Une bonne partie du centre spatial guyanais (CSG) ressemble aujourd’hui à un musée de l’astronautique. Depuis l’entrée de ce site de 700 km², aux portes de la ville Kourou, il faut avaler les kilomètres sur la «route de l’espace» qui traverse les savanes pour rejoindre la toute nouvelle zone de lancement d’Ariane 6, qui doit décoller ce mardi 9 juillet. Sur le chemin, on voit passer, à droite, à gauche, les anciens pas de tir. On croise d’abord les rampes de lancement d’où étaient tirées de petites fusées-sondes à la fin des années 60. Elles s’appelaient Véronique, Centaure ou Dauphin, et mesuraient dans les 6 mètres de haut. Plus loin, c’est la zone de lancement de Diamant, désaffectée elle aussi, où se dresse encore le haut bâtiment d’assemblage de ce lanceur léger qui a envoyé en orbite le tout premier satellite français (Astérix) en 1965. On continue la route. A droite, l’ensemble de lancement d’Ariane 5 avec ses deux hautes tables de lancement qu’on n’utilisera plus jamais. Et treize kilomètres plus loin encore, le pas de tir des lanceurs Soyouz abandonné par les Russes il y a deux ans.
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Toutes ces zones désertes, vieillissantes, et pourtant si bien situées et équipées au départ, avec leurs voies d’accès, leur périmètre de sécurité, leurs hangars à fusées et leurs bureaux… Quel dommage. Heureusement, plusieurs d’entre elles sont à la veille d’ouvrir un nouveau chapitre de leur vie : elles vont être réhabilitées pour accueillir des lanceurs légers, privés, européens. Kourou se met à la page du New Space, ce nouvel écosystème du spatial qui fleurit depuis le début du XXIe siècle, grouillant de start-up prêtes à propulser des engins dans l’espace à moindre coût.
«Massif et costaud»
La zone de lancement de Soyouz, tout d’abord, est très intéressante à recycler puisqu’elle était en usage récemment et qu’elle est donc au goût du jour. De 2011 (date de son inauguration) à 2022, elle accueillait des fusées fabriquées en Russie, amenées en Guyane par bateau et dont le lancement était commercialisé par Arianespace. Les infrastructures du pas de tir elles-mêmes ont été bâties par le Centre national d’études spatiales (Cnes). C’est donc un retour aux sources : en novembre, les pays membres de l’Agence spatiale européenne (ESA) réunis à Séville ont acté la récupération du pas de tir Soyouz et sa rétrocession à la France pour y accueillir deux lanceurs légers. Lesquels ? A définir, via un nouvel appel à candidatures lancé par le Cnes.
Un premier appel d’offres de ce genre a déjà été organisé en janvier 2022 pour trouver les nouveaux locataires du pas de tir historique des fusées Diamant. En attendant que les installations soient rénovées, sept entreprises ont été présélectionnées : Avio (constructeur des lanceurs Vega) en Italie, PLD Space en Espagne, HyImpulse Technologies, Isar Aerospace et Rocket Factory en Allemagne, et deux start-up françaises. Latitude est basée à Reims, et MaiaSpace est une filiale d’ArianeGroup. «Evidemment tous les projets n’iront pas à terme, […] mais je suis persuadé qu’il existe un segment de marché pour de petits lanceurs, réactifs, prêts à envoyer un satellite en orbite en quelques jours», avait commenté le président du Cnes Philippe Baptiste dans les Echos. Les sociétés retenues s’affairent désormais à lever des fonds. Certaines ont déjà revu leurs ambitions à la hausse, nous raconte depuis Kourou Thierry Vallée, directeur adjoint du Centre spatial guyanais (CSG) en charge de la protection, de la sauvegarde et de l’environnement : «Isar Aerospace a déjà annoncé que la version 2 de son lanceur va être beaucoup plus vitaminée, et côté France, on peut tout à fait imaginer que MaiaSpace envisage aussi l’avenir avec une version plus puissante de leur lanceur.» Tous deux seront sans doute «intéressés pour avoir un pas de tir beaucoup plus massif et costaud» à Kourou.
«Porte vers l’orbite équatoriale»
Isar Aerospace est en réalité très avancé dans son projet. Dans les prochains mois, la boîte allemande devrait être en mesure de lancer son premier Spectrum, une fusée à deux étages capable de mettre une tonne de charge utile en orbite, depuis la base spatiale d’Andøya au nord de la Norvège. Plusieurs nouveaux projets de centre spatiaux sont aussi à l’étude en Europe : l’Allemagne planche sur une plateforme en mer du Nord, le Royaume-Uni se voit lancer des engins en Ecosse et dans les Cornouailles, l’Espagne veut s’installer sur l’île de Santa Maria aux Açores… Mais en parallèle, mettre un pied à Kourou restera irremplaçable pour une partie des satellites à lancer, en raison de son emplacement quasiment sur l’Equateur. «La porte vers l’orbite équatoriale en Europe, elle est en Guyane et il n’y en a pas d’autre, résume Thierry Vallée. Il est impossible d’atteindre une orbite équatoriale ou faiblement inclinée depuis la Norvège ou l’Ecosse.»
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Sur la zone de lancement Diamant, l’une des priorités a été de refaire la route d’accès endommagée, et de reconnecter le pas de tir aux réseaux d’eau et d’électricité. Il y a eu des travaux de terrassement pour résister aux futurs décollages, des démolitions de bâtiments, la préparation des espaces de stockage de carburant… Les installations seront partagées entre les lanceurs privés et les essais des futures fusées réutilisables de l’Europe. Les démonstrateurs Callisto et Themis, en développement depuis respectivement huit et cinq ans, devraient ainsi être prêts à s’élancer vers 2026. Alors qu’Ariane 6 entame sa carrière, c’est une nouvelle époque qui se prépare.