La peau qui gratte. Cette démangeaison intense, les quelque 4 % de Français atteints d’eczéma (dermatite atopique) la connaissent bien. S’installe chez eux un cercle vicieux : plus on gratte et plus on a envie de se gratter. Or plus on gratte et plus la peau est abîmée par l’inflammation. Une étude de l’équipe du professeur de dermatologie et d’immunologie à l’Université de Pittsburgh (Etats-Unis) Daniel Kaplan, publiée dans la revue Science, lève le voile sur les relations entre l’inflammation et la démangeaison. «Il y a encore dix ans, les cliniciens s’intéressaient peu à la démangeaison. Elle était considérée comme un symptôme secondaire, alors que c’est ce qui pèse le plus sur le moral des patients. Cette étude permet de mieux comprendre comment la démangeaison est régulée», avance Nicolas Gaudenzio, directeur de recherche à l’Inserm, qui n’a pas pris part aux travaux. Et donc une étude qui «jette les bases» pour essayer d’«aider les personnes souffrant de démangeaisons chroniques», explique Aaron Ver Heul, allergologue à l’Université de Washington, dans un commentaire, également publié par Science.
Commençons par ce que l’on savait. Sous la peau, on trouve, entre autres, des neurones sensibles à beaucoup de choses différentes (température, douleur, etc.) et des cellules du système immunitaire, les mastocytes, véritables sentinelles en première ligne face aux potentielles agressions. «On savait déjà que les mastocytes et des neurones caractéristiques de la douleur [nocicepteur, ndlr] jouaient un rôle clé dans l’inflammation de la dermatite», explique Nicolas Gaudenzio. Daniel Kaplan et son équipe, eux, se sont intéressés à la relation entre cet axe mastocytes /nocicepteurs et une population de neurones particulière, celle qui va déclencher la sensation de démangeaison.
Des souris aux oreilles rouges
Les expériences ont été faites sur des souris. Les chercheurs ont badigeonné les oreilles des rongeurs d’un produit auquel ils sont allergiques. Ils ont ensuite évalué l’inflammation générée par cet allergène en mesurant l’importance du gonflement des oreilles. Les souris étaient réparties en trois groupes. Certaines avaient des petits colliers les empêchant de se gratter. D’autres avaient été manipulées pour que les neurones responsables de la démangeaison ne soient pas fonctionnels. Et le dernier groupe se voyait juste administrer l’allergène pour servir de contrôle. Les individus de ce groupe témoin avaient une inflammation beaucoup plus marquée que les autres. Ainsi, si l’inflammation résulte bien de l’action des neurones de la douleur et des mastocytes, l’activité de cet axe est amplifié par un autre type de neurones, spécialistes de la démangeaison, qui déclenchent le grattage. En s’intéressant aux molécules émises par chaque acteur de ce trio (mastocytes, nocicepteurs et neurones de la démangeaison), les chercheurs peuvent décrire l’engrenage de l’eczéma : un allergène est repéré par les mastocytes ; ceux-ci démarrent l’inflammation et activent les neurones de la démangeaison ; le grattage qui s’ensuit active les nocicepteurs, qui activent ensuite les mastocytes, ce qui augmente l’inflammation et active la démangeaison, etc.
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Que la douleur et la démangeaison ne soient pas régulées de la même manière n’est pas une grande surprise en soi. L’une est foncièrement désagréable alors que l’autre peut générer une certaine satisfaction quand, enfin, on arrive à gratter ce point qui restait inaccessible au milieu du dos. Cet état de fait soulève un paradoxe qui n’échappe à Daniel Kaplan : «Si se gratter un point de démangeaison est mauvais pour la santé, pourquoi est-ce si agréable ?»
Perspectives de traitement
Dans son étude, l’équipe du professeur américain relève tout de même que la démangeaison pourrait avoir un intérêt. Les souris témoins, celles qui présentaient l’inflammation la plus importante, avaient moins de bactéries sur la peau des oreilles. Et notamment moins de staphylocoques dorés, une bactérie commune mais qui, résistante aux antibiotiques, peut déclencher de graves infections. Le grattage qui permet une meilleure «défense contre le staphylococcus aureus» ? Les résultats peuvent laisser «penser que ce comportement pourrait être bénéfique dans certains contextes», résume ainsi Kaplan. «Mais les dommages causés à la peau par le grattage dépassent probablement cet avantage lorsque les démangeaisons sont chroniques», nuance-t-il. Les conseils du médecin sont donc clairs : il vaut mieux malgré tout éviter de se gratter quand on a des démangeaisons allergiques.
«Selon les prévisions, 50 % des Européens seront allergiques d’ici à vingt ans, cadre Nicolas Gaudenzio. La grande hypothèse pour expliquer cela, c’est que certains mécanismes de défense de base ne sont plus mis contribution par des pathogènes en raison de notre mode de vie plus hygiénique. Mais ces mécanismes sont toujours là et réagissent à de nouveaux stimulus, comme le pollen ou la pollution, créant des inflammations allergiques.» Mieux comprendre les mécanismes fins derrière ces réactions permettra donc de mieux les traiter. Dans le cas de l’étude de Kaplan, si la population de neurones identifiée comme étant responsable de la démangeaison joue le même rôle chez l’humain que chez la souris, il pourra ouvrir la voie à de nouvelles thérapies. Mais cela reste à prouver.