C’est le grand jour. En développement depuis 2014 pour prendre le relais de sa grande sœur Ariane 5, qui a pris sa retraite l’an dernier après près de trente ans de carrière, Ariane 6 a effectué son vol inaugural ce mardi 9 juillet. Elle est plus polyvalente avec son moteur réallumable, et surtout beaucoup moins chère pour ne pas se laisser distancer dans un marché devenu hyper compétitif. Ariane 6 a la lourde responsabilité de redonner à l’Europe son indépendance d’accès à l’espace, en l’absence d’autre lanceur européen en état de fonctionnement.
Le décollage a eu lieu à 21 heures à Paris (16 heures locales). Une diffusion vidéo de l’ESA a commenté le vol au fil de la soirée.
Le bilan du vol est tiré au cours d’une conférence de presse, organisée depuis la salle Jupiter à Kourou : c’était finalement un quasi sans faute. Après le déploiement des mini-satellites commençait la phase de «démonstration», avec des manœuvres qui n’avaient pas pu être testées au sol... faute d’environnement en micro-gravité. Il fallait rallumer le générateur de puissance auxiliaire sur l’étage supérieur, c’est-à-dire les propulseurs qui permettent de corriger son attitude. «Il s’agissait de comprendre comment l’étage supérieur se comportait en micro-gravité», a expliqué Martin Sion d’ArianeGroup.
Mais cette nouveauté d’Ariane 6 ne s’est malheureusement pas allumée comme prévu. En conséquence, les capsules de rentrée atmosphérique n’ont pas été larguées non plus avant la désorbitation de l’étage supérieur. Ce n’est rien de très grave : la mission est considérée comme une succès tout de même. Mais il faudra analyser les données enregistrées en vol pour comprendre ce qui s’est passé et le corriger. «À un moment, nous avons rallumé l’APU, il s’est rallumé, puis s’est arrêté. Et nous ne savons pas pourquoi. Nous allons l’étudier quand nous aurons toutes les données», détaille Martin Sion. Le prochain vol d’Ariane 6, un vol commercial qui doit avoir lieu avant la fin 2024, reste prévu en temps et en heure, on indiqué les responsables du vol à Kourou. Pour Martin Sion, «nous avons un événement, mais tout le reste de la mission a suivi le plan à la lettre. Donc c’est dommage, mais c’est aussi la raison pour laquelle nous faisons des démonstrations en vol parce que c’est quelque chose que nous ne pouvons pas réaliser au sol».
Après une phase longue de vol, les mini-satellites ont été déployés dans l’espace. Le moteur Vinci de l’étage supérieur d’Ariane 6 s’est bien allumé une seconde fois comme prévu au bout de 56 minutes, ce qui était l’un des objectifs cruciaux de ce vol de qualification. Tous les cubesats ont été largués avec succès.
Les spécialistes réunis dans la salle Jupiter commencent à considérer que ce décollage est une réussite complète, et se lèvent de leur poste de travail pour s’adonner à une séance d’embrassades ravies. Le président du Cnes Philippe Baptiste, le patron d’Arianespace Stéphane Israël, celui d’Arianegroup Martin Sion, et le directeur général de l’ESA Josef Aschbacher applaudissent vigoureusement, avant de féliciter leurs équipes pour ce sans-faute. «C’est un jour historique pour l’Europe», se réjouit Josef Aschbacher.
Le signal d’Ariane 6 est capté depuis la station de suivi d’Aussaguel, à 20 kilomètres au sud de Toulouse. L’étage supérieur du lanceur continue de survoler l’Atlantique à sa vitesse de croisière de 7,58 kilomètres par seconde (soit plus de 27 000 kilomètres heure, vitesse nécessaire pour se mettre en orbite autour de la Terre sans retomber).
Ariane 6 passe désormais au-dessus de la station de télémesure de l’île de Santa Maria, aux Açores. Le signal est renvoyé à la station Galliot, qui centralise le suivi de la fusée autour du monde. La trajectoire est encore et toujours nominale, continue d’affirmer le DDO au micro. Le lanceur doit effectuer deux tours de Terre avant de terminer sa mission et de replonger dans l’atmosphère pour s’y désintégrer.
