C’est une nomination inattendue, mais qui n’étonnera finalement personne dans le contexte actuel : après que Donald Trump a offert son «ministère de l’Efficacité gouvernementale» à Elon Musk, milliardaire entrepreneur de l’industrie spatiale, le président élu des Etats-Unis vient de choisir pour diriger la Nasa Jared Isaacman… un milliardaire entrepreneur de l’industrie spatiale. L’annonce a été faite ce mercredi 4 décembre sur Truth Social, le réseau social que possède Trump, et doit être confirmée par le Sénat américain avant d’être effective.
Paiement bancaire et flotte de jets
On n’a encore jamais vu Jared Isaacman gérer une administration publique de l’ampleur de la Nasa. Aujourd’hui âgé de 41 ans, l’homme d’affaires est un passionné d’aviation et d’astronautique depuis des décennies – «j’ai décidé d’aller dans l’espace quand j’avais 5 ans. J’avais déjà pris ma décision à cette époque, ensuite il m’a juste fallu un peu de temps pour la mettre en œuvre», raconte Isaacman à CNBC en 2021. A 16 ans, il laisse tomber ses études pour créer sa boîte de paiements bancaires, un secteur qu’il commence à connaître grâce à son premier job étudiant. La société (nommée Shift4) est aujourd’hui valorisée en Bourse à 9 milliards de dollars. En parallèle, le jeune Isaacman a passé sa licence de pilote et avait déjà, à 28 ans, fondé ce qui deviendrait la plus grande flotte militaire privée du monde : Draken International, avec ses 150 jets. La vente de Draken, ajoutée aux revenus Shift4, lui a permis d’avoir un compte en banque à dix chiffres.
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Jared Isaacman réinvestit sa fortune dans une ambition parfaitement en phase avec l’époque : développer le secteur des missions spatiales privées, notamment pour prendre le relais de la Nasa en orbite terrestre basse, une région de l’espace qui sera délaissée par l’agence spatiale publique (au profit de la Lune) après la désorbitation de l’ISS en 2031. Les start-up privées sont aujourd’hui encouragées et financées par la Nasa pour fournir leurs propres services spatiaux, en tant que prestataires : faire décoller des fusées réutilisables, construire de petites stations spatiales pour l’entraînement des astronautes en apesanteur, transporter du fret vers la Lune… SpaceX, la société spatiale d’Elon Musk, est dans ce domaine le plus gros partenaire et prestataire de la Nasa. Jared Isaacman essaye en parallèle de creuser son propre trou, surtout en formant des astronautes privés.
Première sortie privée dans l’espace
Entre 2022 et 2024, trois missions montées par Isaacman ont ainsi envoyé un équipage d’astronautes commerciaux à bord de l’ISS, pour travailler main dans la main avec les astronautes publics. Les derniers en date ont décollé au mois de septembre, après plusieurs années d’entraînement technique, physique et psychologique.
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Et pour une fois, il ne s’agissait pas de rejoindre l’ISS, mais de rester en orbite indépendante à bord du vaisseau privé Crew Dragon de SpaceX. Les astronautes commerciaux y ont testé de toutes nouvelles combinaisons spatiales made in SpaceX et ont tenté, pour la première fois de l’histoire, de mettre leur nez dans le vide de l’espace dans cette mission 100 % privée. Jared Isaacman faisait partie de l’équipage – il a emmené avec lui deux ingénieures de SpaceX et un ami pilote à la retraite de l’armée américaine. Il a donc réalisé son rêve, et flotté dans l’espace.
Critique sur les choix de la Nasa
«Jared s’emparera de la mission de découverte et d’inspiration de la Nasa, pour paver la voie à des avancées historiques dans l’exploration, la science et la technologie spatiales, a commenté Donald Trump mercredi. Sa passion pour l’espace, son expérience d’astronaute et son engagement à repousser les limites de l’exploration, défricher les mystères de l’univers et faire avancer la nouvelle économie spatiale, lui donnent le profil idéal pour emmener la Nasa dans une nouvelle ère ambitieuse.»
Cette nomination est surtout surprenante par son timing. Lors de son premier mandat, Trump avait laissé passer sept mois avant de choisir un nouveau patron pour la Nasa – Jim Bridenstine, à l’époque, en 2017. Entre-temps, c’est Bill Nelson qui avait été sélectionné en 2021 par le président démocrate, Joe Biden.
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La proximité d’Isaacman avec Elon Musk fait déjà lever quelques sourcils aux Etats-Unis depuis sa nomination. Il y a notamment des risques de conflits d’intérêts, vu les liens financiers entre SpaceX et les activités spatiales d’Isaacman, rapporte une source à Washington dans le média spécialisé SpaceNews. Sa vision du programme lunaire Artemis sera également scrutée de près, car Isaacman s’est souvent montré critique sur les choix de la Nasa – en termes de fusée choisie (le lanceur SLS plutôt que le Starship de SpaceX), mais aussi du véhicule de voyage vers la Lune (la capsule euro-américaine Orion)… Fin novembre, l’entrepreneur se félicitait sur le réseau X qu’Elon Musk soit nommé ministre de «l’Efficacité» et listait les mesures les plus urgentes à prendre selon lui dans les administrations publiques : encourager la compétition, ne pas hésiter à renégocier voire mettre fin aux contrats trop coûteux, forcer les institutions à «fournir plus de valeur ajoutée ou faire face aux conséquences»…
Lors de son premier mandat, l‘administration Trump avait sévèrement réorienté le budget de la Nasa en annulant des programmes sur le réchauffement climatique. De nombreux scientifiques s’étaient mobilisés pour essayer de faire barrage à ces mesures jugées catastrophiques.