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Projet Sanctuary : un condensé de culture humaine sur la Lune dès 2027

Un ingénieur français porte un projet fou de déposer sur la Lune des éléments de la culture humaine pour témoigner de notre temps auprès des générations futures ou d’autres formes de vie. La Nasa a validé un départ en 2027.
Mario Freese, directeur artistique de Sanctuary on the Moon devant un agrandissement du contenu d'un des disques sur les sciences. (sanctuary on the moon)
publié le 21 mars 2024 à 16h22

Une bouteille à la mer. Ou plutôt un disque sur la Lune. Le projet Sanctuary on the Moon vise à déposer sur le satellite de la Terre un condensé de culture humaine. Pour une hypothétique visite d’une civilisation extraterrestre ? Peu de chance. Pour les générations futures ? Plus probable. Pour rien ou simplement pour le geste ? Peut-être. «Nous espérons que Sanctuary constituera une “salutation cosmique” à nos descendants ou peut-être même à des visiteurs venus d’ailleurs», a défendu le porteur du projet, le français Benoit Faiveley, lors d’une conférence de presse ce jeudi 21 mars. L’homme a déjà convaincu des partenaires prestigieux comme le Cnes, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), l’Unesco, ou encore l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), de l’accompagner. Surtout, la Nasa lui a réservé 1,4 kilogramme sur une mission Artemis à destination la Lune et dont le départ est prévu en 2027. Il ne lui reste plus qu’à boucler son financement, estimé entre 15 et 20 millions d’euros au total.

Concrètement, ce seront bien vingt-quatre disques de saphir de 100 millimètres de diamètre et 1 millimètre d’épaisseur qui seront déposés dans un conteneur en aluminium. Chaque disque est thématique. Il y est gravé à l’échelle nanométrique des connaissances humaines sur les mathématiques, l’espace, la biologie. Les génomes complets d’un homme et une femme anonymes sont aussi représentés sur quatre disques en tout. L’originalité de Sanctuary tient au fait que chaque disque est une œuvre originale, il ne s’agit pas de simples copier-coller d’autres œuvres existantes.

Eviter d’avoir un point de vue trop occidental et masculin

Matthieu Guével, directeur de la communication de l’Unesco, se dit «extrêmement heureux de soutenir ce projet». Plusieurs sites et patrimoines de l’agence seront présentés sur le disque. Une première manière d’éviter d’avoir un point de vue trop occidental et masculin sur la culture humaine. La deuxième, c’est «la partie plus collaborative, plus inclusive» qui s’ouvre maintenant. En Effet, quatorze disques ne sont pas encore gravés et l’équipe de départ aimerait attirer à elle, en plus des fonds, des artistes du monde entier pour compléter son projet. «C’est fascinant de choisir les contenus qui nous représentent», s’enthousiasme Benoit Faiveley. Le fondateur espère pouvoir développer un site web permettant de se plonger dans le contenu retenu, validé par la Nasa, pour représenter l’humanité. Associé au projet, l’astrophysicien Jean-Philippe Uzan, le décrit comme «une œuvre artistique plutôt qu’une encyclopédie» qui «parle de l’humanité mais pas au nom de l’humanité».

Mais qui parle à qui ? Imaginons que ces disques soient trouvés par une civilisation extraterrestre ou humaine dans un milliard d’années. Saura-t-elle la comprendre ? «Contrairement au Disque d’or envoyé avec la sonde Voyager en 1977 [la sonde est arrivée aux confins du système solaire, et des chants et images de la Terre sont gravés sur le disque, ndlr], notre projet ne nécessite pas de dispositif technique pour le lire», explique Benoit Faiveley. Sur chaque disque, des dessins sont visibles à l’œil nu et d’autres nécessitent une loupe ou un microscope. Pour les plus technophiles, l’équipe précise que les dessins sont réalisés à l’aide de «minuscules pixels de 1 à 1,4 micron par pixel, soit au total plus de 100 milliards de pixels». L’espèce qui découvrirait les objets devrait donc disposer du sens de la vue. Et des maths. En effet, des clés de lecture sont disposées sur les disques, qui reposent toutes sur les mathématiques (O, 1, Pi) ou la physique (l’atome d’hydrogène). Sinon, à l’instar de la pierre de Rosette, la Déclaration des droits de l’homme est déclinée en plusieurs langues. Jim Green, l’ancien chef scientifique de la Nasa qui a donné son feu vert au projet y voit l’occasion de «préserver notre culture après la fin de la vie sur Terre».

Sanctuary a débuté il y a près de dix ans et un premier départ avait été envisagé en 2019, mais la mission avait capoté. Ce projet n’est pas le premier à vouloir laisser une trace de l’humanité dans l’espace. La mission Apollo 11, la première mission à se poser sur la Lune, a même laissé un micro disque contenant un message de 73 chefs d’Etats. Il y a d’autres objets bien connus : un drapeau américain, des balles de golf, une bible ou encore une branche d’olivier doré. Moins glamour, les astronautes ont aussi laissé des poches d’urine, ou de vomi, selon l’inventaire de la Nasa. Et puis, le satellite est déjà jonché de déchets, sous la forme de sondes et autres modules lunaires qui se sont écrasés ou ont été laissés à sa surface.

Au-delà de la Lune

Mais l’humanité a déjà visé au-delà de la Lune. En 2008, la Nasa a diffusé dans l’espace la chanson des Beatles «Across the Universe», à l’intention d’éventuels extraterrestres. Les sondes américaines Pioneer 10 and 11, lancées en 1972 et 1973, ont emporté des plaques représentant un homme et une femme nus et des symboles expliquant la position de la Terre et du Soleil. Plus récemment, en 2018, le milliardaire mégalomane Elon Musk a profité du lancement de sa fusée Falcon Heavy pour laisser dériver dans l’espace une voiture de sa marque Telsa, un cabriolet rouge. Un geste qui laisse perplexe dans toutes les galaxies.