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Découverte

«Oxygène noir» : la molécule produite au fond des océans sans l’intervention d’organismes vivants, avancent des scientifiques

Dans l’océan Pacifique, à quatre kilomètres de profondeur et dans l’obscurité la plus totale, des scientifiques ont découvert avec stupeur de l’oxygène provenant non pas d’organismes vivants mais de sortes de galets contenant des métaux, ce qui questionne la théorie sur les origines de la vie sur Terre.
La vaste plaine abyssale qui s'étend entre Hawaï et le Mexique a été explorée par les scientifiques et les sociétés minières. Ils ont démontré que les profondeurs océaniques sans lumière étaient loin d'être stériles. (HANDOUT/AFP)
publié le 22 juillet 2024 à 21h21

Une découverte qui «nous incite à repenser la manière dont est apparue la vie sur Terre», rien de moins. Le professeur Nicholas Owens, directeur de l’Association écossaise pour les sciences marines (SAMS), est enthousiaste. À l’occasion d’une campagne scientifique sur le fonctionnement du fond des océans, il a observé un phénomène tout à fait fascinant décrit dans un article paru dans la revue Nature Geoscience ce lundi 22 juillet. De l’oxygène créé au fond de l’océan par… des galets.

Reprenons. Un navire de la SAMS était mandaté par les sociétés The Metals Compagny et UK Seabed Resources pour effectuer des prélèvements à plus de quatre kilomètres de profondeur, dans la plaine abyssale de la zone de fracture géologique de Clarion-Clipperton, dans le centre du Pacifique. Cette zone revêt un intérêt particulier pour l’industrie minière. L’exploitation des abysses est le sujet d’âpres négociations internationales. On y trouve des nodules polymétalliques, des concrétions minérales riches en métaux (manganèse, nickel, cobalt…) nécessaires notamment à la fabrication des batteries pour véhicules électriques, éoliennes, panneaux photovoltaïques et téléphones portables.

L’objectif des recherches était d’évaluer l’impact d’une telle prospection sur un écosystème où l’absence de lumière empêche la photosynthèse et donc la présence de plantes, mais qui regorge d’espèces animales uniques. «On essayait de mesurer la consommation d’oxygène» du plancher océanique, en mettant les sédiments qu’il contient sous des cloches appelées chambres benthiques, explique Andrew Sweetman, premier auteur de l’étude. En toute logique, l’eau de mer ainsi emprisonnée aurait dû voir sa concentration en oxygène diminuer, à mesure que ce dernier était consommé par les organismes vivants à ces profondeurs. C’est pourtant l’inverse qui a été observé : «le taux d’oxygène augmentait dans l’eau au-dessus des sédiments, dans le noir complet et donc sans photosynthèse», développe le professeur Sweetman, responsable du groupe de recherche sur l’écologie et la biogéochimie des fonds marins de l’association SAMS.

Perspectives sur l’existence de vie extraterrestre

La surprise a été telle que les chercheurs ont d’abord pensé que leurs capteurs sous-marins s’étaient trompés. Ils ont mené des expériences à bord de leur navire pour voir si la même chose se produisait en surface, en faisant incuber, dans le noir, ces mêmes sédiments et les nodules qu’ils contenaient. Et constaté une nouvelle fois que le taux d’oxygène croissait. «A la surface des nodules, nous avons détecté une tension électrique presque aussi élevée que dans une pile AA», décrit Andrew Sweetman, en comparant ces nodules à des «batteries dans la roche». Ces étonnantes propriétés pourraient être à l’origine d’un processus d’électrolyse de l’eau, soit la séparation des composants de la molécule d’eau (H2O), en molécules d’hydrogène et d’oxygène à l’aide d’un courant électrique. Cette réaction chimique intervient à partir de 1,5 volt – la tension d’une pile – que les nodules pourraient atteindre quand ils sont regroupés, selon un communiqué de l’association SAMS joint à l’étude. Ils ont appelé ce gaz produit si profondément que les rayons du soleil ne pénètrent pas jusque-là, «l’oxygène sombre».

Et voilà tout le récit moderne sur l’apparition de la vie qui est remis en cause. La vision «conventionnelle» étant que l’oxygène «a été fabriqué pour la première fois il y a environ 3 milliards d’années par des cyanobactéries qui ont mené au développement d’organismes plus complexes», explique Nicholas Owens. «La vie aurait pu commencer ailleurs que sur la terre ferme et près de la surface de l’océan», s’enthousiasme Andrew Sweetman. Pour lui, cette découverte ouvre également des perspectives sur l’existence de vie extraterrestre. «Puisque ce processus existe sur notre planète, il pourrait générer des habitats oxygénés dans d’autres mondes océaniques comme Encelade ou Europe (des lunes de Saturne et de Jupiter)» et y créer les conditions d’apparition d’une vie extraterrestre. Le rêve est permis. Plus prosaïquement, ce résultat plaide, une fois de plus, pour un strict encadrement des fonds marins, une zone fragile, largement méconnue, mais qui attise la convoitise des industriels.