Ce n’est pas le genre d’histoire que Thomas Pesquet raconte aux écoliers en revenant d’une mission spatiale, mais c’est la dure réalité du métier d’astronaute : quand ils font une sortie dans l’espace, ils baignent dans leur urine. Les combinaisons spatiales qui accompagnent les astronautes dans le vide spatial sont pourtant des concentrés de haute technologie, permettant notamment de garantir la circulation de l’oxygène et l’évacuation du CO2, de maintenir une pression correcte et un climat modéré pendant que les températures extérieures oscillent entre 120°C au soleil et -180° à l’ombre. Mais au niveau de l’entrejambe, le système est basique… Les astronautes enfilent une grande couche. Un «vêtement à absorption maximale» («Maximum Absorbency Garment» ou MAG), comme on l’appelle officiellement à la Nasa, censé faire le job pendant les quatre à huit heures que dure la sortie. Et tous les astronautes l’ayant essayé ont l’air d’accord sur un point : c’est affreux.
«Il est fréquent que le MAG ait des fuites. Les astronautes racontent qu’au bout d’un moment, ils sont mouillés mais ne savent plus dire si c’est de la sueur ou de l’urine», rapporte Sofia Etlin, chercheuse en médecine spatiale au Weill Cornell Medicine de New York, aux Etats-Unis. La scientifique, interviewée par le Guardian, travaille sur un nouveau système de sous-vêtement spatial qui éviterait ces désagréments. Car le MAG a fait son temps, et les astronautes ne peuvent plus le voir en peinture. Certains ont expliqué à Sofia Etlin qu’ils se retiennent de trop manger et boire avant une sortie extra-véhiculaire pour éviter de remplir leur MAG, tandis que d’autres se sont retrouvés avec des infections urinaires.
Cinq minutes pour purifier un demi-litre d’urine
Une équipe de l’institut de recherche Weill Cornell Medicine essaye donc de tout repenser. Au lieu d’absorber les urines dans du textile, leur prototype de sous-vêtement spatial les récupère dans une sorte de coupe en silicone, dont la forme épouse les parties génitales. Il en existe donc plusieurs versions selon le sexe des astronautes et la taille la plus adaptée. Une pompe s’active automatiquement quand de l’urine est détectée et se charge d’aspirer toute humidité.
Et c’est là que les choses deviennent intéressantes : l’urine est envoyée vers un système de filtrage et de recyclage qui la transforme… en eau potable. L’eau contenue dans l’urine est extraite par un procédé d’osmose, puis une pompe retire le sel. Il faut seulement cinq minutes au système pour purifier un demi-litre d’urine, vantent les chercheurs. Et il sera possible à l’avenir d’améliorer encore le procédé en ajoutant des électrolytes à l’eau potable, pour en faire une boisson énergisante.
Procédé miniaturisé
Le recyclage de l’urine en eau est un système éprouvé et utilisé à bord de l’ISS depuis des décennies. Mais il était réservé jusqu’ici à des installations fixes et volumineuses. La nouveauté est de miniaturiser le procédé pour l’embarquer dans une combinaison spatiale mobile, et mieux hydrater les astronautes en sortie… Ce qui ne serait pas du luxe. «Actuellement, les astronautes n’emportent qu’un litre d’eau avec eux dans leur combinaison», rappelle Sofia Etlin. C’est déjà juste pour une sortie typique de six heures en dehors de l’ISS, et ça deviendra vraiment insuffisant pour des sorties encore plus longues à la surface de la Lune, comme prévoit d’en faire la Nasa dans les années à venir. Il faudra tenir jusqu’à dix heures, voire plus en cas de pépin.
Le prototype du Weill Cornell Medicine veut être prêt pour les missions Artemis qui aluniront avant la fin de cette décennie. Dans sa version actuelle, tout le système de recyclage tient en un paquet de 23 cm de long et de large, et 38 cm de haut, qui peut être porté sur le dos. Il pèse 8 kilos, ce qui n’est pas vraiment un problème dans le contexte d’une sortie en apesanteur ou en en gravité lunaire (six fois moindre que sur Terre). L’équipe de Sofia Etlin vient de publier un article scientifique dans la revue Frontiers in Space Technology pour décrire son invention en détail, et s’apprête désormais à recruter 100 volontaires à New York pour tester le système. Il y a des façons plus glamours de se déguiser en astronautes, mais si c’est pour faire avancer la science…