Au grand nuage de Magellan tournez à droite et continuez tout droit pendant quelques millions d’années-lumière et c’est bon, vous devriez atteindre Andromède. Quand on a entendu parler pour la première fois de cette histoire de carte de l’univers, on n’a pas pu s’empêcher d’imaginer le GPS qui allait avec. Evidemment, ce n’est pas vraiment le propos de ces représentations en 3D des grandes structures de l’univers. Avant sa conférence, le 19 octobre à la Cité des sciences, «l’Expansion de l’univers : une histoire en 3D», nous avons voulu en savoir plus avec Etienne Burtin, chercheur à l’Institut de recherche sur les lois fondamentales de l’univers (Irfu/CEA) et spécialiste du sujet.
La carte de l’univers, c’est une idée qui doit courir depuis un certain temps ?
Dès que les humains ont regardé le ciel, ils se sont posé la question de pourquoi ils voyaient une Grande Ourse qui ressemble à une casserole. Comprendre pourquoi il y a des motifs dans le ciel, c’est vieux comme l’humanité. Au niveau de la cosmologie moderne, l’étape majeure, c’est Edwin Hubble qui, dans les années 20, a regardé les galaxies et s’est rendu compte que plus elles étaient lointaines, plus elles s’éloignaient vite de nous. Rapidement, on est arrivé à la notion d’un univers en expansion. Dans les années 80, les premiers relevés de galaxies lointaines ont permis de voir des structures. Les galaxies sont rassemblées dans des sortes de grumeaux, avec des filaments de galaxies. Ce n’est pas quelque chose de complètement aléatoire, il y a des motifs. Et sur les deux dernières décennies, on a organisé ça de façon semi-industrielle pour aller mesurer le maximum d’objets astrophysiques, donc des galaxies lointaines, dans le ciel. Aujourd’hui, avec les nouveaux grands relevés, on rentre vraiment dans la phase industrielle. Entre 2000 et 2020, on a mesuré la position d’environ 5 millions de galaxies. Et avec les prochains relevés, dans les sept ou dix prochaines années, on en aura mesuré 50 millions.
Ces cartes servent-elles aussi à remonter dans le temps ?
Dès qu’on observe un objet astrophysique, on est tout de suite en train de remonter dans l’histoire. Quand on regarde le soleil, on le voit tel qu’il était il y a huit minutes. Si on regarde l’étoile Proxima du Centaure, la lumière qu’on détecte aujourd’hui a été émise il y a quatre ans. Et pour des objets très lointains, comme ceux du programme eBoss sur lequel j’ai travaillé, en moyenne, c’est huit milliards d’années. Pour de tels objets, on connaît donc leur position il y a huit milliards d’années. Sur notre carte, donc, on va reconstruire à la fois des positions, et un moyen d’observer l’univers tel qu’il était il y a huit milliards d’années.
A quoi ça ressemble, l’univers, quand on regarde cette carte ?
On a des simulations numériques qui permettent de faire évoluer la matière à travers le temps et on peut montrer qu’en partant d’un champ de matière presque homogène, on arrive à une structuration de l’univers. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas de regarder la carte et de se promener dedans, même si ça peut être amusant. Dans les faits, on applique des méthodes statistiques à ces cartes pour pouvoir trouver des caractéristiques et comprendre l’évolution de l’univers.
C’est-à-dire ?
On va regarder par exemple toutes les distances entre toutes les galaxies d’un échantillon. Et ce qu’on observe, c’est qu’il y a une distance caractéristique qui se calcule en centaines de millions d’années-lumière et que cette échelle de distance, on la retrouve à toutes les époques de l’univers. Elle provient d’un phénomène physique qui s’est passé dans les débuts de l’univers. Et cette distance, elle va nous permettre d’avoir accès à l’histoire de l’expansion de l’univers.
Comment cette cartographie peut-elle permettre d’avancer sur ce grand mystère du modèle cosmologique actuel qu’est l’énergie noire ?
Effectivement, cette énergie noire est introduite après des mesures sur les supernovæ [les étoiles mourantes extrêmement lumineuses, ndlr] qui peuvent être expliquées par un univers en expansion accélérée. Et l’énergie nécessaire à cette accélération, on a appelé ça l’énergie noire. On comprend alors bien qu’en mesurant l’histoire de cette expansion, on a les bons outils pour essayer de comprendre l’énergie noire et d’apporter des précisions sur sa nature.
C’est un peu un éléphant invisible au milieu de la pièce, cette énergie noire, non ?
Oui, c’est une bonne image (rires). On a cet éléphant qu’on ne voit pas, mais on remarque que le sol est déformé. Pour le grand public, ça peut être assez dur à comprendre : c’est plus de 70% du contenu énergétique de l’univers aujourd’hui, et on ne sait pas ce que c’est. On sait que ça ressemble beaucoup à une constante cosmologique et son utilisation permet d’être très prédictif sur les mesures astronomiques actuelles.
Ces cartes doivent aussi être prêtes à accueillir les données à venir…
On va effectivement devoir intégrer énormément de données dans les années qui viennent. Et les simulations avancent en parallèle des observations. Aujourd’hui, pour comprendre les observations, il faut les simulations. Pour tous les grands relevés, dès qu’on obtient le feu vert pour lancer la construction des infrastructures qui vont les effectuer, on lance les simulations en même temps. L’avantage de la simulation d’univers, c’est qu’elle peut être faite en avance. On avance donc en parallèle. Les simulations sont vitales pour estimer la précision de nos données. Pour estimer la précision d’une mesure concernant un grand relevé de galaxies, il faut faire mille simulations d’univers.
Bon, j’ai un peu peur d’être déçu par votre réponse, mais si j’ai bien compris, vous ne simulez pas les étoiles elles-mêmes…
Une galaxie, ça correspond environ à 100 milliards de fois la masse du soleil. Dans les meilleures grandes simulations d’Univers aujourd’hui, une particule, un objet élémentaire qu’on va pouvoir faire évoluer dans le temps, représente un milliard de fois la masse du soleil. Il faut donc quelques particules pour décrire une galaxie. Chaque galaxie fait partie d’un amas et il faut quelques milliers de particules pour le décrire. On n’est pas du tout au niveau infinitésimal, ce qui, pour nous, correspond à un milliard d’étoiles. On ne peut pas encore faire à la fois les très grandes structures de l’univers qui nous intéressent et les étoiles.
Du coup, on ne peut pas jouer à Star Trek avec votre simulation 3D de l’univers ?
On peut le faire, si on accepte de se promener entre les galaxies. Ce sont des applications qui existent.
Est-ce que ça vous fait voyager, quand vous manipulez ces objets, ces énormes distances ?
C’est vraiment le goût de chacun. Moi, personnellement, oui. Sur mon bureau, j’ai une image d’Andromède. Mais j’ai des étudiants qui sont arrivés en cosmologie et qui n’ont jamais mis leur œil dans un télescope. On a des méthodes statistiques pour travailler sur de la physique fondamentale, le reste, c’est selon sa propre sensibilité. Pour ma part, je reste émerveillé dès que je peux voir la voie lactée dans un ciel bien clair.
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