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Le télescope James-Webb décroche sa première étoile

Après un mois de trajet depuis son lancement à Noël, le télescope spatial a atteint son poste d’observation à 1,5 million de kilomètres de la Terre. Les segments de son grand miroir en nid d’abeille sont en cours d’alignement pour concentrer la lumière, en prenant pour cible l’image d’une étoile.
Après alignement des 18 segments de son grand miroir, le télescope James Webb a fait le point sur sa toute première étoile. Sa sensibilité permet déjà d'observer de nombreuses galaxies en arrière-plan. (Photo NASA/STScI)
publié le 3 janvier 2022 à 19h00
(mis à jour le 17 mars 2022 à 13h08)

Lancé depuis Kourou le 25 décembre, le télescope spatial James Webb (JWST) a enfin clos le premier chapitre de son histoire (trente ans de conception, construction et tests) pour entamer les choses sérieuses : sa vie dans l’espace. Un voyage d’un mois est nécessaire avant qu’il n’atteigne son poste d’observation final, à 1,5 million de kilomètres de la Terre. Ce temps est mis à profit pour déplier le télescope comme une fleur, lui qui était tout recroquevillé au décollage pour rentrer dans la coiffe de sa fusée. Etape par étape, le JWST va mettre en place ses miroirs, étendre son pare-soleil, allumer ses instruments, calibrer ses systèmes… Autant de manœuvres cruciales, qui ont intérêt à fonctionner comme prévu car il ne sera pas possible d’envoyer des astronautes jouer les réparateurs dans l’espace, comme cela s’était passé pour le télescope Hubble dans les années 90. Si tout se déroule comme prévu, James Webb observera ses premières galaxies et exoplanètes au début de l’été 2022, pour déchiffrer l’histoire précoce de notre univers.

il y a 1154 jours

Il ne devait en rester qu’une. Ça y est ! Les 18 étoiles ont fusionné en une seule. Les segments du grand miroir en nid d’abeille ont été alignés de manière à rassembler en un seul point l’image de l’étoile visée par James Webb. Sa sensibilité permet déjà d’observer de nombreuses galaxies en arrière-plan. «Nous avons fait le point sur une étoile, et la performance obtenue dépasse les spécifications du télescope. Nous sommes enthousiastes pour les opérations scientifiques à venir», s’est réjoui Ritva Keski-Kuha, une responsable des éléments optiques du télescope.

il y a 1188 jours

Première photo... en 18 exemplaires. «C’est émouvant», commente un responsable de l’optique du télescope, Lee Feinberg. Pour la première fois, le télescope James Webb a «ouvert les yeux» et nous a montré ce qu’il voyait devant lui : 18 étoiles. Enfin, une seule étoile, mais comme les 18 segments du miroir ne sont pas encore alignés, l’image est quelque peu dédoublée (octodécuplée ?).

«Cette image sert désormais de base pour aligner le télescope et faire le point, de manière à ce que Webb puisse nous fournir des vues inédites de l’univers d’ici cet été, explique la Nasa. Au cours du mois à venir, l’équipe va graduellement ajuster les segments du miroir jusqu’à ce que les 18 images deviennent une seule étoile.» L’équipe de l’optique a déjà identifié de quel segment de miroir provient chacun des points blancs sur l’image. Le travail de fourmi peut commencer.

il y a 1206 jours

Arrivée à destination. Après un mois de voyage tout pile, comme prévu, le télescope est arrivé. Il a parcouru environ 1,5 million de kilomètres depuis la Terre en s’éloignant du Soleil pour atteindre ce qu’on appelle le point de Lagrange L2 – une position dans l’espace où les champs de gravité s’équilibrent, de sorte que James-Webb pourra rester stable sur son orbite en utilisant un minimum de carburant.

En arrivant près de sa destination, lundi 24 janvier à 20 heures (heure de Paris), le télescope a allumé ses moteurs durant cinq minutes pour faire une manœuvre d’«insertion» : il a arrêté de filer tout droit vers l’extérieur du système solaire et s’est inséré en orbite autour du point de Lagrange L2. Il va désormais rester des années à faire des ronds autour de ce point, tout en suivant de loin la Terre dans sa course annuelle autour du Soleil.

il y a 1211 jours

Libération des segments de miroirs. Ah qu’il semble déjà loin, le temps où l’on dépliait les grandes structures du télescope en une poignée d’heures ! Chaque jour ou presque, les ingénieurs de la Nasa bouclaient et célébraient une nouvelle grande manœuvre («Ce n’est pas parce que ça avait l’air facile que ça l’était», précise tout de même Bill Ochs, un responsable de la mission). Ça avançait bien. C’était le bon temps. C’était... début janvier. L’heure est désormais aux réglages fins, et l’équipe du JWST vient de passer plus d’une semaine, du 12 janvier à ce jeudi, à programmer minutieusement des mouvements de quelques millimètres.

