Menu
Libération
Génie animal

Les perroquets apprennent par imitation, comme les humains

Une étude prouve que les aras canindés peuvent apprendre de nouveaux gestes en observant leurs congénères, sans passer par un enseignement direct. C’est la première fois qu’on observe une espèce non humaine y parvenir.

Un ara canindé du groupe de test observant un congénère en train de battre des ailes sur commande d'un humain, dans la pièce voisine. (Photo LoroParque, Adrian Azcárate)
Publié le 04/09/2025 à 17h00

Les perroquets aussi font leur rentrée en ce début septembre, et sur les bancs de leur école à plumes, ils s’avèrent être d’excellents élèves. Selon une nouvelle étude parue ce jeudi 4 septembre dans la revue scientifique Scientific Reports, les aras ont montré qu’ils savent apprendre de nouveaux gestes en les ayant simplement observés chez leurs congénères, sans qu’on leur ait enseigné directement. Cet apprentissage par imitation est une compétence qu’on ne connaissait jusqu’ici que chez les humains.

Une équipe de biologistes européens a organisé l’expérience au Loro parque fundación, un centre de sauvegarde des perroquets à Tenerife, en Espagne. Ils ont constitué leur classe avec quatorze aras canindés, de beaux perroquets au ventre jaune et aux ailes bleues : deux mâles étaient des perroquets-instructeurs déjà entraînés à répéter des gestes enseignés par les humains, et douze autres individus étaient des élèves encore ignorants.

Il était important de s’assurer que les aras-élèves n’ont jamais vu ou pratiqué les gestes qu’on va essayer de leur apprendre, n’aient encore jamais fait d’exercices d’imitation et ne soient pas trop familiers des humains, expliquent les chercheurs dans leur étude. Le but est d’éviter toute acculturation préalable qui rendrait leur apprentissage plus facile et fausserait l’expérience. Il faut que nos perroquets soient des débutants complets, proches des conditions naturelles de leur vie sauvage dans les forêts de Bolivie.

L’ara débutant va-t-il lever le pied ?

Les douze élèves ont été répartis équitablement en deux groupes : le groupe de test et le groupe de contrôle. Un ara du groupe de test était placé dans une pièce avec un humain, à côté d’une autre pièce contenant aussi un perroquet et un humain, séparés par une fenêtre. Il pouvait observer son voisin, qui était un oiseau entraîné, répondre aux commandes de son humain. L’humain lève l’index ? Le perroquet entraîné lève le pied. L’humain fait un cercle avec deux doigts en pistolet ? Le perroquet entraîné tourne sur lui-même. Puis on attend quelques secondes, et l’humain affecté au perroquet débutant donne la même commande. C’est là que la magie opère : l’ara débutant va-t-il lever le pied ou faire un tour sur lui-même, en ayant appris le lien entre le geste de l’humain et le geste attendu de l’oiseau, par observation de la pièce voisine ?

Pour un cobaye du groupe de contrôle, il n’y avait pas de congénère à plumes à imiter. L’ara était seul face à un humain lui donnant un ordre inconnu avec ses doigts. Va-t-il comprendre tout seul ce qu’on attend de lui ? Si oui, au bout de combien de tentatives ? L’expérience de faire un geste devant un perroquet naïf pour voir s’il le reproduit a été tentée dix fois de suite par session de travail, et 462 sessions au total ont été organisées au Loro parque fundación. On a ainsi eu le temps d’observer l’apprentissage des oiseaux sur la durée, et de comparer le rythme de progression entre le groupe de test et le groupe de contrôle.

Les résultats sont clairs et nets : les perroquets qui avaient un modèle à imiter ont réussi à apprendre quatre gestes sur commande, alors que les oiseaux qui ont appris sur le tas (sans modèle mais tout de même à l’aide de récompenses comestibles) n’en ont maîtrisé que deux en moyenne. Faire des vocalises ou battre des ailes a l’air, par exemple, a l’air quasiment impossible à apprendre sans voir un autre perroquet le faire. Et pour les gestes plus faciles comme secouer la tête ou tourner sur eux-mêmes, les perroquets avec modèle ont appris beaucoup plus vite, captant le truc en trois à sept sessions environ pour chaque geste, là où les aras ayant appris par eux-mêmes ont été beaucoup plus lents : il leur a fallu dix, quinze voire dix-sept sessions. Et pour couronner le tout, les chercheurs notent que les aras-élèves ont parfois imité le geste de leur copain oiseau spontanément, avant même qu’un humain ne leur en donne l’instruction, prouvant combien l’imitation d’un congénère est une puissance source de motivation.

Les chiens, trop façonnés par l’être humain ?

C’est la toute première fois qu’on prouve l’existence d’un apprentissage par imitation d’un tiers en dehors de l’espèce humaine, soulignent les chercheurs. Si les aras canindés s’en montrent capables, d’autres espèces de perroquets ou de perruches partagent peut-être cette compétence. Il faudra d’autres études rigoureuses comme celle-ci pour le savoir. L’apprentissage par imitation d’un tiers est un sujet encore peu étudié chez les animaux : seule une étude a vraiment creusé la question jusqu’ici, chez les chiens… Et nos compagnons à quatre pattes s’en sont montrés incapables.

«Il est remarquable de noter que les chiens, qui sont entraînés tout au long de leur vie à répondre aux commandes humaines, et qui ont derrière eux une longue histoire de domestication par l’homme et de dressage, n’arrivent pas à imiter un congénère spontanément, alors que les aras non domestiqués, jamais entraînés à imiter ou agir sur ordre humain, y réussissent», remarquent les auteurs de l’étude dirigée par Auguste von Bayern et Esha Haldar. Une piste d’explication est que les chiens, qui ont évolué depuis des millénaires en tant qu’animaux domestiques, sont devenus «plus sensibles aux actions transitives, c’est-à-dire impliquant des objets et des objectifs clairs. Mais pour imiter des actions intransitives, ils ont besoin d’un entraînement explicite.» Autrement dit, les chiens ont peut-être été trop façonnés par l’être humain pour l’aider dans ses tâches, et ont oublié que leurs pairs peuvent aussi être des modèles potentiels…

Des «conventions culturelles»

A l’inverse, les perroquets «vivent dans des sociétés complexes à dynamique de fission-fusion», dont le périmètre et la composition varient selon le lieu, le moment, les activités… Ces animaux sauvages «s’engagent régulièrement dans des interactions sociales avec de nouveaux membres du groupe, ou intègrent un groupe nouvellement formé». Ils doivent donc régulièrement adapter leurs codes de communication avec leurs congénères, et pourraient ainsi «trouver que des actions arbitraires de congénères sont de bons stimuli à imiter».

Cette capacité d’imitation les aide à s’adapter rapidement aux comportements de groupe, ce qui est particulièrement utile quand le groupe est mouvant. Cette souplesse d’apprentissage ouvre aussi la porte à des «conventions culturelles» chez les perroquets, notent les chercheurs en conclusion. Peut-être qu’en s’imitant d’individu à individu, les aras peuvent lancer des modes ?