Un site exceptionnel, et c’est toute l’histoire de la lignée humaine qui est reprécisée. L’enchaînement bien connu âge de pierre, âge du bronze et âge du fer semble avoir fait oublier l’utilisation du bois, autre matériau essentiel il y a plusieurs centaines de milliers d’années, et dont la maîtrise témoignerait d’un plus haut niveau de cognition de nos ancêtres de l’époque. «Nous pouvons supposer que les outils en bois existent depuis aussi longtemps que les outils en pierre, c’est-à-dire depuis deux millions et demi ou trois millions d’années», affirme l’archéologue allemand Thomas Terberger dans le New York Times, le 4 mai.
Le chercheur a publié, le 1er avril dans la revue scientifique PNAS, un descriptif de tous les artefacts en bois retrouvés sur le site de Schöningen, situé dans le centre de l’Allemagne. Une mine d’or pour un anthropologue. «Le bois se détériore et survit rarement, le biais de la préservation fausse notre vision de l’antiquité», explique-t-il. Alors avec son équipe, il a patiemment analysé 700 bouts de bois précieusement conservés, pour décrire finalement 187 objets dont dix lances et sept javelots. Tous ont été excavés de l’ancien site d’une mine de charbon entre 1994 et 2008. Les plus anciens remontent à 300 000 ans, durant le pléistocène, soit avant l’apparition de l’Homo sapiens (l’homme moderne) dans la région, ils sont contemporains de la transition de l’Homo erectus et de l’Homo heidelbergensis vers l’homme de Néandertal.
Changer le regard sur ces populations
«Ces pré-Homo sapiens savaient fabriquer des outils et des armes pour chasser le gros gibier. Non seulement ils communiquaient entre eux pour abattre leurs proies, mais ils étaient assez sophistiqués pour organiser le dépeçage et le rôtissage», avance encore Thomas Terberger. Parmi les objets en bois identifiés, certains étaient des outils domestiques utiles pour opérer sur des carcasses de grosses proies. Surtout, les techniques identifiées pour fabriquer ces objets n’avaient encore jamais été décrites au paléolithique. Des signes de réparation ou de recyclage des bouts de bois cassés ont également été mis en évidence par les chercheurs.
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La compréhension fine de ces outils conduit les chercheurs à changer leur regard sur ces populations préhistoriques. «Les armes de chasse n’étaient pas de simples bâtons munis de pointes, mais des outils technologiquement avancés. La matière première […] n’était pas disponible sur le site mais devait être trouvée ailleurs, ce qui nécessite d’anticiper les besoins et donc de planifier en profondeur», expliquent les chercheurs dans leur article. Comme toujours, un objet permet d’extrapoler sur la population qui s’en servait. Les chercheurs pensent donc que leurs descriptions apportent la preuve que l’on a «sous-estimé les capacités cognitives des sociétés préhistoriques».
«Une fenêtre sur le monde presque inconnu»
Avec des armes, des carcasses et des outils de cuisine, le site archéologique de Schöningen témoigne que les populations de l’époque «étaient ainsi en mesure d’assurer un accès primaire à des sources de nourriture de haute qualité il y a déjà 300 000 ans», écrivent encore les chercheurs dans leur article. Or un accès à une nourriture de qualité et en abondance est l’un des éléments clés pour expliquer «la croissance du cerveau et des capacités sociocognitives de l’homme». Les armes de chasse en bois de Schöningen sont donc un élément important du récit de l’évolution des hominidés.
Une proposition qui séduit leur collègue de l’université de Bordeaux, Francesco d’Errico. «Cet article ouvre une fenêtre sur le monde presque inconnu du paléolithique inférieur», déclare-t-il, lui aussi au New York Times. Malgré le manque de données, les auteurs tentent courageusement de proposer un scénario d’évolution d’une telle technologie qui devra être testé à l’avenir par rapport à de nouvelles découvertes.»