Pendant que les Occidentaux flotteront en orbite, Russes et Chinois construiront la première base habitée sur la surface de la Lune. Ou peut-être qu’ils commenceront eux aussi par construire une station spatiale tournant autour de notre satellite naturel. Rien n’est encore décidé pour l’instant. Mais en orbite ou au sol, une chose est sûre : les grandes puissances spatiales qui veulent pérenniser une présence humaine sur la Lune feront bande à part. Dans quelques années, il y aura deux stations lunaires «internationales». Une occidentale et une orientale. La Chine et la Russie viennent de signer ce mardi un mémorandum pour acter leur future coopération.
Nouveau puzzle de l’espace
Les discussions ont commencé il y a des années et la stratégie russe n’a pas manqué de rebondissements. Initialement, l’agence spatiale Roscomos semblait bien disposée à continuer de travailler avec les Etats-Unis, comme elle le fait depuis plus de vingt ans sur la station spatiale internationale (ISS). Les Etats-Unis avaient dévoilé en avril 2017 leur projet de construire une grande station orbitale autour de la Lune, le «Deep Space Gateway». Les Canadiens ont immédiatement voulu en être, de même que les Européens et les Japonais, proposant de contribuer à ce nouveau puzzle de l’espace en fournissant qui un bras robotique articulé, qui un module d’habitation ou de communication… Roscomos a suivi le mouvement en septembre 2017, en signant un accord de principe avec la Nasa. Mais les relations se sont tendues par la suite.
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«Pour les États-Unis, le projet est devenu plus politique», déplorait Dmitri Rogozine, directeur général de l’agence spatiale russe, dans une interview en juillet 2020. «Nos partenaires américains s’éloignent des principes de coopération et d’entraide qui régissent notre coopération sur l’ISS.» Considérant que le «Portail Lunaire» de la Nasa commençait furieusement à ressembler à un programme de l’Otan, Rogozine a lâché sa sentence : «Pour être honnête, ça ne nous intéresse pas.»
«Dans l’intérêt de l’humanité»
Ses propos sur les exploits spatiaux de la Chine étaient nettement plus élogieux : «Les Chinois ont beaucoup progressé ces dernières années. Nous respectons leurs résultats.» Mais aussi : «Aujourd’hui, les relations entre la Russie et la Chine sont très bonnes.» Ou encore : le pays «partage franchement ses informations avec nous. Nous connaissons leurs plans, et ils connaissent les nôtres. La Chine est donc assurément notre partenaire.» N’en jetez plus ! On a compris le message. Roscomos a confirmé son retrait du programme Artemis «trop américano-centré» le 25 janvier 2021, et officialisé son histoire d’amour avec la Chine mi-février en annonçant la préparation d’un mémorandum pour bâtir ensemble une «Station Lunaire de Recherche Internationale».
Trois semaines plus tard, le voilà signé. A distance comme il se doit en ces temps de pandémie, reliés par l’image d’un grand écran, le patron de l’agence spatiale chinoise (CNSA) Zhang Kejian et son homologue russe Dmitri Rogozine ont chacun approuvé leur programme lunaire commun.
«La Station lunaire de recherche internationale est un complexe d’installations scientifiques expérimentales installé sur la surface de la Lune et /ou en orbite», explique le communiqué publié simultanément ce mardi par Roscosmos et par la CNSA. La station sera conçue pour accueillir des équipes d’astronautes sur le long terme, servir de base à l’exploration de la Lune, tester des technologies, éventuellement servir de relais pour l’exploration de Mars… Bref, toutes sortes de projets «à des fins pacifiques» et «dans l’intérêt de l’humanité» – le programme russo-chinois se voulant par ailleurs «ouvert à toutes les nations intéressées ainsi qu’aux partenaires de la communauté internationale». Aucun calendrier ni budget ne sont pour l’instant dévoilés.
«Les Etats-Unis refusent de travailler avec nous»
On peut en revanche imaginer que le site choisi pour la base sera le pôle sud de la Lune, où la présence d’une grande quantité d’eau a été confirmée. La Chine ne cache pas son intérêt pour cette région : ses missions lunaires Chang’e 6, Chang’e 7 et Chang’e 8 l’exploreront à partir de 2023 avec des atterrisseurs et des rovers pour évaluer le potentiel des ressources naturelles. La CNSA présente publiquement ses projets de station lunaire et se dit ouverte à toute coopération internationale depuis des mois, et l’ESA s’est même déclarée intéressée. «Nous avons toujours été ouverts à la coopération internationale dans le domaine spatial», soutenait en 2019 Wu Ji, directeur du Centre chinois pour la science spatiale, dans le magazine Ciel & Espace. «Mais les Etats-Unis refusent de travailler avec nous. Notre collaboration avec la Nasa s’est arrêtée en 2011 quand une loi américaine a interdit d’utiliser des fonds fédéraux pour mettre au point des projets communs avec la Chine. Pour l’heure, nos efforts diplomatiques pour inverser la tendance sont restés vains.»