Il ne faut surtout pas appeler ça un échec. La Nasa préfère parler d’une «étape importante», d’un «jalon», d’une occasion d’apprendre et de progresser pour faire mieux à l’avenir… Il n’empêche que les moteurs de la nouvelle fusée SLS ont fonctionné seulement une minute au lieu de huit, lors d’un essai statique réalisé ce week-end. Ils se sont éteints tout seuls avant qu’on ait eu le temps de réaliser tous les tests prévus. Et dire que ce lanceur géant est censé envoyer des êtres humains sur la Lune d’ici quelques années… Déjà hors délai et hors budget, SLS semble encore loin de son vol inaugural.
Lanceur lourd
Le projet du Space Launch System (SLS) a débuté il y a dix ans. L'administration Obama avait pourtant décidé dans un premier temps de réduire la voilure sur les ambitions de conquête lunaire. Fini, le programme Constellation de George W. Bush : les démocrates de retour à la Maison Blanche ont estimé en 2010 qu'il était trop coûteux et trop long d'organiser un retour sur la Lune avec une nouvelle fusée et un nouveau vaisseau, juste pour rouler des mécaniques comme à l'époque Apollo. Le projet de fusées Ares, des engins surdimensionnés qui devaient prendre la succession de la mythique Saturn V, a donc fini à la corbeille. A la place, le budget de la Nasa devait servir à aider deux entreprises privées (SpaceX et United Launch Alliance) pour développer de nouvelles fusées au goût du jour, plus simples et moins chères.
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Mais pour éviter de mettre au chômage tout un secteur de l'industrie spatiale publique aux Etats-Unis, le Congrès a finalement fait revenir le projet d'un lanceur lourd made in Nasa : le Space Launch System. On imaginait à l'époque qu'il serait prêt à voler dès 2019. Mais le développement de la fusée a accumulé retards et dépassements de budgets, si bien qu'en ce début 2021, on en est seulement à tester le bon fonctionnement des moteurs.
«Panne de composant majeur»
Le test de mise à feu «statique» (c'est-à-dire sans décollage, avec un moteur cloué au banc d'essai) était organisé ce samedi 16 janvier au centre spatial Stennis, dans le Mississippi. C'était le huitième et ultime test de la série «Green Run», qui met à l'épreuve l'étage principal de la fusée depuis un an. Cette fois-ci, pour finir, le plan «était d'allumer les quatre moteurs RS-25 de la fusée pendant un peu plus de huit minutes – soit la durée nécessaire pour envoyer la fusée vers l'espace», explique la Nasa.
L'essai statique du 16 janvier 2021 (les moteurs s'allument vers 2:07:00). Vidéo Nasa
Le compte à rebours s’est bien déroulé, tout semblait prêt. Les moteurs se sont allumés à l’instant prévu et ont commencé à brûler les 332 tonnes de carburant (hydrogène et oxygène liquide) prévues pour l’exercice.
Mais au bout de 45 secondes, une «panne de composant majeur» s'est déclarée sur l'un des moteurs, qui s'est éteint 20 secondes plus tard. Les trois autres moteurs ont alors été coupés aussi. Dommage : la Nasa n'a même pas eu le temps de procéder à un test capital qui devait avoir lieu quelques minutes plus tard, les manœuvres d'orientation des tuyères pour aider la fusée à corriger sa trajectoire.
Objectif Artemis
En attendant de connaître la cause du problème, la Nasa se veut rassurante dans son compte rendu de la mise à feu statique : «Voir les quatre moteurs s'allumer pour la première fois […] était une étape majeure pour l'équipe du SLS. Nous allons analyser les données, et ce que nous apprendrons du test de ce jour nous aidera à planifier les étapes suivantes pour vérifier que l'étage principal du lanceur sera prêt à voler pour la mission Artemis I», résume John Honeycutt, responsable du programme SLS au centre spatial Marshall à la Nasa. L'objectif officiel reste donc de faire décoller le SLS en novembre 2021, pour la première mission Artemis qui enverra la capsule Orion, encore inhabitée, faire le tour de la Lune.
«Nous allons apprendre de cette extinction prématurée, identifier des corrections si nécessaire et avancer», renchérit Rick Gilbrech, le directeur du centre spatial Stennis qui a accueilli le test. Mais si on découvre effectivement des problèmes à corriger, il faudra probablement organiser une nouvelle mise à feu statique, et la mission Artemis I sera retardée de plusieurs mois. De toute façon, la nouvelle administration Biden semble motivée à utiliser prioritairement les ressources de la Nasa pour lutter contre le changement climatique – et tant pis si elle ne tient pas les délais de retour sur la Lune en 2024, auxquels personne ne croit de toute manière.