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Archéologie

Des scientifiques retrouvent «l’homme du puits» d’une saga médiévale norvégienne

Une équipe de chercheurs a retrouvé les restes de l’«homme du puits» mentionné dans une saga norvégienne vieille de 800 ans et a utilisé plusieurs techniques modernes pour reconstituer son identité.
Les restes de l'"homme du puits" de la saga médiévale norvégienne, devenu un vrai personnage après de nouvelles analyses scientifiques. (Age Hojem/NTNU University Museum)
publié le 27 octobre 2024 à 9h38

Une saga vieille de 800 ans mentionne brièvement un homme mort jeté dans un puits après l’attaque d’un château en Norvège. Le malheureux n’a même pas droit à un nom. Mais des scientifiques qui pensent aujourd’hui avoir retrouvé ses restes pourraient le (re)baptiser. Selon un article publié dans la revue iScience, ils ont utilisé la datation au carbone 14, l’analyse d’ADN ancien et une étude minutieuse d’un squelette découvert il y a des décennies au fond d’un puits à l’extérieur du château de Sverresborg, près de Trondheim en Norvège. Et sont arrivés à cette conclusion : cet «homme du puits» est le même que celui brièvement mentionné dans la Sverris saga, une histoire publiée il y a 8 siècles vers sur un roi norvégien du XIIe siècle.

Précisons que l’homme jeté dans le puits n’était pas un personnage majeur de l’histoire médiévale norvégienne. Il n’a droit qu’à une seule ligne : «Ils ont jeté un homme mort dans un puits, puis l’ont rempli de pierres.» Mais la Sverris saga est considérée par les historiens comme une source plutôt fiable sur les événements de la Norvège médiévale, explique Armann Jakobsson, professeur de littérature islandaise ancienne à l’université d’Islande. Même si cette saga a été écrite en collaboration avec le roi Sverre Sigurdsson, ce qui en fait aussi une œuvre de propagande, avec des biais évidents.

La découverte de l’homme du puits corrobore et étoffe un minuscule fragment de cette histoire. La datation au radiocarbone du squelette indique qu’il est mort vers 1197, lors de l’invasion du château de Sverresborg. Les chercheurs lui ont également donné un physique et un parcours: « l’homme du puits » avait entre 30 et 40 ans, les yeux bleus, la peau claire et les cheveux châtain clair ou blonds, il était originaire de la région la plus méridionale de la Norvège, illustrant le potentiel des techniques scientifiques modernes pour combler certaines lacunes de l’histoire, y compris celles de personnes dont les noms n’ont jamais été consignés dans les livres.

«Cet homme est un personnage marginal. Le terme même de personnage est exagéré pour décrire sa brève mention dans la saga», explique Michael D. Martin, professeur de génomique évolutive au musée universitaire de l’université norvégienne des sciences et technologies, et l’un des chefs de ce projet. «Grâce à cette analyse sophistiquée, on peut ajouter de nouveaux détails à son histoire. Il devient réellement un personnage.»

Redécouvrir l’homme du puits

L’homme du puits a été découvert pour la première fois en 1938, lors d’un projet de restauration du château de Sverresborg. Lorsque le puits a été vidé, un corps a été révélé. Mais le squelette n’a jamais été correctement excavé, et la Seconde Guerre mondiale a éclaté l’année suivante. Pendant des décennies, les restes ont été oubliés.

Les ruines du château font désormais partie d’un musée, et pour rendre la zone plus accessible au public, il a fallu sécuriser le puits. Des archéologues ont été appelés pour une fouille en 2014. Pendant la guerre, le puits avait servi de décharge pour les soldats allemands, rempli de bouteilles de vin, de vieilles munitions et de pierres, raconte Anna Petersen, archéologue à l’Institut norvégien de recherche sur le patrimoine culturel, qui a dirigé les fouilles en 2014 et 2016.

«Nous pensions qu’il n’y avait aucune chance qu’il reste quelque chose des ossements. Qu’ils devaient être écrasés», a déclaré Petersen. A sa grande surprise, ils ont pu récupérer plus de 90 % du squelette.

