nationale qui s'accorde avec le credo de "rêve d'espace" du président chinois Xi Jinping.»
Si pour la chercheuse, la Chine est encore loin de pouvoir rivaliser avec le programme spatial américain (le budget spatial chinois est estimé entre 6 et 10 milliards de dollars annuels contre 21 milliards pour celui de la Nasa), la puissance compte bien user de l'exploration spatiale comme «soft power» sur la communauté internationale. «Les avantages sont nombreux pour les Chinois, estime la géographe. Non seulement le nombre de leurs publications scientifiques devrait s'accélérer grâce aux données recueillies sur cette mission, ce qui les fera briller à l'international, mais en plus cela va leur ouvrir les portes de grands laboratoires étrangers spécialisés en géologie.»
Et le pays ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : l’objectif à moyen terme étant d’établir une base lunaire, première étape avant l’exploration martienne. La mission Chang’e 6, dont le lancement est prévu aux alentours de 2023-2024, récupérera cette fois des échantillons issus du pôle Sud de la Lune. «C’est là que l’on trouve de larges étendues de glaces d’eau, souligne Athena Coustenis. Et qui dit glace d’eau dit possibilité de former de l’eau liquide soit par évaporation soit par extraction. Cela intéresse beaucoup les scientifiques car nous avons besoin de cette eau pour établir une base sur la Lune.»