«Vous prenez tout ce que vous imaginiez, vous le multipliez à peu près par 100 et vous êtes encore assez loin de la réalité. Je ne suis pas encore tout à fait redescendu sur Terre.» Quelques minutes après s’être rendu dans l’espace à bord d’une fusée de l’entreprise américaine Blue Origin, ce dimanche 19 mai, l’entrepreneur français Sylvain Chiron a raconté son «expérience dingue» offrant une vue sur la Terre «à couper le souffle».
A bord de la petite fusée New Shepard, il a décollé depuis l’ouest du Texas avec cinq autres passagers, dans ce qui constituait la première mission avec équipage depuis près de deux ans pour la société fondée par le multimilliardaire Jeff Bezos. La fusée a décollé à la verticale et la capsule à son sommet s’est détachée en vol, jusqu’à atteindre l’espace. Puis elle est retombée, freinée par des parachutes, atterrissant dans le désert texan un peu moins de dix minutes après le lancement.
«Une vue à couper le souffle»
Selon le récit du Savoyard de 52 ans, le décollage a été «la partie la plus intense» : «Vous voyez la Terre qui s’éloigne petit à petit à une vitesse complètement folle.» Une fois en haut, c’est «un silence absolu, vous flottez et surtout vous avez une vue à couper le souffle», a-t-il décrit. «C’est magique, vous avez vraiment l’impression d’être en dehors du monde. Vous avez la Terre bleue en bas, votre famille tout en bas, en haut un noir sidéral d’une profondeur incroyable.» Lors de la descente, l’un des trois parachutes ne s’est pas entièrement déployé. Mais Blue Origin a déclaré que la capsule pouvait atterrir en toute sécurité avec un seul d’entre eux, et selon le Français, les passagers ne s’en sont «pas rendu compte».
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Blue Origin a désormais emmené 37 personnes au-dessus de la ligne de Karman, qui marque à 100 kilomètres d’altitude la frontière de l’espace selon une convention internationale. Seuls dix astronautes français se sont rendus dans l’espace, dont le dernier en date est Thomas Pesquet. En 2023, la Franco-Italienne Ketty Maisonrouge avait elle volé avec Virgin Galactic, entreprise concurrente de Blue Origin sur ce créneau des vols courts. Sylvain Chiron, qui rejette le terme de tourisme spatial, estime avoir été sélectionné par Blue Origin sur «des milliers de candidatures» grâce à un dossier démontrant sa «passion dévorante pour l’espace». Le prix du billet, tenu secret, est «cher» mais «pas complètement fou non plus», selon lui.
«Ce n’est pas tolérable, ni écologiquement, ni socialement»
Amateur de sensations fortes, le quinquagénaire a obtenu son brevet de pilote privé dès 16 ans et admiré dans sa jeunesse plusieurs décollages de navettes spatiales en Floride. Il s’est finalement orienté vers des études de commerce aux Etats-Unis, avant de fonder une brasserie artisanale en Savoie, la Brasserie du Mont-Blanc. «C’est assez incroyable de pouvoir aller dans l’espace pour quelqu’un comme moi, qui est finalement monsieur lambda», a-t-il déclaré. «Mais je suis à peu près certain que la génération d’après aura un accès beaucoup plus facile à l’espace. […] On est vraiment à mon sens au tout début de cette révolution spatiale, a-t-il ajouté. Je n’ai qu’un souhait, c’est que le plus de gens possible puissent le plus rapidement possible partager cette expérience.»
Problème : émetteur de quantités énormes de dioxyde de carbone, le tourisme spatial constitue une aberration écologique, à l’heure où l’humanité doit au contraire réduire la production de gaz à effet de serre pour limiter les dégâts du changement climatique. Interrogé par Libération fin 2021, l’astrophysicien Roland Lehoucq prévenait : «Il faut arrêter de nous vendre du rêve avec des plaisirs de super riches qui deviennent la vitrine de ce qui est désirable. Ramené à l’individu, c’est beaucoup trop de CO2 par rapport à l’objectif vers lequel il faut tendre. Dans un monde aux ressources contraintes et à la pollution croissante, ce n’est pas tolérable, ni écologiquement ni socialement.»