Pointer le bout de son nez dehors, humer quelques instants l’immensité du vide spatial et retourner se mettre à l’abri. L’événement de ce jeudi 12 septembre n’est qu’un tout petit pas pour l’homme, mais il marque tout de même à sa façon l’histoire de l’exploration spatiale : le milliardaire américain Jared Isaacman et sa collègue Sarah Gillis, respectivement entrepreneur et ingénieure de métier, ont effectué ce jeudi vers midi (heure de Paris) une sortie dans l’espace dans le cadre de la mission Polaris Dawn, en orbite depuis mardi. C’est la première fois qu’une «sortie extra-véhiculaire» est réalisée par des astronautes privés.
Ecosystème privé
Polaris Dawn n’est pas la première mission spatiale organisée par Jared Isaacman. Homme d’affaires et pilote d’avion passionné d’espace, il s’est donné l’objectif de défricher l’exploration spatiale privée. Le développement d’un écosystème d’entreprises dans le secteur privé est d’ailleurs soutenu, encouragé et financé par la Nasa, qui prévoit de délaisser le domaine de l’orbite terrestre basse quand la station spatiale internationale (ISS) aura pris sa retraite – dans les années 2030 –, pour se concentrer sur les missions vers la Lune. L’orbite terrestre devrait alors voir arriver plusieurs petites stations spatiales privées américaines (en plus de la station chinoise et de la future station indienne, par ailleurs), qui permettront de continuer à entraîner des astronautes et faire des expériences en apesanteur.
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La mission Polaris Dawn essaye donc de mettre à l’épreuve du matériel, des techniques et des astronautes de manière indépendante de la Nasa. L’équipage est composé de Jared Isaacman lui-même, de deux ingénieures de SpaceX, Sarah Gillis et Anna Menon, et de Scott Poteet, un pilote à la retraite de l’armée américaine, tous les quatre ayant suivi trois ans d’entraînement d’astronaute (cohésion d’équipe, gestion des situations d’urgence, premiers secours, pilotage, travail en milieu extrême…).
Mise à l’épreuve
Polaris Dawn a commencé par un petit coup d’éclat qui se veut riche en enseignement sur l’adaptation du corps humain à l’environnement spatial : les quatre astronautes novices ont atteint ce mercredi la plus haute altitude d’orbite atteinte par des êtres humains depuis la mission Gemini 11 en 1966. Ils se sont éloignés de la Terre jusqu’à 1 400 kilomètres d’altitude – là où l’ISS orbite à une altitude stable de 400 kilomètres environ. L’objectif était d’atteindre une région appelée «ceinture de Van Allen», qui renferme une grande densité de particules énergétiques venant du vent solaire. En étudiant les effets de ces radiations sur l’organisme humain, on préparera mieux les voyages habités lointains vers la Lune ou vers Mars.
Le vaisseau spatial emprunté pour la mission est un véhicule de SpaceX : c’est le même «Crew Dragon» qui sert de navette entre la Terre et l’ISS de manière routinière, à ceci près qu’il a aujourd’hui et pour la première fois ouvert son écoutille vers l’extérieur, pour laisser deux des quatre astronautes sortir dans le vide. Un des enjeux était de tester en grandeur nature la procédure de dépressurisation. Car il n’y a pas de sas dans le Crew Dragon : c’est tout l’habitacle du vaisseau qui a été dépressurisé. L’occasion aussi de voir ce que valent la nouvelle version des combinaisons spatiales de SpaceX adaptée aux sorties à l’extérieur, jamais testées jusqu’ici. C’est une amélioration de la combinaison d’intérieur portée par les astronautes de la Nasa qui empruntent ce vaisseau d’habitude.
Ne prendre aucun risque
Une fois que Crew Dragon était redescendu – mercredi soir – à une altitude raisonnable, entre 195 et 737 kilomètres du plancher des vaches, le planning de la troisième journée de mission a pu être déroulé pour la grande sortie dans l’espace. SpaceX a diffusé sur Youtube une vidéo pour suivre l’événement en direct à partir de 11 heures (heure de Paris).
A 11 h 58, les préparatifs ont débuté officiellement et le vaisseau a été dépressurisé lentement. Une fois que la pression intérieure était nulle, la porte ronde a été ouverte. Seuls Sarah Gillis et Jared Isaacman ont eu la chance de sortir – sans s’éloigner d’un seul mètre, malgré un filin de sécurité qui les empêche de se perdre, évidemment. Ils ont toujours gardé le contact avec une main accrochée sur une rampe. L’idée est de ne prendre strictement aucun risque. Pendant ce temps, les deux autres sont restés à leur poste dans l’habitacle, devant le tableau de bord.
«On ne va pas s’amuser à flotter dans le vide», a tenu à préciser Isaacman en conférence de presse lundi : «La photo d’Ed White est certes historique, mais Buzz Aldrin nous a appris que ce n’est pas la bonne manière de faire une sortie extravéhiculaire.» Le milliardaire fait référence aux toutes premières sorties des pionniers de l’exploration spatiale : lors de la mission Gemini 4 en juin 1965, l’astronaute de la Nasa Ed White est devenu le premier Américain à sortir dans l’espace. Il a laissé derrière lui quelques images spectaculaires où il flotte, libre, au bout de son cordon ombilical, sur fond de Terre bleue et de ciel noir. Mais l’aventure était aussi grisante qu’irresponsable. Un peu plus tard, en novembre 1966, Buzz Aldrin a embarqué à bord de la mission Gemini 12 et a changé les règles de la sortie extravéhiculaire, en installant une rampe de sécurité à laquelle les astronautes sont tenus de s’accrocher en permanence.
15 minutes à l’extérieur
Cinquante-huit ans plus tard, Isaacman et Gillis se sont extraits de leur siège chacun à leur tour (péniblement, car l’espace est confiné) et se sont hissés jusqu’à l’extérieur de la porte de leur vaisseau en gardant une main sur les barres. Isaacman a passé 7 minutes et 56 secondes dehors. Il s’est affairé à tester le bon fonctionnement de la combinaison de SpaceX. Température, circulation des fluides, oxygénation, communication, maniabilité… Tous les retours sont bons à prendre pour éventuellement améliorer le matériel. On a vu l’entrepreneur faire quelques mouvements de flexion des bras. Puis il est revenu sur son siège, et Gillis a pris sa place. Elle a passé à son tour 7 minutes et 15 secondes dehors, à faire les mêmes essais.
Puis tout le monde s’est bien recalé au fond de son fauteuil, la porte a été fermée et le vaisseau a été re-pressurisé. L’absence de fuite a été vérifiée. Tout s’est bien passé et la sortie a été déclarée terminée, 1 heure et 46 minutes après le début de la dépressurisation. Les astronautes pourront revenir sur Terre dans deux jours avec des informations précieuses pour préparer de futures missions, et sans doute de beaux souvenirs.