La datation au carbone 14, calibrée pour tenir compte du fait que l’individu avait probablement consommé beaucoup de poisson, ce qui peut faire paraître un échantillon plus vieux qu’il ne l’est vraiment, a permis de dater les restes de l’époque de la bataille.

Il n’est pas possible de dire avec certitude comment cet homme est mort. Les chercheurs pensent qu’il était probablement déjà mort avant d’être jeté dans le puits, en raison de blessures au crâne – ce qui correspond également au récit de la saga.

Enfin, l’ADN extrait d’une de ses dents a confirmé qu’il s’agissait bien d’un homme et a permis aux chercheurs de déterminer son apparence probable. En comparant son génome à une base de données de Norvégiens contemporains, ils ont conclu qu’il venait de la région du Vest-Agder, dans le sud du pays.

Martin Sikora, professeur associé en génomique ancienne à l’université de Copenhague, a salué la rigueur de l’analyse et souligné l’intérêt de voir que certaines différences génétiques encore observées aujourd’hui dans le sud de la Norvège remontent à la période médiévale.

Plusieurs chercheurs extérieurs ont déclaré que l’étude présentait des arguments convaincants, même si elle ne pouvait pas prouver de manière définitive que cet homme est bien celui mentionné dans la saga. Armann Jakobsson a applaudi les efforts visant à étudier les restes anciens et à les comparer aux textes historiques.

«Je ne serais pas surpris si une étude ADN moderne pouvait confirmer certains événements de la Sverris saga”, bien qu’il y ait évidemment des limites à ce que l’on peut vérifier», a écrit le professeur de littérature dans un mail.

Bagler contre Birkebeiner

La Sverris saga décrit une période charnière de l’histoire de la Norvège et est le fruit d’une collaboration entre l’abbé islandais Karl Jonsson et le roi Sverre Sigurdsson.

«Les descriptions de batailles dans la Sverris saga sont nombreuses, assez détaillées et très politiques, car elles opposent des factions rivales luttant pour le pouvoir en Norvège», poursuit Armann Jakobsson.

Dans la scène de bataille qui précède l’apparition de l’homme du puits, une armée de Bagler, faction loyale à l’Eglise catholique, se faufile par une porte secrète pour attaquer un château défendu par des Birkebeiner fidèles au roi. Les Bagler pillent, saccagent et incendient. Puis, ils jettent le cadavre dans le puits, vraisemblablement pour empoisonner l’eau.

On peut supposer que l’homme mort était un Birkebeiner, l’un des ennemis tués. Mais cette faction était basée dans le centre de la Norvège, tandis que les envahisseurs venaient du sud-ouest. Les Bagler auraient-ils jeté l’un des leurs dans le puits après la bataille ?

«Cela me semble peu probable. En général, les morts du camp vainqueur sont traités avec respect. On ne profane pas le corps de ses amis», explique John Sexton, professeur d’anglais à l’université de Bridgewater State, qui coanime «Saga Thing», un podcast sur les sagas nordiques. Une autre hypothèse est que l’homme du puits était un Birkebeiner originaire du sud, qui s’est retrouvé dans le mauvais camp.

Sexton a imaginé d’autres scénarios : la saga indique que les envahisseurs ont pu entrer dans le château grâce à un traître de l’intérieur. Peut-être que l’homme du puits était un renégat. Ou peut-être, dans la confusion de la bataille, s’est-il agi d’une erreur humaine, menant à jeter le corps d’un homme de leur propre camp dans le point d’eau.

Les chercheurs peuvent désormais débattre de la question sur la base de ces révélations.

«La réalité est toujours plus complexe que les sagas ou les récits, conclut l’archéologue Anna Petersen. Il est déjà remarquable de pouvoir déterminer que cet homme, quelle que soit la raison de sa fin dans un puits, était originaire de cette région de Norvège.»

Article original de Carolyn Johnson, publié le 25 octobre 2024 dans le «Washington Post»

Cet article publié dans le «Washington Post» a été sélectionné par «Libération». Il a été traduit avec l’aide d’outils d’intelligence artificielle, sous la supervision de nos journalistes, puis édité par la rédaction.