Ariane 6 part en direction du nord-est pour ce premier vol, pour survoler l’Atlantique. La station de suivi Galliot, sur la montagne des Pères près de Kourou, a du mal à suivre ce type de trajectoire en particulier avec ses grandes antennes en parabole, car elle voit la fusée de dos. «Si la fusée part vers le nord, ici la fréquence radio est brouillée par les flammes qui sortent des moteurs. On compte donc sur une autre antenne à l’ouest de la Guyane, à Saint-Jean-du-Maroni, pour voir le lanceur par le flanc», nous expliquait récemment Romain Delordre, expert télémétrie au Cnes, à Kourou.
Les deux étages de la fusée se sont séparés. L’étage principal redescend sur Terre pour brûler dans l’atmosphère, et l’étage supérieur continue à prendre de l’altitude. Il navigue désormais à 350 kilomètres au-dessus de la mer. Tout se déroule à la perfection.
La coiffe s’ouvre et se sépare de la fusée. Désormais en sécurité dans le vide spatial, les satellites perchés au sommer de la fusée n’ont plus besoin de bouclier contre les frottements de l’air... Et le lanceur se passerait bien de ces 3 tonnes devenues inutiles. Les deux parties de cette coque métallique s’écartent, comme un œuf en chocolat, et retombent vers la Terre.
Décollage ! Ariane 6 s’élève dans les airs. «Trajectoire nominale, pilotage calme», commente régulièrement Raymond Boyce, le directeur des opérations. Les propulseurs latéraux se sont séparés de la fusée 2 minutes 16 secondes après le décollage exactement comme prévu, comme on le voit sur les magnifiques images transmises par la caméra embarquée d’Ariane 6. Dans la salle Jupiter, des applaudissements enthousiastes accueillent le franchissement de cette étape-clé.
«A tous de DDO, attention pour la séquence finale lanceur», annonce le directeur des opérations Raymond Boyce depuis la salle de contrôle Jupiter. Il reste 5 minutes avant la mise à feu. Raymond Boyce a expliqué à Libération qu’il y a une petite nouveauté à la fin du compte à rebours : «Pour Ariane 5, le moteur Vulcain s’allumait à H0 dans notre compte à rebours, et les boosters s’allumaient 7 secondes plus tard. Donc le décollage se faisait 7 secondes après H0. Tandis que pour Ariane 6, le Vulcain s’allume 7 secondes avant et les boosters pour le décollage s’allument à H0. On compte autrement, il y a un décalage de sept secondes. Ca change un peu le dialogue au micro.»
L’avantage d’Ariane 6 sur sa grande sœur Ariane 5 est sa grande polyvalence, explique Luce Fabreguettes, responsable Infrastructure à l’ESA, en direct depuis Kourou pour commenter la vidéo live du lancement. Le moteur de l’étage secondaire, celui qui termine de piloter le vol et se place sur la bonne orbite pour larguer ses satellites, «est allumable jusqu’à quatre fois d’affilée, mais aujourd’hui on ne l’allumera que trois fois. Cela lui permet d’emporter des passagers très différents», qui doivent se placer sur des orbites différentes. «C’est un peu comme un bus scolaire qui ramène les enfants à la sortie de l’école et s’arrête à différents endroits pour les déposer.» En plus, la partie basse d’Ariane 6 est «aussi modulaire, et peut être configuée avec 4 ou 2 boosters» selon les besoins de puissance. Ce soir, la fusée aura deux boosters.
Le suivi vidéo en direct a commencé sur le site de l’ESA. Une version commentée en français est diffusée sur Youtube.
Dans la salle de contrôle Jupiter du centre spatial guyanais, des écrans géants retransmettent les images en direct du pas de tir situé à quelques kilomètres : vue générale, vue en plongée sur la table de lancement... A gauche de l’écran, tous les voyants sont au vert. Ils indiquent que les différents experts sollicités pour le décollage donnent (pour l’instant) leur feu vert. L’un de ces voyants est par exemple consacré à la météo. Un autre est pour l’équipe de sauvegarde, isolée dans un bunker pour éviter toute pression, qui surveillera la trajectoire de la fusée et sera amenée, en cas de problème, à prendre la décision de détruire le lanceur en vol. Un autre voyant est pour l’équipe qui suivra le vol de la fusée grâce à de grandes paraboles captant son signal depuis des stations de télémesure aux quatre coins du monde.
