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Libération
Vu du ciel

«Les yeux de l’Europe sur la Terre» : le satellite Sentinel-1D s’apprête à prendre ses quartiers

Le nouveau satellite européen, qui décollera ce lundi 3 novembre de Guyane, prendra la relève du tout premier engin lancé en 2014. Un réseau qui permet de suivre les moindres changements dus aux catastrophes naturelles.

Image satellite du 28 septembre 2025 montrant les dégâts dans parc national d'Etosha en Namibie. (AFP)
ParCamille Gévaudan
Journaliste - Société
Publié aujourd'hui à 10h00

L’ouragan Melissa dans les Caraïbes, des inondations et des glissements de terrain meurtriers au Mexique, la sécheresse en Grèce, d’autres inondations au Vietnam et aussi aux Philippines… Les catastrophes naturelles s’enchaînent (celles sus-citées ont été observées uniquement depuis le début du mois d’octobre), et pour appréhender au mieux leurs conséquences sur la population, on a d’abord besoin de pouvoir estimer les dégâts. C’est un des usages les plus courants des satellites d’observation de la Terre, à l’heure actuelle. Et c’est notamment la spécialité de Sentinel-1D, un satellite européen qui décollera ce lundi 3 novembre depuis le centre spatial de Kourou, en Guyane, à bord d’une fusée Ariane 6.

Les satellites Sentinel «sont les yeux de l’Europe sur la Terre», a résumé Mauro Facchini, chef de l’Unité Observation de la Terre à la Commission européenne, lors d’une conférence de presse avant le lancement. Onze sont aujourd’hui opérationnels, et l’équipe est amenée à grandir au fil des prochains mois et années. Formant ensemble le programme européen Copernicus, ils fonctionnent en équipes, et plus précisément en duos dont chacun a un domaine d’expertise particulier.

Le duo Sentinel-2, par exemple, fournit des images de la Terre en couleur et en haute résolution. Les Sentinel-3 sont des couteaux suisses pour la surveillance des océans, qui mesurent en permanence la hauteur des mers et des grands lacs, leur température, la hauteur des vagues, la vitesse du vent, l’épaisseur des banquises… Quant aux Sentinel-1, ils sont équipés d’un radar pour voir la surface des continents de jour comme de nuit, même à travers la couverture nuageuse.

Précision millimétrique

L’observation au radar est indispensable et précieuse, détaille Simonetta Cheli, directrice des Programmes d’Observation de la Terre à l’Agence spatiale européenne, notamment pour suivre «la déforestation en zone tropicale où il y a souvent des nuages», mais aussi pour mesurer avec une précision millimétrique les mouvements de terrain après un tremblement de terre, ou dans les zones à risque. En comparant deux images satellite prises avant et après un séisme, on peut voir très précisément comment le sol s’est déformé. En Haïti en 2022 par exemple, on a pu voir que le sol s’était déplacé jusqu’à 20 centimètres près de l’épicentre. Un autre domaine d’application est la surveillance des marées noires : mesure de l’étendue des dégâts, évolution de la superficie et de la position de la nappe d’hydrocarbures au fil des jours…

Mais «le plus important, en termes de volume de données produites par Sentinel-1 et exploitées ensuite, est le suivi des icebergs et tout ce qui est glace», souligne Simonetta Cheli. Cartographier précisément les icebergs dans les régions arctiques et antarctiques est crucial pour dans le cadre du changement climatique, «mais aussi pour les transports maritimes et leur valeur économique».

Bénéfices 3,7 fois plus importants que les coûts engagés

Sentinel-1 est donc très fort pour repérer et mesurer toutes les modifications de terrain, et ses données sont utiles à la fois pour la science et pour des activités commerciales. Les données qu’enregistrent les satellites Sentinel – environ 25 téraoctets par jour – sont mises à disposition de tous, librement et gratuitement, moyennant une simple inscription sur la plateforme du programme Copernicus. «C’est de l’argent public remis à disposition du public, résume Mauro Facchini. Les données de Copernicus sont gratuites, mais c’est un avantage pour les entreprises qui peuvent ensuite générer de l’argent» en intégrant ces données «dans des produits à valeur ajoutée qui sont ensuite vendus».

Les observations des Sentinel servent de source à des services d’observation de la qualité de l’air ou de l’eau, de gestion du trafic maritime, de cartographies de crise pour la protection civile… Au total, le budget du programme Copernicus est d’environ 5 milliards d’euros par période de sept ans (2014-2021 pour la première, puis 2021-2027). La Commission européenne a commandé «une observation de marché, dans laquelle il a été estimé que les bénéfices sociétaux, économiques et environnementaux [de Copernicus] seront 3,7 fois plus importants que les coûts engagés».

Revisiter chaque région tous les six jours

Là-haut, à 693 kilomètres d’altitude, Sentinel-1D retrouvera son binôme Sentinel 1-C, tout récemment mis en orbite fin 2024, et commencera à travailler de concert avec lui. Une fois qu’il sera pleinement opérationnel, on pourra «décommissionner», c’est-à-dire mettre à la retraite le vieux Sentinel-1A, le tout premier satellite Copernicus qui nous observe depuis 2014. Car 1A commence à flancher ; il était temps que la relève arrive pour qu’il y ait toujours un duo en bon état de marche.

A tout instant, les satellites sont chacun d’un côté de la Terre, à 180° d’écart. Grâce à ce fonctionnement synchronisé, où chacun passe dans le sillon de l’autre pour reprendre les mêmes photos quelques jours plus tard, le duo Sentinel-1 permet de «revisiter» chaque région terrestre tous les six jours. De quoi suivre notre planète au plus près.

«Repérer la piraterie»

Le nouveau satellite en profite pour embarquer quelques nouveautés par rapport à celui qu’il remplace : des instruments plus récents pour faire des images plus nettes, un récepteur Galileo «pour améliorer le positionnement en vol du satellite», et une antenne pour recevoir automatiquement la position annoncée des navires en mer. «Comme les radars du satellite observent aussi les mouvements des navires, on pourra comparer, voir l’éventuelle différence entre le vrai positionnement et l’information envoyée par les bateaux, et repérer la piraterie», explique Facchini. Rien n’échappe aux yeux dans l’espace.