Menu
Libération
Espace

La Chine vise encore les étoiles

Trois taïkonautes ont rejoint la nouvelle station spatiale chinoise ce jeudi. Avec la fin programmée de la Station spatiale internationale (ISS), l’Empire du milieu se retrouve désormais dans une position stratégique.
Les astronautes Nie Haisheng (à droite), Liu Boming (au centre) and Tang Hongbo (à gauche), avant leur départ pour la station spatiale chinoise, le 17 juin 2021. (Greg Baker/AFP)
publié le 17 juin 2021 à 17h55

Cinq ans que les Chinois n’avaient pas effectué de vol habité. La mission Shenzhou-12 revêt une dimension aussi symbolique que politique. Trois taïkonautes ont rejoint ce jeudi la nouvelle station spatiale du pays pour une mission de trois mois, un record pour le géant asiatique. Ils s’étaient élancés à bord de la fusée Longue Marche 2F depuis le centre de lancement spatial de Jiuquan dans le désert de Gobi à 9 h 22 (3 h 22 à Paris). Petit à petit, la Chine rattrape son retard dans l’espace par rapport à la superpuissance américaine. Outre le rythme impressionnant de son programme lunaire –premier alunissage avec Chang’e 3 en 2013, mission réussie avec Chang’e 4 début 2019 sur la face cachée de la Lune, alunissage de la sonde chinoise Chang’e 5 fin 2020 qui doit retourner des échantillons de roches lunaires sur Terre –, le pays s’est également attaqué à l’exploration de Mars cette année grâce à un petit robot téléguidé nommé Zhurong.

La Chine a donc passé un nouveau cap ce jeudi en inaugurant sa nouvelle station spatiale nommée «Chinese Space Station» (CSS) en anglais ou Tiangong en chinois, pour «Palais céleste». Le module central de la station, qui comprend le centre de contrôle ainsi que le lieu de vie des astronautes, avait été placé fin avril en orbite terrestre basse à environ 350-390 km d’altitude. «Les Chinois sont dans un processus de maîtrise de l’ensemble des capacités spatiales, explique à Libération Isabelle Sourbès-Verger, directrice de recherche au CNRS, géographe, spécialiste des politiques spatiales. Cela s’accélère, on a bien vu ce qu’ils étaient capables de faire sur la Lune. Il est aujourd’hui logique qu’ils se lancent dans la construction de leur propre station spatiale, c’est l’aboutissement des vols habités depuis 2003. On aurait même pu penser qu’ils le feraient plus tôt.»

A bord du «Palais céleste», le commandant de la mission Nie Haisheng, ainsi que Liu Boming et Tang Hongbo, prépareront leur habitat pour les prochaines missions entre travaux de maintenance, installation de matériel et sorties dans l’espace. Car la mission Shenzhou-12 n’est que le troisième lancement sur les onze nécessaires pour terminer la station. Celle-ci devrait être complètement opérationnelle d’ici fin 2022. Les deux derniers modules, qui feront office de laboratoires et permettront ainsi de multiplier les expériences scientifiques à l’instar de la station spatiale internationale (ISS), seront envoyés l’an prochain. La station chinoise sera en revanche trois fois plus petite que l’ISS, qui fait environ la taille d’un terrain de foot.

«Utilisation pacifique de l’espace»

«Ils n’ont pas la même ambition qu’avaient les Américains de faire quelque chose de très visible sur le plan symbolique, avec par exemple de très grands panneaux solaires, explique Isabelle Sourbès-Verger. Si les Chinois veulent construire une station circumlunaire, ils n’ont de toute façon pas intérêt à avoir une trop grande station terrestre. Le fait d’arriver après [la NASA ou l’ESA], leur donne un avantage. Si vous vous inscrivez dans le mouvement, vous n’avez pas besoin d’expérimenter tout ce qui a été fait avant.»

Les Chinois ont un mot d’ordre : l’autonomie. Face au refus américain d’une quelconque collaboration, ces derniers n’ont pas eu d’autres choix que de se développer par leurs propres moyens. Coup de chance pour eux, les jours de l’ISS sont comptés. La station internationale, qui réunit Américains, Russes, Européens, Canadiens et Japonais, devrait arrêter ses activités en 2024 sauf si les différents parties prenantes confirment l’éventualité d’une prolongation jusqu’en 2028. «Ce concours de circonstances rend la station chinoise attractive, souligne la chercheuse. Ils vont avoir leur station au moment où les autres n’auront plus la leur. Tandis que les Américains vont développer leur station lunaire avec les Européens, les Canadiens voire d’autres pays, il n’y aura plus qu’une seule station en orbite basse. Ils peuvent en retirer un bénéfice politique s’ils invitent des pays “amis” à bord. Ils ont tout intérêt à le faire, cela leur apportera de la notoriété et de l’expérience, surtout s’ils travaillent avec des pays qui ont l’habitude d’aller dans l’espace.» Les Chinois en ont bien conscience. Mercredi, Ji Qiming, un haut responsable de l’Agence chinoise des vols habités (CMSA), s’est déjà dit prêt «à coopérer avec n’importe quel pays qui s’engage en faveur de l’utilisation pacifique de l’espace».