Le plein est fait. «Le remplissage en ergols des réservoirs de l’étage supérieur et de l’étage principal d’Ariane6 est terminé. Tous les paramètres sont au vert et les opérations se déroulent de manière nominale», annonce l’Agence spatiale européenne. Dans le jargon, on ne dit jamais que les choses se passent «bien» ou sont «normales». Elles sont «nominales» : cela signifie qu’elles se déroulent conformément à ce qui est attendu.
La chronologie du décollage est établie à la seconde près. Au moment où le directeur des opérations, qui orchestre le lancement depuis la salle de contrôle Jupiter à Kourou, égrènera le «décompte final» des dernières secondes et arrivera à «7», le moteur de l’étage principal de la fusée nommé Vulcain, tout en bas, allumera les gaz. Il lui faudra quelques secondes pour stabiliser sa poussée. Pendant ce temps, les bras cryogéniques de la table de lancement se détacheront de la fusée. Avec leurs 13 mètres de long et leurs 20 tonnes chacun, ils ont 3 secondes pour s’écarter d’Ariane grâce à un système de contrepoids.
Et le compte à rebours continuera. 4… 3… 2… 1… C’est à ce moment que s’allumeront aussi les boosters latéraux, qui fournissent l’essentiel de la poussée initiale pour s’arracher à l’attraction de la Terre. «Décollage». La fusée se soulèvera. Lentement d’abord, puis de plus en plus vite à mesure que les réservoirs se videront et que le lanceur s’allégera.
Après 2 minutes 16 de vol, les boosters auront brûlé tout leur carburant en poudre et se détacheront pour retomber dans l’océan (étape 2 sur le schéma ci-dessous). A 3 minutes 39 du décollage, la fusée sera dans l’espace, sans atmosphère ou presque, et il n’y aura plus besoin de coiffe pour protéger les satellites des frottements de l’air. Elle s’ouvrira (étape 3) et retombera elle aussi. A 7 minutes 35 secondes de vol, le premier étage de la fusée aura fini son job de propulsion : il retombera sur Terre. L’étage supérieur continuera sa course seul (étape 4) et c’est son propre moteur nommé Vinci qui s’allumera à 7 minutes 50 (étape 5) pour dix minutes.
Le reste du vol est plus long. Après environ une heure de vol, le moteur Vinci se rallumera pour affiner la trajectoire et l’étage supérieur larguera ses satellites, en trois lots (7, 8, 9). Après 2 heures 40 de vol, il lâchera enfin dans l’espace les capsules qui font une expérience de rentrée atmosphérique, Nyx Bikini et SpaceCase SC-X01. Puis il commencera ses manœuvres de «passivation», c’est-à-dire qu’il se videra de toute énergie restante pour éviter d’exploser au moment de sa redescente. L’étage supérieur va se consumer dans l’atmosphère en redescendant.
Une quinzaine de petits passagers vont rejoindre les cieux grâce à Ariane 6. Pour se concentrer sur l’enregistrement d’un maximum de données techniques au cours de ce vol inaugural, et limiter les risques de perte en cas d’échec du lancement, la première Ariane 6 n’embarquera pas de grand satellite précieux. Elle sera surtout équipée de centaines de capteurs, et emportera sous sa coiffe une quinzaine de nanosatellites et d’expériences scientifiques sur la rentrée atmosphérique.
L’une d’entre elles, nommée Nyx Bikini, ressemble par exemple à capsule arrondie de 60 cm de diamètre, couleur café : elle sera larguée dans l’espace à la fin du vol d’Ariane 6, et elle est conçue pour revenir sur Terre en résistant aux intenses frottements de l’air au moment de la pénétration dans l’atmosphère terrestre. Conçue par la start-up franco-allemande The Exploration Company (futur constructeur d’un vaisseau cargo européen pour ravitailler l’ISS), la capsule devra supporter des températures avoisinant les 2100°C. Un premier pas vers une future capsule européenne capable de transporter du matériel, voire des astronautes, et les ramener à bon port ?
