Un beau bébé de 3 852 kilogrammes s’est envolé. Placé ce samedi soir en orbite, un satellite français a décollé de Kourou, en Guyane, à bord de la fusée Ariane 5. Son nom ? Syracuse 4A, pour la quatrième version du «Système de radiocommunication utilisant un satellite». Présenté comme un bijou de technologie, il pourrait bien révolutionner les communications militaires.
L’accès aux communications
Syracuse 4A, ou satellite 4A pour le diminutif, permettra aux armées françaises déployées partout dans le monde de communiquer en toute sécurité depuis des relais au sol, aériens, marins et sous-marins. Jusqu’à présent cette communication était assurée par les satellites de la génération précédente, Syracuse 3A et Syracuse 3B. Les deux compères étaient en service depuis 2007, il était temps pour eux de prendre leur retraite.
Le nouveau satellite 4A devrait permettre de multiplier par trois le débit de ses prédécesseurs. «Il y a une loi presque mathématique d’augmentation régulière des volumes de data», souligne le colonel Stéphane Spet, porte-parole de l’armée de l’air et de l’espace, citant les besoins générés par les systèmes de commandement, la représentation des situations tactiques du terrain, la vidéo (venant par exemple des drones Reaper déployés au Sahel). Ou encore le traitement en temps réel des données venues de plusieurs endroits de la planète.
A terme, la France disposera de 400 stations capables de communiquer avec S4 depuis le sol, un aéronef, un navire ou un sous-marin, selon la Direction générale de l’armement (DGA). Le déploiement de ce satellite, bien que prévu de longue date, tombe à point nommé alors que Paris pousse son projet de souveraineté européenne en matière de défense. La France, qui dispose d’espaces maritimes souverains sur toutes les mers du globe, ne peut se passer d’une assise technologique puissante.
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Résistant aux agressions
Outre son débit impressionnant, Syracuse 4A devrait également être capable de se protéger face à des attaques. «Syracuse 4A est conçu pour résister aux agressions militaires depuis le sol et dans l’espace ainsi qu’au brouillage», explique Stéphane Spet. En outre, il est équipé de moyens de surveillance de ses abords proches et est capable de se déplacer afin d’esquiver une agression.
La chose fait très science-fiction mais les risques sont bien réels. En juillet 2020, le commandement spatial américain avait accusé Moscou d’avoir «conduit un test non-destructeur d’une arme antisatellite depuis l’espace». Et en 2017, le «satellite espion» russe Louch-Olympe avait déjà tenté de s’approcher du satellite militaire franco-italien Athena-Fidus. Une vraie guerre des étoiles.
Et, ultime détail sensationnel : S4 peut se protéger contre des impulsions électromagnétiques qui résulteraient d’une explosion nucléaire, explique Marc Finaud, expert en prolifération des armes au Centre politique de sécurité de Genève (GCSP). Un détail qui n’en est pas un pour l’armée française, puisque la dissuasion nucléaire du pays repose en grande partie sur ses sous-marins. «Si un adversaire est capable de modifier, pirater, endommager les communications avec les sous-marins, c’est la fin de la dissuasion», avertit-il.
L’expert en prolifération des armes Marc Finaud évoque au passage le risque potentiel venant de la «nébuleuse de hackers, pirates, acteurs criminels ou terroristes qui pourraient se lancer dans une sorte de guerre des étoiles plus artisanale». Quant à la géopolitique spatiale, elle se tend un peu plus chaque année. «On parle de guerre spatiale et ce risque-là est admis par tout le monde.»
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Un outil de crédibilité
En plus d’améliorer les communications militaires, S4 va permettre à l’Hexagone de redorer son blason. Quelques semaines après l’humiliation reçue par l’Australie, qui a renoncé à un immense contrat de sous-marins français au profit de submersibles américains, fragilisant d’autant la puissance française en Indopacifique, le satellite S4 redonne une fierté à la bête blessée. «Politiquement, c’est la mise en évidence que la France reste une puissance peut-être moyenne, mais dont l’étendue d’action reste internationale», insiste le directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et spécialiste des questions spatiales Xavier Pasco.
«Elle a besoin de ce segment-là pour montrer qu’elle a les moyens de ses ambitions», estime Xavier Pasco. Cela crédibilise l’ensemble de son outil militaire, de même que sa capacité industrielle.»
Investissement de 4 milliards d’euros
L’investissement, lui aussi, est astronomique. La Direction générale de l’armement (DGA) s’est engagée avec Thalès à hauteur de 354 millions d’euros pour le segment sol du système sécurisé de Syracuse 4. Un autre accord, conclu avec Airbus, s’élève à 117 millions d’euros. Il contribuera, pour sa part, «à développer un nouveau portail de gestion centrale des différents systèmes de communications par satellites utilisés par les armées françaises», indique ministère des Armées sur son site. Dans son ensemble, le programme Syracuse représente un investissement total d’environ 4 milliards d’euros.
Avec ses 2 milliards d’euros d’investissements annuels dans le spatial militaire et civil, l’Hexagone reste loin du trio de tête : 50 milliards pour les Etats-Unis, 10 pour la Chine et 4 pour la Russie, selon des chiffres de 2020 du gouvernement français. Mais S4 permet à la France de rester dans le peloton de tête et confirme que Paris participe bien à la course aux armements.