Le miroir primaire du télescope est ouvert et arbore sa forme définitive de nid d’abeille. Mais les segments individuels du miroir, les 18 hexagones qui le composent, étaient encore bloqués en «position de décollage», avec des amortisseurs pour absorber les vibrations de la fusée, et doivent maintenant détacher leur ceinture pour se positionner en finesse les uns par rapport aux autres. L’objectif est d’abord de leur donner du mou, puis de les aligner à la perfection pour qu’ils réfléchissent et concentrent la lumière venue de l’univers vers le miroir secondaire, puis vers les capteurs et instruments du télescope qui analyseront cette lumière.

Grâce à 126 petits mécanismes, «les segments du miroir primaire ont été éloignés de la structure du télescope de 12,5 millimètres, détaille Erin Wolf, la cheffe du déploiement des miroirs. Ces mécanismes relâchent les miroirs de leurs attaches de décollage, et donnent à chaque segment assez de place pour qu’il puisse par la suite être ajusté dans d’autres directions.»

Les mouvements ont été contrôlés millimètre par millimètre (chaque millimètre nécessitant 720 tours du petit moteur dédié). Un tableau de bord permettait de suivre l’opération en temps réel. Vient maintenant la phase d’alignement des miroirs : chaque segment sera ajusté à quelques microns, voire nanomètres près pour concentrer la lumière le plus finement possible. Il y en a pour trois bons mois.

il y a 1222 jours

Miroir primaire déployé. C’est fini ! Les deux rabats du grand miroir sont ouverts et le télescope James Webb a son allure définitive. Ce jalon très attendu marque la fin d’un long protocole de déploiement qui a pris onze jours : d’abord l’installation et l’ouverture du pare-soleil, puis le miroir secondaire, les radiateurs, et le grand miroir. Mais le télescope est encore loin d’observer ses premières galaxies. On entre désormais dans la longue phase des réglages fins pour aligner et calibrer tous les systèmes optiques... «Le télescope va maintenant commencer à bouger ses 18 segments de miroir pour aligner les optiques, détaille la Nasa. L’équipe au sol va manœuvrer 126 mécanismes situés à l’arrière des segments pour incliner chacun des miroirs.»

il y a 1223 jours

Ouverture du miroir primaire. C’est le moment «que nous attendions tous», estime la Nasa : l’heure est enfin venue pour James Webb d’ouvrir son emblématique miroir en nid d’abeille. Avec ses 6,5 mètres de diamètre, il ne pouvait pas tenir dans la coiffe de la fusée Ariane qui a propulsé le télescope dans l’espace. Le miroir était donc plié en trois : douze segments hexagonaux au centre, et un rabat de trois segments de chaque côté. Les ingénieurs vont aujourd’hui programmer l’ouverture du rabat à bâbord (l’affaire de cinq minutes), puis leur verrouillage en position finale (un processus qui prendra deux heures). Le déploiement côté tribord attendra demain.

il y a 1224 jours

Le million. James Webb a désormais parcouru un million de kilomètres depuis son lancement, annonce la Nasa, ce qui représente deux tiers de son voyage. Le télescope arrivera à destination dans une dizaine de jours.

il y a 1224 jours

Déploiement du radiateur. Le contrôle de la température est l’un des défis les plus importants de la mission James Webb : le télescope doit être protégé des rayonnements du Soleil, de la Terre et de la Lune pour rester dans le froid glacial de l’espace et capter les ondes infrarouges venant des confins de l’univers. Et les instruments scientifiques qui analyseront la lumière, en particulier, doivent être maintenus juste à la bonne température. C’est le «radiateur déployable arrière» qui s’en chargera : un panneau rectangulaire de 1,2 mètre sur 2,4 en aluminium recouvert de cellules peintes, pour créer une surface très noire. Le radiateur récupère la chaleur des instruments et l’évacue vers l’espace, explique la Nasa.