Report d’une heure. Au cours des opérations de la matinée (car c’est encore le matin en Guyane), «les contrôles de routine des équipements du segment sol ont révélé un problème mineur sur un système d’acquisition de mesures», annonce l’Agence spatiale européenne. Le problème «est désormais résolu» mais la chronologie a pris du retard. Le décollage est désormais prévu à 21 heures au lieu de 20 heures (16h au lieu de 15h locales).
La diffusion de l’événement en vidéo, sur le site de l’ESA, commencera une demi-heure avant le décollage, à 20h30. Une version commentée en français sera diffusée sur Youtube.
Le remplissage des réservoirs va durer environ 3 heures et demie. Il faut d’abord refroidir les tuyaux, les valves et tous les composants qui seront en contact avec le carburant. D’une température tropicale de 30°C (celle de l’air ambiant à Kourou), il faut arriver à la température de ces ergols cryogéniques : de l‘hydrogène liquide à -250°C et de l’oxygène liquide à -180°C. Il faut également éliminer toute trace d’humidité dans les circuits, car la moindre goutte d’eau restante risquerait de bloquer une valve en gelant. Les circuits sont consciencieusement vidés en soufflant de l’hélium.
Nouveau feu vert de la météo pour le remplissage des réservoirs. Il vient de pleuvoir à Kourou, mais aucun orage, notamment, ne risque de rendre dangereuses les opérations sur le pas de tir. Des prévisionnistes de Météo France analysent les risques tout au long de la journée depuis la station météo du centre spatial. Il faut éviter à tout prix un foudroiement de la fusée (et de ses systèmes électroniques) sur son pas de tir, mais aussi un vent trop fort qui ferait vibrer les fragiles satellites de la fusée. Connaître le sens et la force du vent sur toute la hauteur de l’atmosphère permet aussi de prévoir où se dissiperont les fumées du décollage, et où retomberaient les déchets métalliques en cas d’explosion en vol de la fusée.
Le climat guyanais est protégé des cyclones, nous explique la prévisionniste Laura Chateigner à Kourou, mais «par moments on a des cellules orageuses qui se développent en l’espace d’une demi-heure à peine. Elles peuvent très vite prendre beaucoup d’épaisseur et d’ampleur et présenter un risque.»
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Le portique mobile s’est retiré, 140 mètres derrière Ariane 6. La fusée est désormais à l’air libre, posée sur sa table de lancement et rattachée au mât ombilical haut de 66 mètres. Ce mât, avec ses bras qui enserrent la fusée et ses multiples tuyaux, sert notamment à faire arriver le carburant qui remplira les réservoirs de la fusée et de l’hélium pour les pressuriser. Les bras sont dits «cryogéniques», car le carburant qu’ils font transiter vers l’étage supérieur d’Ariane est à très basse température : de l’hydrogène à -250°C et de l’oxygène à -180°C.
La météo est favorable ce mardi matin pour le bon déroulement des opérations. L’autorisation a donc été donnée de découvrir Ariane 6, qui se cache actuellement sous son portique, protégée des intempéries. Cette structure haute de 89 mètres et large de 49 mètres est remplie d’échafaudages, permettant d’accéder à la fusée sur toute sa hauteur. Le corps central d’Ariane 6 a été amené sous ce portique fin avril, et placé à la verticale. On lui a ensuite adjoint les deux boosters, puis la coiffe tout en haut, qui renferme les satellites à mettre en orbite.
Retrait du portique d’#Ariane6 pic.twitter.com/HCFkbs6gWp
— Jean-Baptiste Huet (@jbhuet) July 9, 2024
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Le portique mobile qui enveloppe Ariane 6 pèse 8 200 tonnes. Il va devoir se reculer de 140 mètres pour laisser le lanceur seul sur son pas de tir, jusqu’au décollage. Pour effectuer cette impressionnante translation, le portique va rouler sur 16 bogies (des chariots) équipés chacun de huit roues motrices. Il lui faudra 17 minutes pour effectuer le trajet.