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Libération
Anatomie tapissée

Deux historiens britanniques se querellent au sujet du nombre de pénis figurant sur la tapisserie de Bayeux

Dans un podcast diffusé ce vendredi 25 avril, deux éminents historiens britanniques se sont livrés à un débat académique au sujet d’un détail insolite figurant dans l’œuvre monumentale retraçant les péripéties de Guillaume le Conquérant.
Si les deux historiens s'accordent sur le nombre de pénis de chevaux apparents sur la tapisserie, c'est la quantité d'appendices humains qui nourrit le débat. (DR)
publié le 25 avril 2025 à 12h57

Un, deux, trois, 93 ou 94 pénis ? Difficile à dire tant l’œuvre est riche en détails. Dans un épisode du podcast anglais HistoryExtra (une branche de la BBC), diffusé ce vendredi 25 avril, deux historiens se livrent pourtant un débat académique autour de la tapisserie de Bayeux, broderie monumentale réalisée entre 1 066 et 1 083. L’objet de la discorde : le nombre d’appendices génitaux masculins brodés sur la toile.

Jusqu’alors, George Garnett, professeur à Oxford, assurait avoir comptabilisé 93 pénis cousus au fil du récit de la conquête de l’Angleterre par Guillaume, duc de Normandie. Selon lui, 88 organes génitaux figurent entre les pattes des nombreux chevaux représentés tandis que cinq pénis humains sont dessinés entre les jambes de divers combattants et soldats.

Pendant six ans, le décompte de Garnett faisait foi parmi les experts. Jusqu’au récent examen réalisé par un confrère anglais, également spécialiste de la tapisserie, le docteur en histoire Christopher Monk, alias «The Medieval Monk». Ce féru d’anglais ancien et du Moyen Age est catégorique : la toile de Bayeux totalise 94 pénis et non 93. Le jonc qui suscite la discorde serait représenté pendouillant entre les jambes d’un soldat, dessiné en train de courir, épée à la main. La représentation suscite l’interrogation. Sous sa tunique se déploie une forme sombre. Pour Garnett, il s’agit du fourreau de la dague du combattant ou bien un carquois. Pour Christopher Monk, cette excroissance est bien de nature phallique.

«Je n’ai aucun doute sur le fait que l’appendice est une représentation des organes génitaux masculins - le pénis raté, pourrions-nous dire. Les détails sont étonnamment complets d’un point de vue anatomique», avance ainsi le docteur Monk.

Cette révélation qui pourrait faire sourire le novice s’inscrit pourtant dans un débat très sérieux entre historiens et aficionados de la tapisserie de Bayeux. «L’intérêt de l’étude de l’Histoire est de comprendre comment les gens pensaient autrefois», rappelle George Garnett. «Et les hommes du Moyen Age n’étaient pas des individus grossiers, simples et stupides. Bien au contraire.» Les deux historiens l’assurent : au-delà des grivoiseries et autres gaudrioles que peut provoquer une telle discussion, faire la lumière sur le nombre de pénis brodés est une manière de «comprendre les esprits médiévaux».

«Le cheval de Guillaume est de loin le plus imposant»

Cette œuvre d’art, qui décrit des faits allant de la fin du règne du roi d’Angleterre Edouard le Confesseur en 1 064 jusqu’à la bataille d’Hastings de 1 066 opposant le souverain parjure Harold Godwinson au duc de Normandie Guillaume le Conquérant, est inscrite depuis 2007 à l’Unesco. Exécutée sur une pièce de lin blanchie, cette œuvre monumentale est constituée de neuf panneaux assemblés en une seule pièce et s’étend sur une longueur de 68 mètres pour une largeur d’environ 50 cm. La prouesse a été réalisée par un atelier normand et on estime que la commande a été passée par Odon, évêque de Bayeux et demi-frère de Guillaume, à des fins de propagande.

Si la quantité de membres dispersés sur l’œuvre fait encore l’objet de causeries académiques, les historiens s’accordent néanmoins autour de l’importance des différences de taille des divers organes génitaux cousus. Ainsi, les deux chefs de la bataille d’Hastings, Harold Godwinson, tué d’une flèche décochée dans l’œil, et le duc victorieux Guillaume de Normandie, sont tous deux représentés à cheval sur des montures affichant de sérieuses proportions. «Le cheval de Guillaume est de loin le plus imposant», pointe George Garnett. «Et ce n’est pas une coïncidence.» Pour David Musgrove, animateur du podcast et fin connaisseur de la tapisserie, cette nouvelle théorie exposée par Monk est «fascinante». Et d’ajouter : «C’est un rappel que cette broderie est un artefact multicouche qui mérite une étude minutieuse et reste une énigme merveilleuse près d’un millénaire après avoir été brodée.» Jusqu’au plus petit détail.