il y a 1225 jours

Installation du miroir secondaire. «Encore un grand jour pour le James Webb», se félicite Bill Ochs, l’un des responsables de la mission au centre Goddard de la Nasa. «C’est incroyable... Nous sommes à près d’un million de kilomètres de la Terre, et on a un vrai télescope.» Son commentaire enthousiaste couronne l’une des étapes-clés pour le télescope spatial international : son miroir secondaire vient d’être mis en position. Depuis le décollage, ce miroir de 74 centimètres de large était rangé au-dessus du télescope, attaché au bout de trois longs bras de 8 mètres de long dont l’un était plié en deux. Il fallait que tout soit comprimé en position verticale pour tenir dans la coiffe de la fusée. Mais aujourd’hui, l’équipe de la Nasa programme une série de manœuvres pour donner au James Webb sa structure finale.

Le mouvement a l’air simple quand on regarde l’animation vidéo : on déplie le bras du haut, et le miroir se retrouve automatiquement en bonne place. Mais il a d’abord fallu allumer des radiateurs spécialisés pour réchauffer les charnières et les moteurs de ce mécanisme, puis lancer le mouvement qui a lui-même duré 1h30. «On a déployé le tripode le plus sophistiqué du monde», estime Lee Feinberg, ingénieurs de la Nasa de l’équipe des éléments optiques. «Le miroir secondaire doit se déployer en microgravité, à des températures extrêmement basses, et doit fonctionner du premier coup sans erreur. Il doit se positionner et se verrouiller en bonne place avec une tolérance d’environ un millimètre et demi, puis rester extrêmement stable, au bout de sa structure de plus de 7 mètres de long, pendant que le télescope vise différents endroits du ciel.»

Quand le James Webb observera l’univers, la lumière des étoiles et galaxies viendra d’abord frapper le grand miroir primaire, doré, en forme de nid d’abeille. Les rayons de lumière seront alors réfléchis vers le miroir secondaire au sommet de son tripode, puis rebondiront encore une fois vers le capteur au centre du nid d’abeille. La lumière sera alors analysée par les quatre instruments scientifiques installés à l’arrière du télescope.

il y a 1226 jours

Le pare-soleil est installé. Sur le live vidéo de la Nasa, on voit la salle de contrôle s’animer tout à coup. Les ingénieurs lèvent les yeux de leur écran d’ordinateur et applaudissent. Ils se lèvent de leur bureau pour se faire des high five et des checks avec les poings. Le sourire aux lèvres, ils se dégourdissent enfin les jambes… et vont peut-être aller manger, car il est midi sur la côte Est (le centre Goddard de la Nasa est situé près de Washington), avec le sentiment du devoir accompli. Ils viennent d’avoir confirmation que la cinquième et dernière couche du bouclier thermique est bien tendue. L’installation du pare-soleil est officiellement terminée.

Les températures côté Soleil pourront monter jusqu’à 110° C, et du côté du miroir et des instruments, le minimum sera de -237° C. Moins de deux mètres de distance séparent ces deux extrêmes…

«Ca y est : on vient de boucler l’une des étapes les plus difficiles de notre parcours, résume la Nasa. Avec la mise en tension des cinq couches, environ 75 % de nos 344 points de défaillance uniques sont passés !» Les étapes suivantes consisteront à déplier les bras qui tiennent le miroir secondaire, puis ouvrir le grand miroir primaire en nid d’abeille. Les ingénieurs du télescope sont désormais moins inquiets d’un éventuel dysfonctionnement, car de multiples systèmes de secours sont prévus pour la suite des opérations.

il y a 1227 jours

Mise en tension du pare-soleil. Ce lundi commence la mise en tension du pare-soleil. Il faut imaginer une pile de cinq nappes en plastique posées sur une table : la forme finale est là, mais il faut maintenant détacher ces couches l’une de l’autre et bien les étendre en tirant sur les coins pour qu’elles soient parfaitement plates. L’opération durera deux jours.

il y a 1230 jours

Ouverture des bras latéraux. C’est l’heure d’étendre le pare-soleil, en tirant sur ses deux coins latéraux jusqu’à ce qu’il prenne sa forme finale de grand losange argenté. Au programme du jour, le télescope va donc étendre deux perches, l’une à sa gauche et l’autre à sa droite. Les coins du pare-soleil sont attachés au bout de ces perches.

