La relève de la station spatiale internationale s’est fait un peu désirer, accusant quelques jours de retard pour cause d’ouragan en Floride, mais elle a fini par arriver dans la nuit de jeudi à vendredi. Et pas n’importe quelle relève ! L’équipage du vaisseau Crew Dragon, qui a décollé de Cap Canaveral en Floride, était particulièrement cosmopolite avec deux astronautes de la Nasa, le Japonais Koichi Wakata et… une Russe, Anna Kikina. Tout un symbole dans un contexte de guerre en Ukraine plus tendu que jamais.
Cette invitation a été décidée en juillet, dans le cadre d’une sorte de programme d’échange entre la Nasa et Roscosmos, l’agence spatiale russe. Le 21 septembre, l’Américain Francisco Rubio était invité dans le petit cockpit du vaisseau Soyouz, aux côtés de deux confrères russes, pour rejoindre l’ISS. Comme un souvenir de l’époque 2011-2020, quand les Américains n’avaient plus de vaisseau national pour voyager dans l’espace, après l’arrêt de la navette spatiale américaine. Durant une décennie, les astronautes occidentaux ont voyagé dans des fusées russes, en payant leurs billets de plus en plus cher (de 20 millions de dollars en 2010, la place en Soyouz a grimpé jusqu’à 81 millions de dollars). Depuis, la Nasa a regagné son accès indépendant à l’orbite terrestre grâce au nouveau vaisseau Crew Dragon de SpaceX. Elle peut désormais retourner la faveur aux Russes en accueillant une des leurs dans cette navette nouvelle génération. Et voir une cosmonaute décoller à Cap Canaveral, c’est bien la première fois depuis vingt ans.
Travailler en bonne intelligence
Le programme d’échange d’astronautes visait à garantir la présence continue d’au moins un Américain et un Russe à bord de la station, même si une capsule spatiale devait rentrer en urgence sur Terre, ont expliqué les deux agences. Le travail collaboratif de navigation et de maintenance de l’ISS sera ainsi assuré. Ce qui est bien la moindre des choses… Mais l’ex-patron de Roscomos, Dmitri Rogozine avait réussi à faire planer le doute ces derniers mois, à force de rappeler que ce sont les Russes qui sont chargés de maintenir l’altitude de la station spatiale, et de menacer sur les réseaux sociaux de faire chuter l’ISS si les sanctions économiques contre la Russie n’étaient pas levées. Heureusement pour tout le monde, le belliqueux Rogozine a été démis de ses fonctions. Et, le même jour, un responsable du programme ISS à la Nasa a officialisé le pacte d’échange d’astronautes. Le message est désormais clair : Américains et Russes continueront à travailler ensemble dans l’espace, en bonne intelligence.
Futur proche
Rogozine a été remplacé par Iouri Borissov, qui était jusque-là vice-Premier ministre du gouvernement russe chargé de l’industrie de la Défense et de l’Espace. Un homme d’un tout autre tempérament. «L’ancien directeur de Roscosmos, Dmitri Rogozine, était assez véhément», confiait fin septembre le patron de la Nasa, Bill Nelson, de passage à Paris à l’occasion du Congrès astronautique international. Alors que «le nouveau directeur, Iouri Borissov…» Il marque une pause et esquisse de la main une mer d’huile : «Il ne fait pas de vagues.» Bill Nelson se dit désormais convaincu de pouvoir travailler avec les Russes dans l’ISS jusqu’à la fin des années 2020, comme c’était initialement prévu. La station spatiale doit être désorbitée en 2031. Iouri Borissov a pourtant annoncé cet été que «la décision était prise» pour les Russes de quitter l’ISS «après 2024», déclaration qui a fait quelques remous mais qui ne veut pas dire grand-chose. Les Russes font semblant d’hésiter, et quasiment chaque semaine sort une nouvelle déclaration sans conséquence.
Apaiser les tensions
De son côté, le directeur exécutif de Roscosmos, Sergueï Krikalev, semble sur la même longueur d’onde pacifique que Bill Nelson. Mardi, il a dit en conférence de presse compter sur l’autorisation du gouvernement russe pour prolonger la collaboration avec les Américains après 2024. «J’espère qu’on pourra coopérer comme en 1975 quand ça a commencé», a affirmé le responsable, en jurant qu’il fait de son mieux pour apaiser toutes les tensions entre les deux agences.
La présence d’une Russe parmi les Américains n’est pas le seul symbole fort de ce vol de relève vers l’ISS. L’une des deux astronautes de la Nasa, Nicole Mann, est membre des tribus indiennes de Round Valley en Californie. «Je suis très fière de représenter les natifs américains et mon héritage», a déclaré l’aviatrice de 45 ans. «Il est important de célébrer notre diversité, et aussi de réaliser combien il est important de collaborer et de s’unir, les réussites incroyables qu’on peut obtenir ensemble.» Le message est limpide.