il y a 1230 jours

L’étui est-il bien ouvert ? Mini contretemps dans le planning bien huilé du télescope, rapporte la Nasa : «Les interrupteurs censés indiquer que l’étui du pare-soleil s’est enroulé ne se sont pas déclenchés comme prévu.» Ah. Peut-être que l’étui est encore fermé. Mais peut-être aussi que l’étui est ouvert et que les interrupteurs ont bugué. Comment savoir ? Comme on n’a pas de webcams branchées en direct sur tous les recoins du télescope pour surveiller leur état depuis la Terre, il faut chercher d’autres indices. Les ingénieurs du James Webb ont contrôlé «les données de température» sur un capteur qui semble bien être à l’ombre, donc caché sous l’étui replié. Et en plus, les capteurs des gyroscopes ont «enregistré un mouvement compatible» avec l’ouverture de l’étui. Par ces moyens détournés, ils ont conclu que l’étui s’était ouvert correctement selon toute vraisemblance, et ils sont passés à la suite des opérations. Voilà un aperçu des défis auxquels doit faire face l’équipe de la Nasa, chargée de mettre en route à distance un télescope filant dans l’espace à 1887 kilomètres heure.

il y a 1231 jours

Ouverture de l’étui du pare-soleil. Jeudi soir, «les ingénieurs de Webb ont détaché et retiré l’étui qui protégeait les fines couches du pare-soleil pendant le lancement», écrit la Nasa. Grâce à de petits mécanismes commandés à distance, l’étui est désormais ouvert et les cinq feuilles de kapton (un plastique résistant aux températures extrêmes) du bouclier thermique sont à l’air libre (enfin, sans l’air). Elles pourront bientôt être déployées, en forme de losange grand comme un court de tennis, et mises en tension.

il y a 1233 jours

Déploiement du support arrière du pare-soleil. La palette arrière du pare-soleil est également déployée, presque six heures après le côté avant.

Le planning avance ainsi micro-étape par micro-étape. Selon Mike Menzel, l’un des ingénieurs en chef de James Webb à la Nasa, il y a 344 points de défaillance uniques dans cette mission – c’est-à-dire 344 étapes sans bouée de secours, dont le dysfonctionnement entraînerait l’échec du processus. 80 % de ces points de défaillance uniques concernent le déploiement du télescope. «C’est difficile à éviter quand on a un mécanisme de libération» comme celui qui a détaché l’étui du pare-soleil, expliquait Menzel début novembre en conférence de presse. «On ne peut pas trop prévoir un système redondant pour ça.»

il y a 1233 jours

Déploiement du support avant du pare-soleil. Les grandes manœuvres ont commencé ! «A l’instant, nous venons de déployer la palette avant du bouclier solaire. Voyez cette palette comme un plat à gâteau, qui va soutenir les 5 couches du gâteau-bouclier», tente d’expliquer la Nasa sur Twitter. Heureusement, une petite vidéo d’animation rend tout ça beaucoup plus clair, et on a plutôt envie de comparer le mouvement à une table à rallonge : on tire la rallonge d’un côté de la table, puis on tire l’autre rallonge de l’autre côté, avant de dérouler la nappe (le pare-soleil) sur son support.

Le pare-soleil, qui fait à peu près la taille d’un court de tennis, est composé de cinq couches d’isolation en plastique épaisses comme un cheveu. Il permettra de protéger le télescope des rayonnements du Soleil (et dans une moindre mesure, de la Terre et de la Lune) pour le conserver bien au froid. Côté Soleil, il fera approximativement 85° C. De l’autre côté, à l’abri du bouclier, le télescope sera à -233° C environ. Indispensable pour observer en infrarouge les lointaines émissions des galaxies.

il y a 1234 jours

Au-delà de la Lune. Le télescope vient de dépasser l’altitude moyenne de la Lune, soit 384 400 kilomètres. Déjà le quart de son trajet…

Mais la partie la plus délicate du voyage arrivera à la fin, quand James Webb devra freiner et se caler autour du point de Lagrange n°2. C’est un endroit situé à 1,5 million de kilomètres de la Terre, où les champs de gravité s’équilibrent de telle manière que le télescope pourra y rester installé, quasiment sans consommer d’énergie, pour accompagner la Terre dans sa révolution annuelle autour du Soleil.

Début du live : le 03/01/2022 à 19:00